Le Comte de Moret – Tome II

VIII

LE MOYEN DE VAUTHIER.

Quoiqu’il eût son appartement chez la reine-mère, c’est-à-dire au palais du Luxembourg, le roi était rentré au Louvre pour échapper aux obsessions dont il sentait bien qu’il ne pouvait manquer d’être l’objet, de la part des deux reines.

Et, en effet, quoique rentré chez elle, Marie de Médicis eût écouté avec la plus grande attention et approuve le projet que lui avait exposé Vauthier, avant de recourir à ce projet elle résolut de faire une seconde tentative sur son fils.

Quant à Louis XIII, comme nous l’avons dit, il était resté chez lui, et, à peine rentré, il avait fait appeler d’Angély.

Mais il avait d’abord demandé si M. de Baradas n’avait rien dit ou fait dire.

Baradas avait gardé le silence le plus complet.

C’était ce silence dans lequel s’obstinait à demeurer le page boudeur, qui avait causé la mauvaise humeur du roi au conseil, mauvaise humeur qui n’avait point échappé à Vauthier, mauvaise humeur dont il connaissait la cause, cause sur laquelle il avait basé tout son plan de campagne.

Ainsi Louis XIII qui s’était assez peu avancé avec Mlle de Lautrec, se promettait-il de suivre le conseil de l’Angély et d’aller en avant, jusqu’à ce que le bruit de cette fantaisie arrivât jusqu’à Baradas, que la crainte de perdre son crédit devait à l’instant même, selon l’Angély, ramener aux pieds du roi.

Mais il surgissait dans ce projet un empêchement inattendu dont le roi n’avait pu se rendre compte, et dont personne n’avait pu lui donner l’explication ; la veille au soir, quoiqu’elle fût de service, Mlle de Lautrec n’était point venue au cercle de la reine, et Louis XIII, en interrogeant celle-ci, n’avait eu d’autre réponse que quelques mots exprimant le plus grand étonneraient de la part d’Anne d’Autriche. De toute la journée Mlle de Lautrec n’avait point paru au Louvre, la reine l’avait inutilement fait chercher dans sa chambre et partout dans le palais, personne ne l’avait, vue et n’avait pu en donner des nouvelles.

Aussi le roi, intrigué de cette absence, avait-il chargé l’Angély d’en prendre des informations de son côté, et c’était pour cela particulièrement qu’aussitôt son retour il avait fait demander son fou.

Mais l’Angély n’avait pas été plus heureux que les autres, il revenait sans aucun renseignement précis.

Au point de vue de son penchant pour Mlle de Lautrec, la chose était à peu près indifférente à Louis XIII ; mais il n’en était pas de même au point de vue de Baradas : le moyen avait paru si infaillible à l’Angély, que le roi avait fini par croire lui-même à son infaillibilité.

Il se désespérait donc, accusant le destin de prendre un soin tout particulier de s’opposer à tout ce qu’il désirait, lorsque Beringhen gratta doucement à la porte ; le roi reconnut la manière de gratter de Beringhen, et pensant que c’était une personne de plus – et une personne du dévouement de laquelle il était sûr – à consulter, il répondit d’une voix assez bienveillante :

– Entrez.

M. le Premier entra.

– Que me veux-tu, Beringhen ? demanda le roi ; ne sais-tu point que je n’aime pas à être dérangé quand je m’ennuie avec l’Angély ?

– Je n’en dirai pas autant, fit l’Angély, et vous êtes le bienvenu, M. Beringhen.

– Sire, dit le valet de chambre, je ne me permettrais pas de déranger Votre Majesté quand elle m’a dit qu’elle voulait s’ennuyer tranquillement, pour quelqu’un qui n’aurait pas tout droit de me donner des ordres ; mais j’ai dû obéir à LL MM. la reine Marie de Médicis et la reine Anne d’Autriche.

– Comment ! s’écria Louis XIII, les reines sont là ?

– Oui, Sire.

– Toutes deux ?

– Oui, Sire.

– Et elles veulent me parler ensemble ?

– Ensemble, oui, sire.

Le roi regarda autour de lui, comme s’il cherchait de quel côté il pourrait fuir, et peut-être eût il cédé à son premier mouvement, si la porte ne se fût point ouverte et si Marie de Médicis ne fût point entrée suivie de la reine Anne d’Autriche.

