Poil de carotte

Chapitre 33La fontaine

Il ne couche pas avec son parrain pour le plaisir de dormir. Sila chambre est froide, le lit de plume est trop chaud, et la plume,douce aux vieux membres du parrain, met vite le filleul en nage.Mais il couche loin de sa mère.

-Elle te fait donc bien peur? dit parrain.

Poil de Carotte: Où plutôt, moi je ne lui fais pas assez peur.Quand elle veut donner une correction à mon frère, il saute sur unmanche de balai, se campe devant elle, et je te jure qu’elles’arrête court. Aussi elle préfère le prendre par les sentiments.Elle dit que la nature de Félix est si susceptible qu’on n’enferait rien avec des coups et qu’ils s’appliquent mieux à lamienne.

Parain: Tu devrais essayer du balai, Poil de Carotte.

Poil de Carotte: Ah! si j’osais! nous nous sommes souventbattus, Félix et moi, pour de bon ou pour jouer. Je suis aussi fortque lui. Je me défendrais comme lui. Mais je me vois armé d’unbalai contre maman. Elle croirait que je l’apporte. Il tomberait demes mains dans les siennes, et peut-être qu’elle me dirait merci,avant de taper.

Parrain: Dors, canard, dors!

Ni l’un ni l’autre ne veut dormir. Poil de Carotte se retourne,étouffe et cherche de l’air, et son vieux parrain en a pitié.

Tout à coup, comme Poil de Carotte va s’assoupir, parrain luisaisit le bras.

-Es-tu là, canard? dit-il. Je rêvais, je te croyais encore dansla fontaine. Te souviens-tu de la fontaine?

Poil de Carotte: Comme si j’y étais, parrain. Je ne te lereproche pas, mais tu m’en parles souvent.

Parrain: Mon pauvre canard, dès que j’y pense, je tremble detout mon corps. Je m’étais endormi sur l’herbe. Tu jouais au bordde la fontaine, tu as glissé, tu es tombé, tu criais, tu tedébattais, et moi, misérable, je n’entendais rien. Il y avait àpeine de l’eau pour noyer un chat. Mais tu ne te relevais pas.C’était là le malheur, tu ne pensais donc plus à te relever?

Poil de Carotte: Si tu crois que je me rappelle ce que jepensais dans la fontaine! Parrain: Enfin ton barbotement meréveille. Il était temps. Pauvre canard! pauvre canard! Tuvomissais comme une pompe. On t’a changé, on t’a mis le costume desdimanches du petit Bernard.

Poil de Carotte: Oui, il me piquait. Je me grattais. C’étaitdonc un costume de crin.

Parrain: Non, mais le petit Bernard n’avait pas de chemisepropre à te prêter. Je ris aujourd’hui, et une minute, une secondede plus, je te relevais mort.

Poil de Carotte: Je serais loin.

Parrain: Tais-toi. Je m’en suis dit des sottises, et depuis jen’ai jamais passé une bonne nuit. Mon sommeil perdu, c’est mapunition; je la mérite.

Poil de Carotte: Moi, parrain, je ne la mérite pas et jevoudrais bien dormir.

Parrain: Dors, canard, dors.

Poil de Carotte: Si tu veux que je dorme, mon vieux parrain,lâche ma main. Je te la rendrai après mon somme. Et retire aussi tajambe, à cause de tes poils. Il m’est impossible de dormir quand onme touche.

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