Poil de carotte

Chapitre 43La pièce d’argent

I

Madame Lepic: Tu n’as rien perdu, Poil de Carotte?

Poil de Carotte: Non, maman.

Madame Lepic: Pourquoi dis-tu non, tout de suite, sans savoir?Retourne d’abord tes poches.

Poil de Carotte: Il tire les doublures de ses poches et lesregarde pendre comme des oreilles d’âne.

Ah! oui, maman! Rends-le-moi.

Madame Lepic: Rends-moi quoi? Tu as donc perdu quelque chose? Jete questionnais au hasard et je devine! Qu’est-ce que tu asperdu?

Poil de Carotte: Je ne sais pas.

Madame Lepic: Prends garde! tu vas mentir. Déjà tu divaguescomme une ablette étourdie. Réponds lentement. Qu’as-tu perdu?Est-ce ta toupie?

Poil de Carotte: Juste. Je n’y pensais plus. C’est ma toupie,oui, maman.

Madame Lepic: Non, maman. Ce n’est pas ta toupie. Je te l’aiconfisquée la semaine dernière.

Poil de Carotte: Alors, c’est mon couteau.

Madame Lepic: Quel couteau? Qui t’a donné un couteau?

Poil de Carotte: Personne.

Madame Lepic: Mon pauvre enfant, nous n’en sortirons plus. Ondirait que je t’affole. Pourtant nous sommes seuls. Je t’interrogedoucement. Un fils qui aime sa mère lui confie tout. Je parie quetu as perdu ta pièce d’argent. Je n’en sais rien, mais j’en suissûre. Ne nie pas. Ton nez remue.

Poil de Carotte: Maman, cette pièce m’appartenait. Mon parrainme l’avait donnée dimanche. Je la perds; tant pis pour moi. C’estcontrariant, mais je me consolerai. D’ailleurs je n’y tenais guère.Une pièce de plus ou de moins!

Madame Lepic: Voyez-vous ça, péroreur! Et je t’écoute moi, bonnefemme. Ainsi tu comptes pour rien la peine de ton parrain qui tegâte tant et qui sera furieux?

Poil de Carotte: Imaginons, maman, que j’ai dépensé ma pièce, àmon goût. Fallait-il seulement la surveiller toute ma vie!

Madame Lepic: Assez, grimacier! Tu ne devais ni perdre cettepièce, ni la gaspiller sans permission. Tu ne l’as plus;remplace-la, trouve-la, fabrique-la, arrange-toi. Trotte et neraisonne pas.

Poil de Carotte: Oui, maman.

Madame Lepic: Et je te défends de dire « oui, maman », defaire l’original; et gare à toi, si je t’entends chantonner,siffler entre tes dents, imiter le charretier sans souci. Ça neprend jamais avec moi.

 

II

Poil de Carotte se promène à petits pas dans les allées dujardin. Il gémit. Il cherche un peu et renifle souvent. Quand ilsent que sa mère l’observe, il s’immobilise ou se baisse et fouilledu bout des doigts l’oseille, le sable fin. Quand il pense quemadame Lepic a disparu, il ne cherche plus. Il continue de marcher,pour la forme, le nez en l’air.

Où diable peut-elle être, cette pièce d’argent? Là-haut, surl’arbre, au creux d’un vieux nid?

Parfois des gens distraits qui ne cherchent rien, trouvent despièces d’or. On l’a vu. Mais Poil de Carotte se traînerait parterre, userait des genoux et ses ongles, sans ramasser uneépingle.

Las d’errer, d’espérer il ne sait quoi, Poil de Carotte jette salangue au chat et se décide à rentrer dans la maison, pour prendrel’état de sa mère. Peut-être qu’elle se calme, et que si la piècereste introuvable, on y renoncera.

Il ne voit pas madame Lepic. Il l’appelle, timide:

-Maman, eh! maman!

Elle ne répond point. Elle vient de sortir et elle a laissé « ouvert le tiroir de sa table à ouvrage. Parmi les laines, lesaiguilles, les bobines blanches, rouges ou noires, Poil de Carotteaperçoit quelques pièces d’argent.

Elles semblent vieillir là. Elles ont l’air d’y dormir, rarementéveillées, poussées d’un coin à l’autre, mêlées et sans nombre.

Il y en a aussi bien trois que quatre, aussi bien huit. On lescompterait difficilement. Il faudrait renverser le tiroir, secouerdes pelotes. Et puis comment faire la preuve?