Le roi devint très pâle et fut pris d’un petit tremblement fébrile, auquel il était sujet quand il subissait une grande contrariété ; mais alors il se roidissait en lui-même et devenait inaccessible à la prière.

En ce cas-là, il faisait face au danger, avec l’immobilité et le sombre entêtement d’un taureau qui présente les cornes.

Il se retourna vers sa mère comme vers l’antagoniste le plus dangereux :

– Par ma foi de gentilhomme, madame, je croyais la discussion finie avec le conseil, et que, le conseil fini, j’échapperais à de nouvelles persécutions. Que me voulez-vous ? dites vite.

– Je veux, mon fils, dit Marie de Médicis, tandis que la reine, les mains jointes, semblant s’unir par une prière mentale aux prières de sa belle mère, – je veux que vous ayez pitié sinon de nous que vous désespérez, du moins de vous-même. Ce n’est donc pas assez que, faible et souffrant comme vous l’êtes, cet homme vous ait tenu six mois dans les marais de l’Aunis ; le voilà maintenant qui veut vous faire essuyer les neiges des Alpes pendant les plus grandes rigueurs de l’hiver.

– Eh ! madame, dit le roi, les fièvres de marais, auxquelles Dieu a permis que j’échappasse, M. le cardinal ne les a-t-il point bravées comme moi, et direz-vous qu’en m’exposant il se ménage ? Ces neiges, ces froideurs des Alpes, dois-je les supporter seul, et ne sera-t-il pas là, à mes côtés, pour donner avec moi aux soldats, l’exemple du courage, de la constance et des privations ?

– Je ne conteste pas, mon fils ; l’exemple fut en effet donné par M. le cardinal en même temps que par vous ; mais comparez-vous l’importance de votre vie à la sienne ? Dix ministres comme M. le cardinal peuvent mourir sans que la monarchie soit une minute ébranlée ; mais vous, à la moindre indisposition, la France tremble, et votre mère et votre femme supplient Dieu de vous conserver à la France et à elles !

La reine Anne d’Autriche se mit à genoux en effet.

– Monseigneur, dit-elle, nous sommes non-seulement à genoux devant le Seigneur Dieu, mais devant vous, pour vous supplier comme nous supplierions Dieu, de ne pas nous abandonner. Songez que ce que Votre Majesté regarde comme un devoir est pour nous l’objet d’une terreur profonde, et en effet, s’il arrivait malheur à Votre Majesté qu’arriverait-il de nous et de la France ?

– Le Seigneur Dieu, en permettant ma mort, en aurait prévu les suites et serait là pour y pourvoir, madame. Il est impossible de rien changer aux résolutions prises.

– Et pourquoi cela ? demanda Marie de Médicis ; est-il donc besoin, puisque cette malheureuse guerre est décidée contre notre avis à tous…

– À toutes ! vous voulez dire, madame, interrompit le roi.

– Est-il donc besoin, continua Marie de Médicis, sans relever l’interruption, que vous la fassiez en personne ; n’avez-vous donc point votre ministre bien-aimé ?

– Vous savez, interrompit une seconde fois le roi, que je n’aime point M. le cardinal, madame ; seulement je le respecte, je l’admire et le regarde, après Dieu, comme la providence de ce royaume.

– Eh bien ! Sire, la Providence veille sur les États de loin comme de près ; chargez votre ministre de la conduite de cette guerre et restez près de nous et avec nous.

– Oui, n’est-ce pas, pour que l’insubordination se mette dans les autres chefs, pour que vos Guise, vos Bassompierre, vos Bellegarde refusent d’obéir à un prêtre et compromettent la fortune de la France. Non, madame, pour qu’on reconnaisse le génie de M. le cardinal, il faut que je le reconnaisse tout le premier. – Ah ! s’il y avait un prince de ma maison auquel je pusse me fier.

– N’avez-vous pas votre frère ? N’avez-pas Monsieur ?

– Permettez-moi de vous dire, madame, que je vous trouve bien tendre à l’endroit d’un fils désobéissant et d’un frère révolté.

