Poil de carotte

Chapitre 39En chasse

M. Lepic emmène ses fils à la chasse alternativement. Ilsmarchent derrière lui, un peu sur sa droite, à cause de ladirection du fusil, et portent le carnier. M. Lepic est un marcheurinfatigable. Poil de Carotte met un entêtement passionné à lesuivre, sans se plaindre. Ses souliers se blessent, il n’en ditmot, et ses doigts se cordellent; le bout de ses orteils enfle, cequi leur donne la forme de petits marteaux.

Si M. Lepic tue un lièvre au début de la chasse, il dit:

-Veux-tu le laisser à la première ferme ou le cacher dans unehaie, et nous le reprendrons ce soir?

-Non, papa, dit Poil de Carotte, j’aime mieux le garder.

Il lui arrive de porter une journée entière deux lièvres et cinqperdrix.

Il glisse sa main ou son mouchoir sous la courroie du carnier,pour reposer son épaule endolorie. S’il rencontre quelqu’un, ilmontre son dos avec affection et oublie un moment sa charge.

Mais il est las, surtout quand on ne tue rien et que la vanitécesse de le soutenir.

-Attends-moi ici, dit parfois M. Lepic. Je vais battre celabouré.

Poil de Carotte, irrité, s’arrête debout au soleil. Il regardeson père piétiner le champ, sillon par sillon, motte à motte, lefouler, l’égaliser comme avec une herse, frapper de son fusil leshaies, les buissons, les chardons, tandis que Pyrame même, n’enpouvant plus, cherche l’ombre, se couche un peu et halète, toute salangue dehors.

-Mais il n’y a rien là, pense Poil de Carotte. Oui, tape, cassedes orties, fourrage. Si j’étais lièvre gîté au creux d’un fossé,sous les feuilles, c’est moi qui me retiendrais de bouger, parcette chaleur!

Et en sourdine il maudit M. Lepic; il lui adresse de menuesinjures.

Et M. Lepic saute un autre échalier, pour battre une luzerne d’àcôté, où, cette fois, ils serait bien étonné de ne pas trouverquelque gars de lièvre.

-Il me dit de l’attendre, murmure Poil de Carotte, et il fautque je coure après lui, maintenant. Une journée qui commence malfinit mal. Trotte et sue, papa, éreinte le chien, courbature-moi,c’est comme si on s’asseyait. Nous rentrerons bredouilles, cesoir.

Car Poil de Carotte est naïvement superstitieux.

Chaque fois qu’il touche le bord de sa casquette,voilàPyrame en arrêt, le poil hérissé, la queue raide. Sur la pointe dupied, M. Lepic s’approche le plus près possible, la crosse audéfaut de l’épaule. Poil de Carotte s’immobilise, et un premier jetd’émotion le fait suffoquer.

Il soulève sa casquette Des perdrix partent, ou unlièvre déboule. Et selon que Poil de Carotte laisse retomber lacasquette ou qu’il simule un grand salut, M. Lepic manque outue.

Poil de Carotte l’avoue, ce système n’est pas infaillible. Legeste trop souvent répété ne produit plus d’effet, comme si lafortune se fatiguait de répondre aux mêmes signes. Poil de Carotteles espace discrètement, et à cette condition, ça réussit presquetoujours.

-As-tu vu le coup? demande M. Lepic qui soupèse un lièvre chaudencore dont il presse le ventre blond, pour lui faire faire sessuprêmes besoins. Pourquoi ris-tu?

-Parce que tu l’as tué, grâce à moi, dit Poil de Carotte.

Et fier de ce nouveau succès, il expose avec aplomb saméthode.

-Tu parles sérieusement? dit M. Lepic.

Poil de Carotte: Mon Dieu! je n’irai pas jusqu’à prétendre queje ne me trompe jamais.

Monsieur Lepic: Veux-tu bien te taire tout de suite, nigaud. Jene te conseille guère, si tu tiens à ta réputation de garçond’esprit, de débiter ces bourdes devant des étrangers. Ont’éclaterait au nez. A moins que, par hasard, tu ne te moques deton père.

Poil de Carotte: Je te jure que non, papa. Mais tu as raison,pardonne-moi, je ne suis qu’un serin.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer