Le Comte de Moret – Tome II

III

LE MAGASIN D’ILDEFONSE LOPEZ.

Nos lecteurs se rappelleront sans doute avoir vu dans le rapport de Souscarrières au cardinal que Mme de Fargis et l’ambassadeur d’Espagne, M. de Mirabel, avaient échangé un billet chez le lapidaire Lopez.

Or ce que ne savait point Souscarrières, c’est que le lapidaire Lopez appartenait corps et âme au cardinal, chose à laquelle il avait tout intérêt, car à son double titre de mahométan et de juif – il passait près des uns pour être juif, et près des autres pour être mahométan – il eût eu grand’peine à se tirer d’affaires sans avanies, malgré le soin qu’il avait de manger ostensiblement du porc tous les jours, pour prouver qu’il n’était sectateur ni de Moïse, ni de Mahomet, qui tous deux défendaient à leurs adeptes la chair du pourceau.

Et cependant, un jour, il avait failli payer cher la bêtise d’un maître des requêtes : accusé de payer en France des pensions pour l’Espagne, un maître des requêtes se présenta chez lui, visita ses registres, et y trouva cette inscription, qu’il déclara des plus compromettantes :

« Guadaçamilles per el senor de Bassompierre. »

Lopez, prévenu qu’il allait être accusé de haute trahison, de compte à demi avec le maréchal, courut chez Mme de Rambouillet, qui était, avec la belle Julie, une de ses meilleures pratiques ; il venait lui demander sa protection et lui dire que tout son crime était d’avoir porté sur son registre de demandes :

« Guadaçamilles por el senor de Bassompierre. »

Madame de Rambouillet fit descendre son mari, et lui exposa le cas. Celui-ci courut aussitôt chez le maître des requêtes, qui était de ses amis, auquel il affirma l’innocence de Lopez.

– Et cependant, mon cher marquis, la chose est claire, lui dit le maître des requêtes : Guadaçamilles.

Le marquis l’arrêta.

– Parlez-vous espagnol ? demanda-t-il au magistrat.

– Non.

– Savez-vous ce que veut dire : Guadaçamilles ?

– Non, mais par le nom seul, je préjuge que cela signifie quelque chose de formidable.

– Eh bien ! mon cher monsieur, cela signifie : Tapisserie de cuir pour M. de Bassompierre.

Le maître des requêtes n’y voulait point croire. Il fallut qu’on se procurât un dictionnaire espagnol et que le maître des requêtes y cherchât lui-même la traduction du mot qui l’avait tant préoccupé.

Le fait est que Lopez était d’origine mauresque ; mais les Maures ayant été chassés d’Espagne en 1610, Lopez avait été envoyé en France pour y plaider les intérêts des fugitifs et adressé à M. le marquis de Rambouillet, qui parlait espagnol. Lopez était un homme d’esprit ; il conseilla à des marchands de draps une opération à Constantinople : l’opération réussit ; les marchands lui firent, dans leurs bénéfices, une part sur laquelle il ne comptait pas : avec cette part, il acheta un diamant brut, le fit tailler, gagna dessus, de sorte que de toutes parts on lui envoyait des diamants bruts comme au meilleur tailleur de diamants qui existât. Il en résulta que toutes ces belles pierreries de l’époque lui passèrent par les mains, d’autant plus qu’il eut la chance de trouver un ouvrier encore plus habile que lui, qui consentit à s’engager à son service. Cet homme était tellement adroit que, lorsqu’il était nécessaire, il fendait un diamant en-deux.

Lorsqu’il s’était agi du siége de la Rochelle, le cardinal l’avait envoyé en Hollande pour faire faire des vaisseaux, et même pour en acheter de tout faits. À Amsterdam et à Rotterdam, il avait acheté une foule de choses venant de l’Inde et de la Chine, de façon qu’il avait en quelque sorte non-seulement importé, mais encore inventé le bric-à-brac en France.

