Chapitre 29Le toiton
Ce petit toit où, tour à tour, ont vécu des poules, des lapins,des cochons, vide maintenant, appartient en toute propriété à Poilde Carotte pendant les vacances. Il y entre commodément, car letoiton n’a plus de porte. Quelques grêles orties en parent leseuil, et si Poil de Carotte les regarde à plat ventre, elles luisemblent une forêt. Une poussière fine recouverte le sol. Lespierres des murs luisent d’humidité. Poil de Carotte frôle leplafond de ses cheveux. Il est là chez lui et s’y divertit,dédaigneux des jouets encombrants, aux frais de sonimagination.
Son principal amusement consiste à creuser quatre nids avec sonderrière, un à chaque coin du toiton. Il ramène de sa main, commed’une truelle, des bourrelets de poussière et se cale.
Le dos au mur lisse, les jambes pliées, les mains croisées surses genoux, gîté, il se trouve bien. Vraiment il ne peut pas tenirmoins de place. Il oublie le monde, ne le craint plus. Seul un boncoup de tonnerre le troublerait.
L’eau de vaisselle qui coule non loin de là, par le trou del’évier, tantôt a torrents, tantôt goutte à goutte, lui envoie desbouffées fraîches.
Brusquement, une alerte. Des appels approchent, des pas.
-Poil de Carotte? Poil de Carotte?
Une tête se baisse et Poil de Carotte réduit en boulette, sepoussant dans la terre et le mur, le souffle mort, la bouchegrande, le regard même immobilisé, sent que des yeux fouillentl’ombre.
-Poil de Carotte, est-tu là?
Les tempes bosselées, il souffre. Il va crier d’angoisse.
-Il n’y est pas, le petit animal. Où diable est-il?
On s’éloigne, et le corps de Poil de Carotte se dilate un peu,reprend de l’aise. Sa pensée parcourt encore de longues routes desilence.
Mais un vacarme emplit ses oreilles. Au plafond, un moucherons’est pris dans une toile d’araignée, vibre et se débat. Etl’araignée glisse le long d’un fil. Son ventre a la blancheur d’unemie de pain. Elle reste un instant suspendue, inquiète,pelotonnée.
Poil de Carotte, sur la pointe des fesses, la guette, aspire audénouement, et quand l’araignée tragique fonce, ferme l’étoile deses pattes, étreint la proie à manger, il se dresse debout,passionné, comme s’il voulait sa part.
Rien de plus.
L’araignée remonte. Poil de Carotte se rassied, retourne en lui,en son âme de lièvre où il fait noir.
Bientôt, comme un filet d’eau alourdie par le sable, sarêvasserie, faute de pente, s’arrête, forme flaque et croupit.