– Et c’est justement, mon fils, pour faire rentrer dans notre malheureuse famille la paix, qui semble exilée, que je suis si tendre à l’endroit de ce fils, qui, je l’avoue, par sa désobéissance, mériterait d’être puni au lieu d’être récompensé. Mais il est des moments suprêmes où la logique cesse d’être la règle conductrice de la politique et où il faut passer à côté de ce qui serait juste, pour arriver à ce qui est bon, et Dieu lui-même nous donne parfois l’exemple de ces erreurs nécessaires, en récompensant ce qui est mauvais, en punissant ce qui est bon. Nommez, Sire, nommez votre ministre chef de la guerre, et mettez sous ses ordres Monsieur comme lieutenant-général, et j’ai la certitude que si vous accordez cette faveur à votre frère, il renoncera à son amour insensé et consentira au départ de la princesse Marie.

– Vous oubliez, madame, dit Louis XIII en fronçant le sourcil, que je suis le roi, et par conséquent le maître ; que, pour que ce départ ait lieu, et il devrait avoir eu lieu depuis longtemps, il suffit, non pas que mon frère consente, mais que j’ordonne ; c’est lutter contre mon pouvoir que de paraître consentir à faire une chose que j’ai le droit de commander. Ma résolution est prise, madame ; à l’avenir, je commanderai, et il faudra se contenter de m’obéir. C’est ainsi que j’agis depuis deux ans, c’est-à-dire depuis le voyage d’Amiens dit le roi, en appuyant sur ces mots et en regardant la reine Anne d’Autriche, et depuis deux ans je m’en trouve bien.

Anne, qui était restée aux genoux du roi, se releva à ces dures paroles et fit un pas en arrière en portant ses mains à ses yeux, comme pour cacher, ses larmes.

Le roi fit un mouvement pour la retenir ; mais ce mouvement fut à peine visible, et il le réprima immédiatement.

Cependant, sa mère le remarqua, et lui saisissant les mains :

– Louis, mon enfant, lui dit-elle, ce n’est plus une discussion, c’est une prière ; ce n’est plus une reine qui parle au roi, c’est une mère qui parle à son fils. Louis, au nom de mon amour, que vous avez méconnu quelquefois, mais auquel vous avez toujours fini par rendre justice, cédez à nos supplications ; vous êtes le roi, c’est-à-dire qu’en vous résident tout pouvoir et toute sagesse ; revenez à votre première décision, et, croyez-le bien, non seulement votre femme et votre mère, mais la France vous en seront reconnaissantes.

– C’est bien, madame, dit le roi, pour terminer une discussion qui le fatiguait, la nuit porte conseil, et je réfléchirai cette nuit à tout ce que vous m’avez dit.

Et il fit à sa mère et à sa femme un de ces saluts comme en savent faire les rois, et qui disent que l’audience est terminée.

Les deux reines sortirent, Anne d’Autriche s’appuyait sur le bras de la reine mère, mais à peine eurent-elles fait vingt pas dans le corridor qu’une porte s’ouvrit, et qu’à travers l’entre bâillement de cette porte parut la tête de Gaston d’Orléans.

– Eh bien ? demanda-t-il.

– Eh bien ! dit la reine-mère, nous avons fait ce que nous avons pu, c’est à vous de faire le reste.

– Savez-vous où est l’appartement de M. de Baradas ? demanda le duc.

– Je m’en suis informée : la quatrième porte à gauche, presque en face de la chambre du roi.

– C’est bien, dit Gaston, quand je devrais lui promettre mon duché d’Orléans, il fera ce que nous voulons ; quitte après, bien entendu, à ne pas le lui donner.

Et les deux reines et le jeune prince se quittèrent, les reines rentrant dans leur appartement, S. A. R. Gaston d’Orléans marchant dans le sens opposé et gagnant sur la pointe du pied l’appartement de M. de Baradas.

Nous ignorons ce qui se passa entre Monsieur et le jeune page, si Monsieur lui promit le duché d’Orléans, ou l’un de ses duchés de Dombes ou de Montpensier ; mais, ce que nous savons, c’est qu’une demi-heure après être entré dans la tente d’Achille, l’Ulysse moderne regagnait, toujours sur la pointe du pied, l’appartement des deux reines, dont il ouvrait la porte d’un air joyeux et en disant d’une voix pleine d’espérance :

– Victoire ! il est chez le roi.

Et, en effet, presque au même instant, surprenant Sa Majesté au moment où elle s’y attendait le moins, M. de Baradas ouvrait, sans se donner la peine de gratter selon l’étiquette, la porte du roi Louis XIII, qui jetait un cri de joie en reconnaissant son page et le recevait à bras ouverts.

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