Paris et Londres en 1793 – Le Marquis de Saint-Évremont

Chapitre 7M. le marquis à la ville.

Monseigneur, l’un des hommes les plusinfluents de la cour de France, l’un des grands de l’État quitenaient alors le pouvoir, recevait deux fois par mois, dans lemagnifique hôtel qu’il habitait à Paris, et c’était son jour deréception. Tandis que la foule idolâtre, pour laquelle il était leSaint des saints, se pressait dans ses salons, Monseigneur, retirédans un somptueux boudoir qui lui servait de sanctuaire, prenaitson chocolat.

Sa Seigneurie pouvait sans peine engloutirnombre de choses ; de méchants cerveaux pensaient même qu’elleabsorbait rapidement les trésors de la France ; mais sonchocolat ne pouvait atteindre son noble gosier qu’avec l’aide dequatre hommes vigoureux, sans compter le cuisinier qui l’avaitfait. Mon Dieu ! oui, pour que ce bienheureux chocolat arrivâtaux lèvres de Monseigneur, il fallait quatre hommes dans toute laforce de l’âge, galonnés sous toutes les coutures, et dont le chef,rivalisant avec son noble et chaste maître, ne pouvait exister sansavoir au moins deux montres. L’un de ces valets apportait lachocolatière en présence de Sa Seigneurie ; le second faisaitmousser le chocolat avec le petit instrument destiné à cet usage,instrument dont il avait la charge ; le troisième présentaitla serviette ; le quatrième, l’homme aux deux montres, versaitle chocolat dans la tasse.

Ces quatre valets étaient indispensables àMonseigneur pour soutenir le rang qu’il occupait sous les cieux,inclinés devant lui. C’eût été pour son écusson une tacheindélébile si le chocolat qu’il prenait tous les matins lui avaitété ignoblement servi par trois valets. Il n’aurait eu qu’à mourir,s’il n’y en avait eu que deux !

Monseigneur avait assisté la nuit dernière àun petit souper, où la Comédie et l’Opéra étaient représentés d’unefaçon ravissante. Il lui arrivait fréquemment de souper en ville,et presque toujours avec une société délicieuse. Monseigneur avaittant de délicatesse dans l’esprit, de sensibilité dans l’âme, queles intérêts de la Comédie et de l’Opéra le touchaient bienautrement que les besoins de la nation ; circonstance heureusepour la France, comme pour tous les royaumes qui jouissent du mêmeprivilège, ainsi qu’il arriva pour l’Angleterre, à l’époqueregrettée où l’un des Stuarts la vendit.

Monseigneur possédait, relativement auxaffaires générales qui concernent le public, une noble théorie, àsavoir : qu’il faut laisser aller les choses comme bon leursemble. Quant aux affaires privées de l’État, il pensait, non moinsnoblement, qu’elles devaient aller comme bon lui semblait,c’est-à-dire enfler sa poche et augmenter sa puissance.

Monseigneur avait encore cette idée vraimentnoble, que le monde était fait pour contribuer à ses plaisirs.« La terre, et tout ce qu’elle renferme, est à moi, »disait-il, prenant pour devise le texte sacré, dont il ne changeaitque le pronom possessif.

Néanmoins il avait fini par découvrir que devulgaires embarras s’étaient glissés dans ses affaires, à la foispubliques et privées ; et contraint par la force des choses,il s’était allié à un fermier général. Deux raisons lui avaientfait prendre ce parti désespéré : la première, c’est que, nepouvant rien pour les finances de l’État, mieux valait en fairel’abandon à quelqu’un de plus habile ; la seconde, c’est queles fermiers généraux étaient riches, et qu’après le luxehéréditaire des générations précédentes, Monseigneur, qui nedépensait pas moins que ses aïeux, allait s’appauvrissant de jouren jour.

Il avait donc été chercher sa sœur au couvent,où elle devait bientôt prendre le voile (l’habit le moins cherqu’elle pût revêtir), et avait donné la jeune fille à un fermiergénéral, aussi pauvre de naissance qu’il était riche d’écus.Celui-ci, ayant à la main la canne traditionnelle à pomme d’or, setrouvait parmi la foule dans les salons de son beau-frère, où ilétait l’objet du culte des mortels, à l’exception toutefois desgens de très-noble race qui, sa femme comprise, le regardaient avecun suprême dédain.

