Le Comte de Moret – Tome II

XIX

LES NOUVELLES DE LA COUR.

Les cinq actes de Mirame distribués, la recommandation, faite pour le cinquième à Colletet, les collaborateurs du cardinal prirent congé de lui, moins Corneille et Rotrou, qu’il garda une partie de la nuit pour leur dicter le plan complet des deux premiers acte.

Bois-Robert devait revenir dans la matinée du lendemain, et recevoir ses instructions et pour lui et pour ses deux autres compagnons, à qui il était chargé de les communiquer.

Corneille et Rotrou couchèrent à Chaillot.

Le lendemain matin, ils déjeunèrent avec le cardinal, qui leur fit ses dernières recommandations. Pendant le déjeuner, Bois-Robert arriva, Corneille et Rotrou prirent congé ; Bois-Robert resta.

Le cardinal n’avait pas de secrets pour Bois-Robert, et Bois-Robert avait pu voir, malgré l’affectation du cardinal à ne s’occuper que de sa tragédie, quelle préoccupation profonde se cachait derrière cette frivole occupation.

Bois-Robert avait communiqué avec Charpentier et avec Rossignol ; il avait su le retour de Beautru, de La Saladie et de Charnassé. Il avait été trouver le Père Joseph dans son couvent, et dès la veille il avait pu dire au cardinal quelle avait été la réponse du moine ; cette réponse avait fort réjoui Richelieu, qui avait confiance entière dans la discrétion, mais non pas dans l’ambition du moine, qui, en effet, plus tard le trahit, mais qui avait jugé que l’heure de la trahison n’était pas venue encore ; enfin il savait que Souscarrières et Lopez devaient faire leurs rapports dans la journée.

Donc, tout espoir de revoir le roi n’était point perdu, et cette troisième journée que le cardinal avait fixée pour terme à ses espérances, n’était pas encore écoulée.

Vers deux heures, on entendit le galop d’un cheval, le cardinal courut à la fenêtre, quoiqu’il fût bien sûr que le cavalier ne pouvait être le roi.

Si sûr de lui même que fut le cardinal, il ne put retenir un cri de joie : un jeune homme, portant le costume des pages du roi, sauta lestement à bas de son cheval, jeta la bride au bras d’un laquais du cardinal qui reconnut Saint-Simon, cet ami de Barradas qui avait donné un si important avis à Marion de Lorme.

– Bois-Robert, dit vivement le cardinal, faites entrer ce jeune homme près de moi et veillez à ce que personne ne nous interrompe.

Bois-Robert se précipita par les escaliers, et presque aussitôt, on entendit le pas rapide du jeune homme qui montait les degrés quatre à quatre.

À la porte de la chambre, où l’attendait le cardinal, il se trouva face à face avec lui.

Le jeune homme s’arrêta court, arracha plutôt qu’il ne souleva son chapeau de sa tête et mit un genou en terre devant le cardinal.

– Que faites-vous, monsieur ? lui demanda en riant le cardinal, je ne suis pas le roi.

– Vous ne l’êtes plus, monseigneur, c’est vrai ; mais avec l’aide de Dieu, dit le jeune homme, vous allez le redevenir.

Un frisson de plaisir courut par les veines du cardinal.

– Vous m’avez rendu service, monsieur, dit-il, et si je redeviens ministre, ce que j’aurais peut-être tort de désirer, je tâcherai d’oublier mes ennemis, mais je vous promets de me souvenir de mes amis. Avez-vous quelque chose de bon à m’annoncer ? Mais relevez-vous donc je vous prie.

– Je viens de la part d’une belle dame que je n’ose pas nommer devant monseigneur, reprit Saint Simon en se relevant.

– C’est bien, dit le cardinal, je devinerai.

– Elle m’a chargé de dire à Votre Éminence qu’elle verrait le roi vers trois heures, et qu’elle serait bien étonnée si, à trois heures et demie, le roi n’était pas chez vous.

– Cette dame, dit Richelieu, n’est probablement pas de la cour ou ne va pas à la cour, car elle ignore les règles de l’étiquette, sinon elle ne supposerait pas que le roi pût visiter le plus humble de ses sujets.

– Cette dame n’est point de la cour, c’est vrai, dit Saint-Simon ; elle ne va pas à la cour, c’est vrai encore ; mais beaucoup de gens de la cour vont chez elle et se tiennent honorés d’y aller : il en résulte que je croirais fort à ses prédictions si elle me faisait l’honneur de m’en faire quelqu’une.

– Ne vous en a-t-elle jamais fait ?

– À moi, monseigneur ? dit Saint-Simon en riant du rire franc de la jeunesse et en montrant des dents magnifiques.

– Oui ; ne vous a-t-elle jamais dit que si, selon toute probabilité, M. Baradas tombait en défaveur du roi, ce serait M. de Saint Simon qui lui succéderait, et qu’à l’avancement de ce jeune homme certain cardinal qui fut ministre et que l’on prétend devoir le redevenir, ne s’opposerait point, mais aiderait, au contraire !

– Elle m’a dit quelque chose comme cela monseigneur ; mais ce n’était point une prédiction, c’était une promesse, et je me fie moins aux promesses de Marion Delorme !… Ah ! mon Dieu, voilà que, sans le vouloir, je l’ai nommée.

– Je suis comme César, dit Richelieu, j’ai l’oreille droite un peu dure, je n’ai point entendu.

– Pardon, monseigneur, dit Saint-Sinon, je croyais que c’était l’oreille gauche dont César entendait mal ?

