Poil de carotte

Chapitre 41La première bécasse

-Mets-toi là, dit M. Lepic. C’est la meilleure place. Je mepromènerai dans le bois avec le chien; nous ferons lever lesbécasses, et quand tu entendras: pit, pit, dressel’oreille et ouvre l’oeil. Les bécasses passeront sur la tête.

Point de Carotte tient le fusil couché entre son bras. C’est lapremière fois qu’il va tirer une bécasse. Il a déjà tué une caille,déplumé une perdrix et manqué un lièvre avec le fusil de M.Lepic.

Il a tué la caille par terre, sous le nez du chien en arrêt.D’abord il regardait, sans la voir, cette petite boule ronde,couleur du sol.

-Recule-toi, lui dit M. Lepic, tu est trop près.

Mais Poil de Carotte, instinctif, fit un pas de plus en avant,épaula, déchargea son arme à bout portant et rentre dans la terrela boulette grise. Il ne put retrouver de sa caille broyée,disparue, que quelques plumes et un bec sanglant. Toutefois, ce quiconsacre la renommée d’un jeune chasseur, c’est de tuer unebécasse, et il faut que cette soirée marque dans la vie de Poil deCarotte.

Le crépuscule trompe, comme chacun sait. Les objets remuentleurs lignes fumeuses. Le vol d’un moustique trouble autant quel’approche du tonnerre. Aussi Poil de Carotte, ému, voudrait bienêtre à tout à l’heure.

Les grives, de retour des prés, fusent avec rapidité entre leschênes. Il les ajuste pour se faire l’oeil. Il frotte de sa manchela buée qui ternit le canon du fusil. Des feuilles sèchestrottinent çà et là.

Enfin, deux bécasses, dont les longs becs alourdissent le vol,se lèvent, se poursuivent amoureuses et tournoient au-dessus dubois frémissant.

Elles font pit, pit, pit, comme M. Lepic l’avaitpromis, mais si faiblement que Poil de Carotte doute qu’ellesviennent de son côté. Ses yeux se meuvent vivement. Il voit deuxombres passer sur sa tête, et la crosse du fusil contre son ventre,il tire au juger, en l’air.

Une des deux bécasses tombe, bec en avant, et l’écho disperse ladétonation formidable aux quatre coins du bois.

Poil de Carotte ramase la bécasse dont l’aile est cassée,l’agite glorieusement et respire l’odeur de la poudre.

Pyrame accourt, précédant M. Lepic, qui ne s’attarde ni ne sehâte plus que d’ordinaire.

-Il n’en reviendra pas, pense Poil de Carotte prêt auxéloges.

Mais M. Lepic écarte les branches, paraît, et dit d’une voixcalme à son fils encore fumant:

-Pourquoi donc que tu ne les as pas tuées toutes les deux?

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