C’était un homme somptueux que ce fermiergénéral : trente chevaux dans ses écuries, vingt-quatre valetsdans ses antichambres, et six femmes au service de son épouse.Connu pour ne faire autre chose que de fourrager et de piller entoute occasion et en tout lieu, M. le fermier général était,au fond, ce qu’il passait pour être, et parmi les gens qui sepressaient chez Monseigneur, c’était le seul qui fût un personnageréel. Car, en dépit de leur éclat et de leur nombre, cesmagnifiques salons, encombrés des merveilles que l’art et le goûtdu temps pouvaient produire, étaient bien peu solides ; etc’eût été matière à une extrême inquiétude, si quelqu’un avaitpensé, en face de leur fragilité, aux épouvantails en guenilles eten bonnets de coton qui habitaient à l’autre bout de la ville,assez près de l’hôtel, néanmoins, pour que les tours de Notre-Damefussent placées à égale distance des deux faubourgs.

Mais qui trouvait-on, chez Monseigneur, quipût avoir souci d’une aussi basse réalité ? des officiersdépourvus de toute connaissance militaire, des marins ne sachantpas ce que c’était qu’un vaisseau, des administrateurs ignorant leslois et l’administration, des prêtres effrontés, du pire de tousles mondes, aux yeux lascifs, aux paroles scandaleuses, aux mœursdissolues ; tous complètement incapables de remplir leursoffices, tous faisant un horrible mensonge en prenant le titre desfonctions qu’ils prétendaient occuper, mais tout appartenant, deprès ou de loin, à la caste de Monseigneur, et, par ce motif,pourvus de tous les emplois où il y avait quelque chose àgagner.

D’autres individus, n’ayant aucune parentéavec les précédents, et ne se rattachant pas davantage au côtégrave et utile de la vie, n’étaient pas moins nombreux dans cesnobles salons.

D’habiles médecins, faisant fortune avec lesdrogues friandes qu’ils prescrivaient pour des maux imaginaires,souriaient dans les antichambres à leur noble clientèle ; desfaiseurs, ayant trouvé maint expédient pour fermer les plaies del’État, excepté celui de se mettre à l’œuvre et de déraciner lesabus, versaient leurs élucubrations dans les oreilles qu’ilspouvaient accaparer ; des philosophes sans foi, quirepétrissaient le monde avec des phrases creuses, et faisaient deschâteaux de cartes pour escalader le ciel, causaient avec deschimistes sans conscience, uniquement préoccupés de la pierrephilosophale ; des gens d’une exquise délicatesse, dontl’éducation parfaite se révélait alors, comme de nos jours, par uneprofonde indifférence pour tout ce qui est sérieux, montraient leurennui et leur épuisement exemplaires à l’hôtel de Monseigneur.

Et chose digne de remarque, c’est que lesespions, qui formaient la bonne moitié de cette excellentecompagnie, auraient eu mille peines à découvrir, au milieu de cenoble monde, une seule femme qui, par ses allures et son aspect,confessât qu’elle était mère. À vrai dire, si l’on en exceptel’action pure et simple de mettre au monde une créature gênante, ilétait bien peu de ces nobles dames qui connussent lamaternité ; des paysannes conservaient auprès d’elles cesmarmots importuns, qui n’étaient pas encore de mode ; et leurscharmantes grand’mères, ayant passé la cinquantaine, s’habillaientet soupaient comme à vingt ans.

La lèpre du mensonge et du factice défiguraitchacun des personnages qui se pressaient chez Monseigneur.Néanmoins dans la première antichambre se trouvaient cinq ou sixindividus exceptionnels, qui depuis quelques années pressentaientvaguement que la chose publique allait de travers. Dans l’espérancede la remettre dans la bonne voie, la moitié de cette demi-douzainede pessimistes s’étaient fait recevoir membres d’une secte deconvulsionnaires, et se demandaient alors s’ils ne feraient pasbien d’écumer, de rugir, de se cataleptiser, séance tenante, afind’avertir Monseigneur de la fausse direction qu’il avait prise.