Sa mission en Hollande ayant achevé de faire sa fortune, et tout le monde ayant ignoré la véritable cause du voyage, il avait pu appartenir à Mgr le cardinal sans que personne s’en doutât.

Lui aussi avait remarqué cette coïncidence de la visite de l’ambassadeur d’Espagne avec Mme de Fargis, et son tailleur de diamants avait vu le billet échangé, de sorte que le cardinal avait de son côté reçu un double avis, et comme l’avis de Lopez confirmait en tout point celui de Souscarrières, il en avait pris une plus grande estime pour l’intelligence de ce dernier.

Le cardinal savait donc, lorsque la reine, dans la matinée du 14, fit demander des chaises pour toute sa maison, qu’il était question, non-seulement d’une visite de femme qui veut acheter des bijoux, mais encore de reine qui veut vendre un royaume.

Aussi le 14 décembre, vers onze heures du matin, au moment où M. de Bassompierre plantait une lardoire dans le deltoïde de Baradas, et comme la reine était près de descendre, accompagnée de Mme de Fargis, d’Isabelle de Lautrec, de Mme de Chevreuse et de Patrocle, son premier écuyer, Mme Bellier, sa première femme de chambre, entra tenant d’une main une cage à perroquet recouverte d’une mante espagnole, et de l’autre, une lettre :

– Ah ! mon dieu ! que m’apportez-vous là ? demanda reine.

– Un cadeau que fait à Votre Majesté S. A. l’infante Claire-Eugénie.

– Alors, cela nous arrive de Bruxelles ? fit la reine.

– Oui, Votre Majesté, et voici la lettre de la princesse vous annonçant ce cadeau.

– Voyons d’abord, dit avec une curiosité féminine la reine en étendant la main vers la mante.

– Non pas, dit Mme de Bellier, tirant la cage en arrière, Votre Majesté doit d’abord lire la lettre.

– Et qui a porté la lettre et la cage ?

– Michel Danse, l’apothicaire de Votre Majesté. Votre Majesté sait que c’est lui qui est votre correspondant en Belgique. Voici la lettre de Son Altesse.

La reine prit la lettre, la décacheta et lut :

« Ma chère nièce, je vous envoie un perroquet merveilleux qui, pourvu que vous ne l’effarouchiez pas en le découvrant, vous fera un compliment en cinq langues différentes. C’est un bon petit animal, bien doux et bien fidèle. Vous n’aurez jamais, j’en suis sûre, à vous plaindre de lui.

« Votre tante dévouée,

« CLAIRE-EUGÉNIE. »

– Ah ! dit la reine – qu’il parle ! qu’il parle !

Aussitôt, une petite voix sortit de dessous, la mante, et dit en français :

– La reine, Anne d’Autriche est la plus-belle princesse du monde.

– Ah ! c’est merveilleux ! s’écria la reine. Je voudrais maintenant, mon cher oiseau, vous entendre parler espagnol.

À peine ce souhait était exprimé, que le perroquet disait :

– Yo qaiero dona Anna hacer por usted todo para que sus deseos lleguen.

– Maintenant en italien, dit la reine, Avez-vous quelque chose à me dire en italien ?

L’oiseau ne se fit point attendre, et l’on entendit la même voix, avec l’accent italien seulement dire :

– Dares la mia vita per la carissima patron a mia !

La reine battit les mains de joie.

– Et quelles sont les autres langues que parle encore mon perroquet ? demanda-t-elle.

– L’anglais et le hollandais, Majesté, répondit Mme de Bellier.

– En anglais, en anglais, dit Anne d’Autriche.

Et le perroquet, sans autre sommation, dit aussitôt :

– Give me your hand, and I shall give you my heart.

– Ah ! dit la reine, je ne comprends pas très bien. Vous savez l’anglais, ma chère Isabelle ?

– Oui, madame.

