Le Comte de Moret – Tome II

XXIV

LE BILLET ET LES PINCETTES.

Et, en effet, Mlle Henriette de Hautefort était merveilleusement belle. C’était une blonde du Midi que, pour son teint rose et ses cheveux rutilants, comme l’avait dit Mme de Fargis, on l’appelait l’Aurore.

C’était Vaultier qui l’avait découverte dans un voyage en Périgord, et alors, en ayant conçu la possibilité par ces soins d’un jour que le roi avait donnés à Mlle de Lautrec, il avait eu l’idée de rendre sérieusement amoureux ce malade saigné à blanc, ce roi fantôme.

Il avait tout arrangé d’avance, s’était assuré qu’aucun parent, aucun amant, aucun ami ne s’opposerait au dévouement de la jeune fille ; mais sur le conseil de la reine Marie, il avait attendu le retour de Mme de Fargis, pensant qu’il n’y avait, qu’elle qui put présenter à la reine cette tasse d’absinthe en la frottant de miel.

On a vu de quelle manière la reine l’avait avalée.

Mais lorsqu’elle vit la belle jeune fille se jeter à ses pieds les bras tendus, en s’écriant :

« Tout, tout pour vous, ma reine ! » elle vit bien que cette fraîche beauté, que cette douce voix, ne pouvait mentir, et elle la releva avec bienveillance.

Dans la même soirée, tout fut arrêté. Mlle de Hautefort tâcherait de se faire aimer du roi et, une fois aimée, userait de toute l’influence que lui donnerait l’amour du roi, pour le ramener à la reine, et lui faire renvoyer le cardinal de Richelieu.

Il ne s’agissait que de faire apparaître la belle dévouée dans des conditions de mise en scène qui ravissent Louis XIII.

Les reines annoncèrent que le roi étant à Fontainebleau, elles y iraient faire leurs pâques avec lui.

Et, en effet, elles arrivèrent la veille du dimanche des Rameaux.

Le lendemain, le roi entendit la messe dans la chapelle du château, où tout le monde était appelé à entendre la messe avec Sa Majesté. À quelques pas de lui éclairée par un rayon de soleil, à travers des vitraux peints qui lui faisaient une auréole d’or et de pourpre, était une jeune fille à genoux sur la dalle nue.

Lui, le roi, avait les genoux moelleusement posés sur un coussin à glands d’or.

Son instinct de chevalier se réveilla. Il eut honte d’avoir un carreau sous les genoux, tandis que cette belle jeune fille n’en avait pas. Il appela un page et lui fit porter le sien.

Mlle de Hautefort rougit ; mais ne se jugeant pas digne d’appuyer ses genoux sur le coussin où le roi avait appuyé les siens, elle se leva, salua Sa Majesté, mais déposa respectueusement le coussin sur sa chaise, et tout cela avec un grand air et cette noblesse virginale et hardie des femmes du midi.

Cette grâce toucha le roi ; une fois déjà, dans sa vie, il avait été pris à l’improviste, mais avec moins de raisons de l’être, ce qui n’en explique que mieux l’impression que, sur cet homme inexplicable, produisit Mlle de Hautefort. Dans je ne sais quel voyage, il avait, dans une petite ville, accepté du bal ; vers la fin de la soirée, une des danseuses nommée Catin Gau, monta sur un siége pour prendre avec ses doigts, dans un chandelier de bois, non pas un bout de bougie, mais un bout de chandelle de suif. Le roi, lorsqu’on le raillait sur son éloignement pour les femmes, racontait toujours cette aventure, disant que l’héroïne de cette courte aventure avait fait cela de si bonne grâce, qu’il en était devenu amoureux et, en partant pour la ville, lui avait fait donner trente mille livres pour sa vertu.

Seulement, il ne disait pas si cette vertu avait été attaquée par lui et s’était défendue de manière à gagner les trente mille livres.

Le roi fut donc pris non moins subitement par la belle Henriette de Hautefort qu’il l’avait été par la vertueuse Catin Gau ! À peine rentré au château, il s’informa quelle était la ravissante personne qu’il avait vue à l’église, et il apprit que c’était la petite-fille d’une madame de Flotte, qui était entrée la veille chez la reine Marie de Médicis comme gouvernante de ses filles.

Et dès le jour même, au grand étonnement de tout le monde et à la grande satisfaction des intéressés, il s’était fait un changement complet dans les façons du roi. Au lieu de se tenir enfermé dans sa chambre la plus sombre, comme il faisait depuis plus d’un mois au Louvre et depuis plus de huit jours à Fontainebleau, il était sorti en voiture, s’était promené dans les endroits les plus fréquentés du parc, comme s’il y eût cherché quelqu’un, et de soir, il était venu chez les reines, ce qu’il n’avait point fait depuis le départ de Mlle de Lautrec, avait passé la soirée à causer avec la belle Henriette, s’était informé si elle y serait le lendemain. Le lendemain, sur sa réponse affirmative, il avait expédié un courrier à Bois Robert afin qu’il vint en toute hâte le rejoindre à Fontainebleau.