Les trois autres, ne partageant pas la foi deces derviches, prétendaient sauver l’État par un certain jargonmystico-philosophique ; suivant eux, l’homme s’était éloignédu centre de la vérité, ce qui n’avait pas besoin dedémonstration ; mais il n’était pas sorti de lacirconférence ; et pour l’y maintenir et faire qu’il serapprochât du centre, il fallait jeûner et se mettre encommunication avec les purs esprits. Cette dernière partie duprogramme se réalisa immédiatement, sans que les affaires généralesen retirassent le moindre bénéfice.

Mais, ce qu’il y avait de consolant chezMonseigneur, c’est que toutes les personnes qui s’y trouvaientréunies étaient mises à ravir. Des cheveux si bien crêpés, frisés,poudrés, et portés avec tant de grâce ; des teints sidélicats, réparés ou conservés avec tant d’art ; des épées sigalantes, au service d’un honneur si chatouilleux sur l’article desparfums, devaient conserver à jamais l’état des chosesexistant.

Chaque fois que ces messieurs, d’une tenue siparfaite, se retournaient avec lenteur, ils agitaient les bijouxqui pendaient à leurs montres ; et l’air embaumé quiaccompagnait le cliquetis des breloques, des colliers et desaiguillettes, le frôlement des jupes de soie et des habits debrocart, le chiffonnement de la dentelle et du linon, chassaientbien loin l’idée de saint Antoine et de sa faim dévorante.

La parure était le charme suprême, le talismaninfaillible que la société d’alors employait pour se maintenir.Chacun était paré pour un bal travesti qui, suivant l’opinioncommune, devait durer toujours. Depuis Versailles, en passant parMonseigneur et la cour, les gens d’épée, les magistrats, labourgeoisie, petite et grande, tout le monde concourait à cetteprécieuse mascarade ; jusqu’à l’exécuteur des hautes œuvres,qui, pour aider à l’effet du charme, était requis d’officier engrande tenue : « cheveux crêpés et poudrés, habit galonnéd’or, escarpins et bas de soie blancs. » C’est dans cettetoilette que monsieur de Paris, suivant la formulé épiscopale dontses collègues, messieurs d’Orléans, de Bordeaux et autres lieux,faisaient usage pour le désigner, c’est dans cette toilette,disons-nous, qu’il rouait et qu’il pendait. Il était rare qu’ilemployât la hache.

Qui donc, parmi les gens qui se trouvaientchez Monseigneur, en l’an de grâce 1780, aurait pu mettre en doutequ’un système appuyé sur un bourreau poudré, galonné d’or, chausséd’escarpins, et en bas de soie blancs, ne dût survivre à la chutedes étoiles ?

Monseigneur ayant délivré ses quatre hommes deleur fardeau, et pris son chocolat, donna l’ordre d’ouvrir lesportes à deux battants, et quitta son sanctuaire. Quelle servilitérampante ! quelle profonde abjection ! C’est probablementparce qu’ils se courbaient si bas devant sa personne, que lesadorateurs du ministre ne trouvaient plus moyen de s’inclinerdevant Dieu.

Accordant ici un geste, là-bas un signe detête, plus loin un sourire, parfois un mot aux plus défavorisés,Monseigneur passa d’un air affable, de salon en salon, jusqu’auxrégions lointaines où se tenaient les partisans de la circonférencevéridique. Une fois arrivé là, il revint sur ses pas, regagna sonsanctuaire, et disparut aux yeux de la foule charmée. La réceptionfinie, le souffle embaumé qui voltigeait dans les salons setransforma en petit ouragan, et les précieuses breloques tintèrentjusqu’en bas de l’escalier.

Bientôt il ne resta plus de la foule qu’unseul individu. Celui-ci, le chapeau sous le bras, et la boite d’orà la main, passa lentement au milieu des salons déserts. Lorsqu’ilfut à la porte de l’antichambre, il se retourna vers le sanctuairedu ministre, et d’un ton glacial, où perçait l’amertume :

« Soyez maudit, Monseigneur, »dit-il en secouant le tabac qui lui restait aux doigts, comme onsecoue la poussière de ses pieds au moment de quitter des lieux oùl’on ne veut plus revenir.