– Le perroquet a dit :

« Donnez-moi votre main, je vous donnerai mon cœur. »

– Oh ! bravo ! dit la reine. Et maintenant, quelle langue avez-vous dit qu’il parlait encore, Bellier ?

– Le hollandais, madame.

– Oh ! quel malheur ! s’écria la reine, personne ici ne sait le hollandais.

– Si fait, Votre Majesté ! répondit Mme de Fargis, Beringhen est de la Frise ; il sait le hollandais.

– Appelez Beringhen, dit la reine ; il doit être dans l’anti chambre du roi.

Mme de Fargis courut et ramena Beringhen.

C’était un grand et beau garçon, blond de cheveux, roux de barbe, moitié Hollandais, moitié Allemand, quoiqu’il eût été élevé en France, très-aimé du roi, auquel, de son côté, il était très dévoué.

Mme de Fargis accourut, le tirant par la manche ; il ignorait ce qu’on lui voulait, et, fidèle à sa consigne, il avait fallu faire valoir l’ordre exprès de la reine pour qu’il quittât son poste, à l’antichambre.

Mais le perroquet était si intelligent, qu’une fois Beringhen entré, il comprit qu’il pouvait parler hollandais, et sans attendre qu’on lui demandât son cinquième compliment, il dit :

– Och myne welbeminde koningin ik bemin maar ik bemin u meer in hollandsch myne niefte geboorte taal.

– Oh ! oh ! fit Beringhen fort étonné, voilà un perroquet qui parla hollandais comme s’il était d’Amsterdam.

– Et que m’a-t-il dit, s’il vous plaît, M. de Beringhen ? demanda la reine.

– Il a dit à Votre Majesté :

« Oh ! ma bien aimée reine, je vous aime ; mais vous aime encore plus en hollandais, ma chère langue natale. »

– Bon, dit la reine, maintenant on peut le voir, et je ne doute pas qu’il ne soit aussi beau que bien instruit.

En disant ces mots, elle tira la mante, et, chose dont on s’était déjà douté, au lieu d’un perroquet, on trouva dans la cage une jolie petite naine en costume frison, ayant à peine deux pieds de haut, et qui fit une belle révérence à Sa Majesté.

Puis elle sortit de la cage par la porte, qui était assez haute pour qu’elle pût passer sans se baisser, et fit une seconde révérence des plus gracieuses à la reine.

La reine la prit entre ses bras et l’embrassa comme elle eût fait d’un enfant, et de fait, quoiqu’elle eût quinze ans passées, elle n’était pas beaucoup plus grande qu’une petite fille de deux ans.

En ce moment on entendit par le corridor appeler :

– Monsieur le premier ! monsieur le premier !

C’était ainsi que l’on appelait, selon l’étiquette de la cour, le premier valet de chambre.

Beringhen, qui n’avait plus affaire chez la reine, sortit rapidement et rencontra à la porte le second valet de chambre qui le cherchait.

La reine entendit ces mots échangés rapidement, tandis que la porte était encore ouverte :

– Qu’y a-t-il ?

– Le roi demande M. Bouvard.

– Mon Dieu ! dit la reine, serait-il arrivé malheur à Sa Majesté ?

Et elle sortit pour s’informer ; mais elle ne fit qu’apercevoir les chausses des deux valets de chambre, qui couraient chacun dans une direction différente.

On vint prévenir la reine que les chaises étaient prêtes.

– Oh ! dit-elle, je ne puis cependant point sortir sans savoir ce qui est arrivé chez le roi.

– Que Votre Majesté n’y va-t-elle ? dit Mlle de Lautrec.

– Je n’ose, dit la reine, le roi ne m’ayant pas fait demander.

– Étrange pays, murmura Isabelle, que celui où une femme inquiète n’ose point demander des nouvelles de son mari !

– Voulez-vous que j’aille en prendre, moi ? dit Mme de Fargis.

– Et si le roi se fâche ?