Avec cette présence d’esprit qui ne l’abandonne que dans lesgrandes occasions, Poil de Carotte, résolu, allonge le bras, voleune pièce et se sauve.

Le peur d’être surpris lui évite des hésitations, des remords,un retour périlleux vers la table à ouvrage.

Il va droit, trop lancé pour s’arrêter, parcourt les allées,choisit sa place, y « perd » la pièce, l’enfonce d’un coup de talon,se couche à plat ventre et, le nez chatouillé par les herbes, ilrampe selon sa fantaisie, il décrit des cercles irréguliers, commeon tourne, les yeux bandés, autour de l’objet caché, quand lapersonne qui dirige les jeux innocents se frappe anxieusement lesmollets et s’écrie:

-Attention! ça brûle, ça brûle!

 

III

Poil de Carotte:

Maman, maman, je l’ai.

Madame Lepic: Mois aussi.

Poil de Carotte: Comment? la voilà.

Madame Lepic: La voici.

Poil de Carotte: Tiens! fais voir.

Madame Lepic: Fais voir, toi.

Poil de Carotte Il montre sa pièce. Madame Lepic montre lasienne. Poil de Carotte les manie, les compare et apprête saphrase. C’est drôle. Où l’as-tu retrouvée, toi, maman? Moi, lel’ai retrouvée dans cette allée, au pied du poirier. J’ai marchévingt fois dessus, avant de la voir. Elle brillait. J’ai crud’abord que c’était un morceau de papier, ou une violette blanche.Je n’osais pas la prendre. Elle sera tombée de ma poche, un jourque je me roulais sur l’herbe, faisant le fou. Penche-toi, maman,remarque l’endroit où la sournoise se cachait, son gîte. Elle peutse vanter de m’avoir causé du tracas.

Madame Lepic: Je ne dis pas non. Moi je l’ai trouvée dans tonautre paletot. Malgré mes observations, tu oublies encor de vidertes poches, quand tu changes d’effets. J’ai voulu te donner uneleçon d’ordre. Je t’ai laissé chercher pour t’apprendre. Or, ilfaut croire que celui qui cherche trouve toujours, car maintenanttu possèdes deux pièces d’argent au lieu d’une seule. Te voilàcousu d’or. Tout est bien qui finit bien, mais je te préviens quel’argent ne fait pas le bonheur.

Poil de Carotte: Alors, je peux aller jouer, maman?

Madame Lepic: Sans doute. Amuse-toi, tu ne t’amuseras jamaisplus jeune. Emporte tes deux pièces.

Poil de Carotte: Oh! maman, une me suffit, et même je te prie deme la serrer jusqu’à ce que j’en aie besoin. Tu seraisgentille.

Madame Lepic: Non, les bons comptes font les bons amis. Gardetes pièces. Les deux t’appartiennent, celle de ton parrain etl’autre, celle du poirier, à moins que le propriétaire ne laréclame. Qui est-ce? Je me creuse la tête. Et toi, as-tu uneidée?

Poil de Carotte: Ma foi non et je m’en moque, j’y songeraidemain. A tout à l’heure, maman, et merci.

Madame Lepic: Attends! si c’était le jardinier?

Poil de Carotte: Veux-tu que j’aille vite le lui demander?

Madame Lepic: Ici, mignon, aide-moi. Réfléchissons. On nesaurait soupçonner ton père de négligence, à son âge. Ta soeur metses économies dans sa tirelire. Ton frère n’a pas le temps deperdre son argent, un sou fond entre ses doigts. Après tout, c’estpeut-être moi.

Poil de Carotte: Maman, cela m’étonnerait; tu ranges sisoigneusement tes affaires.

Madame Lepic: Des fois les grandes personnes se trompent commeles petites. Bref, je verrai. En tout cas ceci ne concerne que moi.N’en parlons plus. Cesse de t’inquiéter; cours jouer, mon gros, pastrop loin, tandis que je jetterai un coup d’oeil dans le tiroir dema table à ouvrage.

Poil de Carotte, qui s’élançait déjà, se retourne, il suitdes yeux un instant sa mère qui s’éloigne. Enfin, brusquement, illa dépasse, se campe devant elle et, silencieux, offre unejoue.

Madame Lepic:

Sa main droite levée, menace ruine.

Je te savais menteur, mais je ne te croyais pas de cette force.Maintenant, tu mens double. Va toujours. On commence par voler unoeuf. Ensuite on vole un boeuf. Et puis on assassine sa mère.La première gifle tombe.

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