C’était un homme d’environ soixante ans, misavec une extrême élégance, ayant les manières hautaines, et pourvisage un masque d’une pâleur transparente, dont les traitsdélicats et nettement dessinés étaient d’un calme impassible. Leseul changement de physionomie qu’on pût saisir parfois sur cemasque de pierre résidait au-dessus des narines, dans une légèredépression du nez, dont la forme était d’ailleurs admirable. On yremarquait, en certaines circonstances, une rougeur imperceptibleet fugitive, ou de faibles pulsations, qui donnaient quelque chosede cruel et de fourbe à tout le reste du visage. Quand alors onexaminait celui-ci d’un œil attentif, on retrouvait cetteexpression de fourberie et de cruauté dans la bouche et dansl’orbite des yeux, dont les lignes étaient trop minces et trophorizontales. Néanmoins l’ensemble en était frappant et d’unesuprême distinction.

Le possesseur de cette figure remarquabledescendit tranquillement l’escalier, traversa la cour et monta dansson carrosse. À la réception qui venait d’avoir lieu, Monseigneurlui avait témoigné peu d’intérêt, et peu de personnes lui avaientadressé la parole ; aussi était-il dans un état d’irritationqui lui faisait prendre plaisir à voir la canaille se disperserdevant ses chevaux. Le cocher conduisait comme s’il avait eu àcharger l’ennemi, et sa fougue insensée n’amenait aucune réprimandesur les lèvres du maître.

Bien qu’en général, dans cette ville sourde,la masse du peuple fût muette, on se plaignait souvent, même assezhaut, de la rapidité avec laquelle les nobles traversaient les ruesétroites, où leurs équipages estropiaient les manants de la façonla plus cruelle ; mais l’instant d’après, les auteurs de cesaccidents les avaient oubliés ; et les vilains, dans cetteoccasion, ainsi que dans tant d’autres, se tiraient d’affaire commeils pouvaient.

Le carrosse du marquis volait avec fracas aumilieu des rues sans trottoirs, chassant devant lui des femmeseffarées et des hommes qui, dans leur fuite, saisissaient lesenfants pour les arracher aux pieds des chevaux. Tout à coup, audétour d’une rue populeuse, dont le coin était occupé par unefontaine, l’une des roues heurta quelque chose ; un cris’échappa de la bouche des spectateurs, et les chevaux reculèrenten se cabrant.

Sans cette dernière circonstance, il estprobable que l’équipage eût continué sa route. Il arrivait souventà ses pareils de laisser derrière eux leurs victimes ; maiscette fois l’un des laquais, dans sa frayeur, avait sauté parterre, et vingt poignets vigoureux avaient pris les chevaux à labride.

« Qu’est-ce que c’est ? »demanda le possesseur du carrosse, en mettant la tête à laportière.

Un homme de grande taille, coiffé d’un bonnetde coton, avait retiré d’entre les jambes des chevaux un paquet dehardes sanglantes ; il l’avait déposé sur le soubassement dela fontaine, et le couvrait de caresses, en hurlant comme un animalsauvage.

« Pardon, monsieur le marquis ! ditavec humilité un homme en guenilles, c’est un enfant…

– Pourquoi ce misérable fait-il ce bruitaffreux ? Est-ce que c’est à lui l’enfant ?

– Oui, monsieur le marquis ; faitesexcuse, mais c’est une grande pitié. »

La rue, en cet endroit, formait une petiteplace d’environ douze mètres de large ; et la fontaine, situéeau coin opposé à la voiture, s’en trouvait à une certaine distance.Soudain l’homme au bonnet de coton, se relevant de la fange où ilétait à genoux, s’élança vers le carrosse d’un air tellementfarouche, que M. le marquis porta la main à la garde de sonépée.

« Il est mort ! » s’écria lemalheureux père avec désespoir, et en levant les bras au ciel.

La foule entoura l’équipage et attacha sur legentilhomme un regard avide ; mais rien dans les yeux desassistants n’exprima la menace ou la colère ; après avoir jetéun cri d’effroi, que leur avait arraché la terreur, ils avaientgardé le silence ; et la voix humble et soumise de l’homme enhaillons, dont nous avons cité les paroles, était la seule quis’était fait entendre.

M. le marquis promena sur eux tous unregard froid et dédaigneux, comme s’ils avaient été de simples ratssortis du ruisseau ; et prenant sa bourse :

« Je ne comprends pas, dit-il, que vousautres, gens du peuple, ayez si peu de soin de vos enfants et devos personnes ; on vous trouve toujours sous les roues desvoitures, ou dans les jambes des chevaux. Je ne sais même pas sil’un des miens n’est point blessé. Vois-y, Jean, dit-il à sonlaquais, et donne-lui ça. »

Toutes les têtes s’avancèrent pour voir cequ’il jetait au valet, et Jean ramassa un louis.