– Bon ! il ne me mangera pas, votre roi Louis XIII.

Puis s’approchant de la reine, tout bas :

– Que je le prenne entre deux portes, et je vous rapporterai de ses nouvelles.

Et, en trois bonds, elle fut dehors.

Au bout de cinq minutes, elle rentra, précédée par un bruyant éclat de rire.

La reine respira.

– Il paraît que cela n’est pas bien grave ? dit-elle.

– Très grave, au contraire, il y a eu un duel.

– Un duel ! fit la reine.

– Oui, en présence du roi même.

– Et quels sont les audacieux qui ont osé ?

– M. de Bassompierre et M. Baradas. M. de Baradas a été blessé.

– D’un coup d’épée ?

– Non, d’un coup de lardoire.

Et Mme de Fargis, qui avait repris son sérieux, éclata, de nouveau d’un de ces rires bruyants et égrenés comme un chapelet de perles, qui n’appartenait qu’à cette joyeuse nature.

– Maintenant que vous voilà résignées, mesdames, dit la reine, je ne crois pas que cet accident doive empêcher votre visite au signor Lopez.

Et comme Baradas, tout beau garçon qu’il était, n’inspirait une grande sympathie ni à la reine ni aux dames de sa suite, personne n’eut l’idée de faire la moindre objection à la proposition de la reine.

Celle-ci mit sa petite naine entre les bras de Mme Bellier. On lui avait demandé son nom, et elle avait répondu qu’elle s’appelait Gretchen, ce qui veut dire à la fois Marguerite et père.

Au bas du grand escalier du Louvre, on trouva les chaises ; il y en avait une à deux places, la reine y monta avec Mme de Fargis et la petite Gretchen.

Dix minutes après, on descendait chez Lopez, qui demeurait au coin de la rue du Mouton et de la place de Grève.

Au moment où les porteurs déposèrent la chaise où était la reine devant la porte de Lopez, qui se tenait devant le seuil, le bonnet à la main, un jeune homme se précipita pour ouvrir la chaise et offrir le poignet à la reine.

Ce jeune homme, c’était le comte de Moret.

Un mot de la cousine Marina avait prévenu le cousin Jaquelino que la reine devait se trouver de onze heures à midi chez Lopez, et il y était accouru.

Venait-il pour saluer la reine, pour serrer la main à Mme de Fargis, ou pour échanger un regard avec Isabelle, c’est ce que nous ne saurions dire ; mais ce que nous pouvons affirmer, c’est que, dès qu’il eut salué la reine et qu’il eut serré la main de Mme de Fargis, il courut à la seconde litière, et offrant son bras à Mlle de Lautrec, avec le même cérémonial qu’il avait fait pour la reine :

– Excusez-moi, mademoiselle, dit-il à Isabelle, de ne point être venu d’abord à vous, comme le voulait absolument mon cœur ; mais là où est la reine, le respect doit passer avant tout, même avant l’amour.

Et saluant la jeune fille qu’il venait d’amener au groupe qui se formait autour de la reine, il fit un pas en arrière, sans lui donner le temps de lui répondre autrement que par sa rougeur.

La manière de procéder du comte de Moret était si différente de celle des autres gentilshommes, et dans les trois circonstances où il s’était trouvé en face d’Isabelle, il lui avait manifesté tant de respect et exprimé tant d’amour, qu’il était impossible que chacune de ces rencontres n’eût pas laissé sa trace dans le cœur de la jeune fille. Aussi demeura-t-elle immobile et pensive dans un coin du magasin de Lopez, sans s’occuper le moins du monde de toutes les richesses déployées devant elle.

Aussitôt arrivée, la reine avait cherché des yeux l’ambassadeur d’Espagne, et l’avait aperçu causant avec le tailleur de diamants, auquel il paraissait demander la valeur de quelques pierreries.

Elle, de son côté, apportait à Lopez un magnifique filet de perles ; quelques-unes étaient mortes, et il s’agissait de les remplacer par des perles vivantes.