Bois-Robert accourut tout étonné de cette marque de faveur, à laquelle il se fût parfaitement attendu de la part de Richelieu, mais non de celle du roi. Mais son étonnement fut bien plus grand encore lorsque, conduisant Bois-Robert dans l’embrasure d’une fenêtre, il lui montra Mlle de Hautefort qui se promenait sur la terrasse et lui dit qu’il lui fallait des vers pour cette belle personne-là.

Tout étonné qu’il fût, Bois-Robert ne se le fit point redire deux fois. Il loua fort la beauté de Mlle de Hautefort et, apprenant qu’on l’avait surnommée l’Aurore, déclara qu’il eût beau chercher, il n’eût pu trouver un nom qui convînt mieux à cette matinale beauté.

Le nom lui fournit, au reste, le sujet de ses vers.

Louis XIII, sous le nom d’Apollon, Apollon était le dieu de la lyre, et Louis XIII, on le sait, faisait et même composait de la musique, Louis XIII, sous le nom d’Apollon, suppliait l’Aurore de ne point se lever si matin et de ne pas s’évanouir si vite. Depuis le commencement du monde, amoureux d’elle, il la poursuivait sur un char attelé de quatre chevaux, sans jamais pouvoir l’atteindre, la voyant disparaître au moment où il étendait la main pour la saisir.

Le roi prit les vers, les lut et les approuva sauf un point.

– Ils vont bien, le Bois, dit-il, mais il faudrait supprimer le mot désirs.

– Et pourquoi cela, Majesté ? demanda Bois-Robert.

– Mais, parce que je ne désire rien.

À ceci il n’y avait rien à répondre. Bois-Robert supprima les désirs, et tout fut dit.

Quant au roi, il fit de la musique sur les paroles de Bois-Robert, et musique et paroles furent exécutées et chantées par ses deux musiciens attitrés, Moulinier et de Justin, qui, cette fois, vu la solennité, mirent leur costume complet.

Les deux reines et particulièrement Anne d’Autriche applaudirent fort la poésie de Bois-Robert et la musique du roi.

Louis XIII fit ses pâques ; son confesseur, Suffren, mis au courant de la situation, alla au-devant des scrupules de Sa Majesté, lui citant les exemples des patriarches qui avaient été infidèles à leurs femmes sans attirer la colère du seigneur ; mais le roi répondit qu’il n’y avait avec lui rien à craindre de pareil, et qu’il aimait mademoiselle de Hautefort sans mauvaises pensées.

Ce n’était point l’affaire de la cabale Fargis et compagnie ; c’étaient, au contraire, les mauvaises pensées qu’elle voulait ; mais avec une imagination aussi vive que celle de la Fargis, on ne perdait point l’espoir de les lui inspirer.

En effet, les Pâques finies, et l’on attendait avec une certaine inquiétude cette époque, Louis XIII ne parla pas de continuer son voyage ; au contraire, il ordonna des chasses et des fêtes ; mais aux chasses comme aux fêtes, tout en s’occupant exclusivement de Mlle de Hautefort, il resta parfaitement respectueux vis-à-vis d’elle.

Restait une espérance, c’était de rendre le roi jaloux.

Il y avait de par le monde un certain M. d’Ecqueville Vassé, dont la famille descendait du président Hennequin. Quelques projets de mariage, mais sans engagement aucun de part et d’autre, avaient été échangés entre lui et Mlle de Hautefort, mais il était de la cour. Il était venu à Fontainebleau et s’était fait inviter avec autant plus de facilité que Mme de Fargis avait jeté les yeux sur lui pour en faire un instrument de jalousie. Et, en effet, M. d’Ecqueville avait voulu reprendre son ancienne position du prétendant, malgré cette cour bizarre que le roi faisait à sa prétendue.

Mais Louis XIII avait fait les gros yeux, avait interrogé Mlle de Hautefort et avait appris les quelques paroles en l’air échangées entre les deux femmes.

Louis XIII était devenu jaloux, et jaloux d’une femme !

Les deux reines et Mme de Fargis se réunirent.

Il s’agissait de trouver un moyen d’exploiter cette jalousie.

Ce fut Mme de Fargis qui l’indiqua.

Le soir, la petite naine Gretchen, que le roi ne pouvait pas sentir, remettrait à Mlle de Hautefort, assez maladroitement et pour que le roi s’en aperçût, un billet cacheté en poulet.

Le roi voudrait savoir de qui était le billet.

Le reste regardait la reine et Mlle de Hautefort.

Le soir, il y avait petit cercle chez Sa Majesté la reine Anne.

Le roi était assis près de Mlle de Hautefort, faisant des paysages en papier découpé.