« Mais il est mort ! » répétad’une voix déchirante le père du petit enfant.

Un homme robuste arrivait d’un pas rapide, etla foule s’écarta pour lui livrer passage ; il s’approcha dupauvre père, qui se jeta sur son épaule en sanglotant, et luimontra du doigt la fontaine, où des femmes, inclinées sur le paquetde hardes sanglantes, remuaient doucement le petit cadavre.

« Je sais tout, dit le nouvel arrivé, jesais tout. Aie du courage ; console-toi, mon pauvreGaspard ; cela vaut mieux pour ton enfant que d’avoir vécu. Iln’a pas souffert pour mourir ; et dans la vie aurait-il étéune heure sans endurer quelque souffrance ?

– Tu es philosophe, mon brave, dit lemarquis en souriant. Comment t’appelle-t-on ?

– Je me nomme Defarge.

– Quel est ton état ?

– Marchand de vin, monsieur lemarquis.

– Tiens, cabaretier philosophe, dit legentilhomme en jetant une nouvelle pièce d’or, fais-en ce qu’il teplaira. Les chevaux n’ont rien, Jean ? »

M. le marquis se renfonça dans savoiture, sans regarder une seconde fois cette vile canaille ;et il s’éloignait de l’air d’un homme qui, par hasard, a briséquelque objet dont il a payé la valeur, quand sa quiétude futtroublée subitement par une pièce d’or, lancée avec adresse, et quiroula sur le tapis du carrosse.

« Arrêtez ! s’écria-t-il,arrêtez ! »

Il jeta les yeux à l’endroit où il venait deparler au marchand de vin ; mais il n’aperçut que le pauvreGaspard, qui se roulait dans la boue en sanglotant ; et à côtéde ce malheureux, la grande taille et le visage sombre d’une femmequi tricotait.

« Misérables ! dit tranquillement legentilhomme, dont toutefois les narines étaient frémissantes ;j’écraserais volontiers jusqu’au dernier rejeton de votre méchanterace, pour qu’elle disparût de la terre. Si je connaissais lemaraud qui a jeté cela dans ma voiture, j’aurais du plaisir à lebroyer sous mes roues. »

Leur condition était si abjecte, ils avaientune si longue expérience de ce que pouvait leur infliger un pareilhomme, en dehors de la légalité, et même sans en sortir, que pas unregard ne se leva pour répondre à ces paroles insultantes, si cen’est toutefois celui de la tricoteuse, dont les yeux ne quittèrentpas la figure du gentilhomme.

Il était au-dessous de la dignité du marquisde s’en apercevoir, et, promenant sur elle, comme sur tous lesautres, un coup d’œil méprisant, il se rejeta au fond du carrosse,en ordonnant de partir.

Le marquis avait disparu ; mais denombreux équipages se succédaient rapidement dans la directionqu’il avait prise. Le ministre, le fermier général, le docteur,l’avocat, l’ecclésiastique, l’Opéra, la Comédie, tous les masquesdu bal travesti avaient passé comme de brillants météores.

Les rats étaient restés dans la rue pourregarder l’élégant tourbillon. À différents intervalles, dessoldats et des agents de police s’étaient placés entre lescarrosses et la foule ; mais celle-ci, rejetée en arrière,avait fait des trouées dans la haie qui se déployait devant elle,et n’avait rien perdu de la mascarade.

Il y avait longtemps que le malheureux pèreétait parti, chargé du cadavre mutilé de son fils ; lesfemmes, qui avaient cherché à ranimer le pauvre enfant, regardaienttoujours couler la fontaine et rouler les voitures, tandis que latricoteuse poursuivait sa tâche avec l’impassibilité du destin.

L’eau de la fontaine allait au ruisseau, leruisseau vers le fleuve. Le fleuve se précipitait vers la mer, lejour vers le soir, l’existence vers la mort : le temps et lesflots n’attendent pas.

Les rats dormaient entassés dans leurs trousobscurs ; les gens du bal soupaient inondés de lumière.

Chaque chose suivait son cours, chacun sadestinée.

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