Mais le prix des huit ou dix perles qui manquaient était si élevé, que la reine hésitait à dire à Lopez de les lui fournir, lorsque Mme de Fargis qui causait avec le comte de Moret, et qui avait une oreille à ce que lui disait Antoine de Bourbon et une autre à ce que disait la reine, accourut :

– Qu’a donc Votre Majesté ? demanda-t-elle, et de quelle chose est-elle donc embarrassée ?

– Vous le voyez, ma chère, d’abord j’ai envie de ce beau crucifix, et ce juif de Lopez ne veut pas me le donner à moins de mille pistoles.

– Ah ! dit Mme de Fargis, ce n’est pas raisonnable, Lopez, de vendre la copie mille pistoles, quand vous n’avez vendu l’original que trente deniers.

– D’abord, dit Lopez, je ne suis pas juif, je suis musulman.

– Juif ou musulman, c’est tout un, dit Mme de Fargis.

– Et puis, continua la reine, j’ai besoin de douze perles pour ressortir mon collier, et il veut me les vendre cinquante pistoles la pièce.

– N’est-ce que cela qui vous embarrasse ? demanda Mme de Fargis ; j’ai vos sept cents pistoles.

– Où cela, ma mie ? demanda la reine.

– Mais dans les poches de ce gros homme noir, qui marchande là-bas toute cette tapisserie de l’Inde.

– Eh mais, c’est Particelli.

– Non, ne confondons pas, c’est M. d’Émery.

– Mais Particelli et d’Émery, n’est-ce pas le même ?

– Pour tout le monde, madame, mais pas pour le roi.

– Je ne comprends pas.

– Comment ! vous ignorez que lorsque le cardinal l’a placé comme trésorier de l’argenterie chez le roi, sous le nom de M. d’Émery, le roi a dit : « Eh bien, soit, monsieur le cardinal, mettez-y ce d’Émery le plus vite possible. – Et pourquoi cela ? demanda le cardinal étonné. – Parce qu’on m’a dit que ce coquin de Particelli prétendait à la place. – Bon ! a répondu le cardinal, Particelli a été pendu. – J’en suis fort aise, a répondu le roi, car c’est un grand voleur ! »

– De sorte que ? demanda la Reine qui ne comprenait point.

– De sorte que, dit Fargis, je n’ai qu’à dire un mot à l’oreille de M. d’Émery pour que M. d’Émery vous donne à l’instant vos sept cents pistoles.

– Et comment m’acquitterai-je envers lui ?

Tout simplement en ne disant pas au roi que d’Émery et Particelli ne font qu’un.

Et elle courut à d’Émery, qui n’avait pas vu la reine, tant il était occupé de ses étoffes, et d’ailleurs il avait la vue basse ; mais dès qu’il sut qu’elle était là, et surtout dès que Mme de Fargis lui eut dit un mot à l’oreille, accourut il aussi vite que le lui permettaient ses petites jambes et son gros ventre.

– Ah ! madame, dit Fargis, remerciez M. Particelli.

– D’Émery ! fit le trésorier.

– Et de quoi, mon Dieu ! fit la reine.

– Au premier mot que M. Particelli a su de votre embarras…

– D’Émery ! d’Émery ! répéta le trésorier.

– Il a offert à Votre Majesté de lui ouvrir un crédit de 20,000 livres chez Lopez.

– Vingt-mille livres ! s’écria le petit homme, diable !

– Voulez-vous plus, et trouvez-vous que ce n’est point assez pour une grande reine, monsieur Particelli ?

– D’Émery ! d’Émery ! d’Émery ! répéta-t-il avec désespoir. Trop heureux de pouvoir être utile à Sa Majesté, mais au nom du ciel, appelez-moi d’Émery.

– C’est vrai, dit Mme de Fargis, Particelli est le nom d’un pendu.