– C’est possible, répondit le cardinal, mais en tous cas, j’ai un avantage sur lui ; je suis sourd de celle de laquelle je ne veux pas entendre ; mais vous venez de la cour, quelles nouvelles ? Bien entendu que je ne vous demande que les nouvelles que chacun sait, et que je ne sais point, habitant Chaillot, c’est-à-dire la province.

– Les nouvelles ? dit Saint-Simon, mais les voici en quelques mots ; il y a trois jours, M. le cardinal a donné sa démission, et il y avait fête au Louvre.

– Je sais cela.

– Le roi a fait des promesses à tout le monde. Cinquante mille écus au duc d’Orléans, soixante mille livres à la reine-mère, trente mille livres à la reine régnante.

– Et les leur a-t-il donnés ?

– Non et voilà l’imprudence. Les augustes donataires s’en sont rapportés à la parole du roi, et, au lieu de lui faire signer, des bons, séance tenante, sur un certain intendant nommé Charpentier, ils se sont contentés de la promesse du roi, mais…

– Mais ?

– Mais le lendemain, en rentrant de la place Royale, le roi n’a vu personne et s’est enfermé chez lui, où il a dîné tête à tête avec l’Angély, auquel il a offert trente mille livres, que l’Angély a refusé tout net.

– Ah !

– Cela étonne Votre Éminence ?

– Non.

– Alors il a fait venir Baradas, auquel il a promis trente mille livres ; mais Baradas, moins confiant que Monsieur, que S. M. la reine-mère, que S. M. la reine régnante, s’est fait signer un bon tout de suite et a été le toucher dans la soirée.

– Mais les autres ?

– Les autres attendent toujours ; ce matin il y a eu conseil au Louvre ; le conseil s’est composé de Monsieur, de la reine-mère, de la reine régnante, de Marcillac les sceaux, de Marcillac l’épée, de La Vieuville, qui rage toujours, vu que le roi a remis à M. Charpentier la clef du trésor, de M. de Bassompierre, et je ne sais plus trop de qui.

– Le roi… le roi…

– Le roi ? répéta Saint-Simon.

– A-t-il assisté au conseil ?

– Non, monseigneur, le roi a fait dire qu’il était malade.

– Et de quoi a-t-il été question, le savez-vous ?

– De la guerre, probablement.

– Qui vous les fait croire ?

– Mgr Gaston est sorti furieux d’un mot que lui a dit M. de Bassompierre.

– Voyons le mot ?

– Mgr Gaston, en sa qualité de lieutenant général, traçait la marche de l’armée ; il s’agissait de traverser une rivière, la Durance, je crois.

– Où la traverserons-nous ? demanda Bassompierre.

– Là ! monsieur, répondit Mgr Gaston en posant son doigt sur la carte.

– Je vous ferai observer, monseigneur, que votre doigt n’est point un pont, a dit Bassompierre ; de sorte que Mgr Gaston est sorti furieux du conseil.

Un sourire de joie illumina le visage de Richelieu.

– Je ne sais à qui tient, dit-il, que je ne leur laisse passer les rivières où ils voudront, et que je ne me tienne à l’écart pour rire à mon aise de leurs désastres.

– Dont vous ne ririez, pas, monseigneur, dit Saint-Simon, d’un ton plus grave qu’on ne pouvait l’attendre de lui.

Richelieu le regarda.

– Car leur désastre, continua le jeune homme, leur désastre serait celui de la France.

– Bien, monsieur, dit le duc, et je vous remercie ; vous dites donc que le roi n’a vu personne de sa famille depuis avant-hier.

– Personne, monseigneur, je vous l’affirme.

– Et que M. Baradas a seul touché ses trente mille livres.

– De cela, je suis sûr, il m’a fait appeler au bas de l’escalier pour l’aider à transporter toute sa richesse chez lui.

– Et que va-t-il faire de ses trente mille livres ?

– Rien encore, monseigneur ; mais par une lettre il a offert à Marion Delorme, puisque j’ai dit son nom une fois, je puis le répéter une seconde, n’est-ce pas, monseigneur ?

– Oui. Qu’a-t-il offert à Marion Delorme ?

– De les manger avec elle.

– Et comment lui a-t-il fait cette offre ? de vive voix ?

– Non, par lettre, heureusement.

– Et Marion a gardé cette lettre, j’espère ; elle a cette lettre entre les mains.

Saint-Simon tira sa montre.

– Trois heures et demie, dit-il, en regardant sa montre ; à cette heure-ci, elle doit s’en être dessaisie.

– Pour qui ? demanda vivement le cardinal ?

– Mais pour le roi ! monseigneur.

– Pour le roi !

– Voilà ce qui lui faisait croire que la journée ne se passerait pas sans que vous revissiez Sa Majesté.

– Ah ! je comprends, maintenant.

En ce moment, le bruit d’une voiture arrivant à fond de train se fit entendre.

Le cardinal s’appuya, pâlissant, à un fauteuil.

Saint-Simon courut à la fenêtre :

– Le roi ! cria-t-il.

Au même instant, la porte donnant sur l’escalier s’ouvrit, et Bois-Robert se précipita dans la chambre, criant :

– Le roi !

La porte de Mme de Combalet s’ouvrit, et d’une voix tremblante d’émotion :

– Le roi ! murmura-t-elle.

– Allez tous, dit le cardinal, et laissez-moi seul avec Sa Majesté.

Chacun disparut par une porte, tandis que le cardinal s’essuyait le front.

Alors on entendit des pas dans l’escalier, ces pas montaient les degrés marche à marche et d’une manière mesurée.

Guillemot parut sur la porte et annonça :

– Le roi !

– Ah ! par ma foi, murmura le cardinal, décidément, c’est un grand diplomate que ma voisine Marion Delorme.

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