VI
Ainsi précipitant leur rapide descente
Par cette route étroite, encaissée etglissante,
Depuis longtemps, suivant leur chef, et, sansbroncher,
Faisant rouler sous eux le sable et lerocher,
Les hardis cavaliers couraient dans lesténèbres
Des défilés en pente et des gorgesfunèbres
Qu’éclairait par en haut un jour terne etdouteux
Lorsque, subitement, s’effondrant devanteux,
La montagne s’ouvrit sur le ciel comme unearche
Gigantesque, et, surpris au milieu de leurmarche
Et comme s’ils sortaient d’une noireprison,
Dans leurs yeux aveuglés l’espace,l’horizon,
L’immensité du vide et la grandeur dugouffre
Se mêlèrent, abîme éblouissant. Le soufre,
L’eau bouillante, la lave et les feuxsouterrains,
Soulevant son échine et crevassant sesreins,
Avaient ouvert, après des siècles debataille,
Au flanc du mont obscur cette splendideentaille.
Et, la terre manquant sous eux, lesConquérants
Sur la corniche étroite ayant serré leursrangs,
Chevaux et cavaliers brusquement firenthalte.
Les Andes étageaient leurs gradins debasalte,
De porphyre, de grès, d’ardoise et degranit,
Jusqu’à l’ultime assise où le roc quifinit
Sous le linceul neigeux n’apparaît que parplace.
Plus haut, l’âpre forêt des aiguilles deglace
Fait vibrer le ciel bleu par sonscintillement
On dirait d’un terrible et clairfourmillement
De guerriers cuirassés d’argent, vêtusd’hermine,
Qui campent aux confins du monde, et quedomine
De loin en loin, colosse incandescent etnoir,
Un volcan qui, dressé dans la splendeur dusoir,
Hausse, porte-étendard de l’hivernalcortège,
Sa bannière de feu sur un peuple de neige.
Mais tous fixaient leurs yeux sur les premiersgradins
Où, près des cours d’eau chaude, au milieu desjardins,
Ils avaient vu, dans l’or du couchantéclatantes,
Blanchir. à l’infini, les innombrablestentes
De l’Inca, dont le vent enflait lespavillons
Et de la solfatare en de tels tourbillons
Montaient confusément d’épaissesfumerolles,
Que dans cette vapeur, couverts debanderoles,
La plaine, les coteaux et le premierversant
De la montagne avaient un aspect trèspuissant.
Et tous les Conquérants, dans un mornesilence,
Sur le col des chevaux laissant pendre lalance,
Ayant considéré mélancoliquement
Et le peu qu’ils étaient et ce grandarmement,
Pâlirent. Mais Pizarre, arrachant labannière
Des mains de Gabriel Rojas, d’une voixfière :
Pour Don Carlos, mon maître, et dans son NomRoyal,
Moi, François Pizarro, son serviteurloyal,
En la forme requise et par-devant Notaire,
Je prends possession de toute cetteterre ;
Et je prétends de plus que si quelquerival
Osait y contredire, à pied comme à cheval,
Je maintiendrai mon droit et laverail’injure
Et par mon saint patron, Don François, je lejure !
Et ce disant, d’un bras furieux, dans lesol
Qui frémit, il planta l’étendard espagnol
Dont le vent des hauteurs qui soufflait parrafales
Tordit superbement les frangestriomphales.
Cependant les soldats restaientsilencieux,
Éblouis par la pompe imposante des cieux.
Car derrière eux, vers l’ouest, où sans fin sedéroule
Sur des sables lointains la Pacifiquehoule,
En une brume d’or et de pourpre, linceul
Rougi du sang d’un Dieu, sombrait l’antiqueAïeul
De Celui qui régnait sur ces tentes sansnombre.
En face, la sierra se dressait haute etsombre.
Mais quand l’astre royal dans les flots senoya,
D’un seul coup, la montagne entièreflamboya
De la base au sommet, et les ombres desAndes,
Gagnant Caxamarca, s’allongèrent plusgrandes.
Et tandis que la nuit, rasant d’abord lesol,
De gradins en gradins haussait son largevol,
La mourante clarté, fuyant de cime encime,
Fit resplendir enfin la crête plussublime ;
Mais l’ombre couvrit tout de son aile. Etvoilà
Que le dernier sommet des pics étincela,
Puis s’éteignit.
Alors, formidable, enflammée
D’un haut pressentiment, tout entière,l’armée,
Brandissant ses drapeaux sur l’occidentvermeil,
Salua d’un grand cri la chute du Soleil.