Mlle de Hautefort était en grande toilette ; la reine avait voulu l’habiller elle-même ; elle portait une robe de satin blanc très décolletée ; ses bras plus blancs que sa robe, ses épaules éblouissantes attiraient les lèvres plus invinciblement que l’aimant n’attire le fer.

Le roi, de temps on temps, regardait ces bras, et ces épaules, voilà tout.

Fargis les dévorait.

– Ah Sire, murmura-t-elle à l’oreille du roi, si j’étais homme.

Louis XIII fronça le sourcil.

Anne d’Autriche, tout en jouant avec la garniture de la robe, découvrait encore cette belle statue de marbre rose.

En ce moment, la petite Gretchen se glissa à quatre pattes entre les jambes du roi. Louis crut que c’était Grisette, sa chienne favorite, et l’écarta du pied.

La naine poussa un cri comme si le roi lui eût marché sur la main.

Sa Majesté se leva ; Gretchen profita de ce moment pour glisser aussi maladroitement que la chose lui avait été recommandée le billet dans la main de Mlle de Hautefort.

Le roi ne perdit rien de ce manège.

L’idée de la comédie qu’elle jouait fit rougir la jeune fille, ce qui servit à merveille les intentions des conspiratrices.

Le roi vit le billet passer des mains de la naine dans la main de Henriette, et de la main de Henriette dans sa poche.

– La naine vous a remis un billet ? demanda-t-il.

– Vous croyez, Sire ?

– J’en fuis sûr.

Il se fit un petit silence.

– De qui ? demanda le roi.

– Je n’en sais rien, dit Mlle de Hautefort.

– Lisez-le, vous le saurez.

– Plus tard, Sire !

– Pourquoi plus tard ?

– Parce que je ne suis pas pressée.

– Mais moi je le suis.

– En tout cas, dit Mlle de Hautefort, il me semble, Sire, que je suis bien libre de recevoir des billets de qui je veux.

– Non.

– Comment, non ?

– Attendu…

– Attendu quoi ?

– Attendu…… attendu…… que je vous aime !

– Bon ! vous m’aimez ! dit Mlle de Hautefort en riant.

– Oui.

– Mais que dira Sa Majesté la reine ?

– Sa Majesté la reine prétend que je n’aime personne ; elle aura la preuve que j’aime quelqu’un.

– Bravo, Sire ! dit la reine, et à votre place, je voudrais savoir qui écrit à cette fille, et ce qu’on lui écrit.

– J’en suis désespérée, dit Mlle Hautefort en se levant, mais le roi ne le saura point.

Et elle se leva.

– C’est ce que nous verrons, dit le roi.

Et il se leva à son tour.

Mlle de Hautefort fit un bond de côté, le roi fit un mouvement pour la saisir. La porte du boudoir de la reine se trouvait derrière elle, elle s’y enfuit.

Louis XIII l’y suivit.

La reine suivit le roi en l’excitant.

– Gare à tes poches, Hautefort, dit la reine.

Et, en effet, le roi étendit les deux bras, avec l’intention visible de fouiller la jeune fille.

Mais elle, connaissant la chasteté du roi, tira le billet de sa poche, et, le mettant dans sa poitrine :

– Venez le prendre là, Sire, dit-elle.

Et avec l’impudeur de l’innocence, elle avança son sein à moitié nu vers le roi.

Le roi hésita ; les bras lui tombèrent.

– Mais prenez donc, sire, prenez donc, cria la reine en riant de toutes ses forces de l’embarras de son mari.

Et pour ôter toute défense à la jeune fille, elle lui saisit les deux mains et les amena derrière le dos de Mlle d’Hautefort en répétant :

– Mais prenez donc, prenez donc, Sire.

Louis regarda tout autour de lui, vit dans un sucrier des pincettes d’argent, les prit, et chastement, sans contact de son délicat asile, enleva la lettre.

La reine, qui ne s’attendait point à ce dénouement, lâcha les mains de Mlle d’Hautefort en murmurant :

– Je crois décidément que nous n’avons d’autre ressource que celle proposée par Fargis.

La lettre était de la mère de Mlle d’Hautefort.

Le roi la lut et tout honteux la lui rendit. Puis, tous trois rentrèrent dans le salon avec des sentiments bien différents.

La reine causait avec un officier qui arrivait de l’armée et qui apportait, disait-il, les nouvelles les plus importantes au roi.

– Le comte de Moret ! murmura la reine en reconnaissant le jeune homme qu’elle avait vu deux ou trois fois seulement, mais dont Mme de Fargis lui avait tant parlé. En vérité, il est très beau !

Puis, plus bas, avec un soupir :

– Il ressemble au duc de Buckingham, dit-elle.

S’en apercevait-elle seulement alors, ou lui plaisait-il de trouver une ressemblance entre le messager de Richelieu et l’ancien ambassadeur du roi d’Angleterre ?

FIN

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