– Merci, M. d’Émery, dit la reine, vous me rendez un véritable service.

– C’est moi qui suis l’obligé de Votre Majesté ; mais je lui serais bien reconnaissant de prier Mme de Fargis, qui se trompe toujours, de ne plus m’appeler Particelli.

– C’est convenu, M. d’Émery, c’est convenu ; seulement venez dire à M. Lopez que la reine peut prendre chez lui pour 20,000 livres, et qu’il n’aura affaire qu’à vous.

– À l’instant même. Mais c’est convenu, jamais plus de Particelli, n’est-ce pas ?

– Non, monsieur d’Émery, non, monsieur d’Émery, non, monsieur d’Émery, répondit Mme de Fargis, en suivant l’ex-pendu jusqu’à ce qu’elle l’eût abouché avec Lopez.

Pendant ce temps la reine et l’ambassadeur d’Espagne avaient échangé un coup d’œil et s’étaient insensiblement rapprochés l’un de l’autre. Le comte de Moret se tenait appuyé contre une colonne et regardait Isabelle de Lautrec, qui faisait semblant de jouer avec la naine et de causer avec Mme de Bellier, mais qui, nous devons le dire, n’était guère au jeu de l’une, ni à la conversation de l’autre. Mme de Fargis veillait à ce que le crédit ouvert à Sa Majesté fût bien de vingt mille livres ; d’Émery et Lopez discutaient les conditions de ce crédit. Tout le monde était donc si occupé de ses affaires, que nul ne pensait à celle de l’ambassadeur et de la reine, qui, à force de marcher l’un au devant de l’autre, se trouvèrent enfin côte à côte.

Les compliments furent courts, et l’on passa vite aux choses intéressantes.

– Votre Majesté, dit l’ambassadeur, a reçu une lettre de don Gonzalès.

– Oui, par le comte de Moret.

– Elle a lu non-seulement les lignes visibles écrites par le gouverneur de Milan…

– Mais encore les lignes invisibles écrites par mon frère.

– Et la reine a médité le conseil qui lui était donné.

La reine rougit et baissa les yeux.

– Madame, dit l’ambassadeur, il y a des nécessités d’État devant lesquelles les plus hauts fronts se courbent, devant lesquelles les plus sévères vertus fléchissent. Si le roi mourait ?

– Dieu nous garde de ce malheur ! monsieur.

– Mais enfin si le roi mourait, qu’arriverait-il de vous ?

– Dieu en déciderait.

– Il ne faut pas tout laisser décider à Dieu, madame. Avez-vous quelque confiance dans la parole de Monsieur.

– Aucune, c’est un misérable.

– On vous renverrait en Espagne, ou l’on vous confinerait dans quelque couvent de France.

– Je ne me dissimule pas que tel serait mon sort.

– Comptez-vous sur quelque appui de la part de votre belle-mère ?

– Sur aucun ; elle fait semblant de m’aimer, et au fond me déteste.

– Vous le voyez, tandis qu’au contraire Votre Majesté enceinte à la mort du roi, tout le monde est aux pieds de la régente.

– Je le sais, monsieur.

– Eh bien ?

La reine poussa un soupir.

– Je n’aime personne, murmura-t-elle.

– Vous voulez dire que vous aimez encore quelqu’un – qu’il est par malheur inutile d’aimer.

Anne d’Autriche essuya une larme.

– Lopez nous regarde, madame, dit l’ambassadeur. Je n’ai pas tant de confiance que vous dans ce Lopez. Séparons-nous, mais auparavant promettez-moi une chose.

– Laquelle, monsieur ?

– Une chose que je vous demande au nom de votre auguste frère, au nom du repos de la France et de l’Espagne.

– Que voulez-vous que je vous promette, monsieur ?

– Eh bien, que, dans les circonstances graves que nous avons prévues, vous fermerez les yeux, et vous laisserez conduire par Mme de Fargis.

– La reine vous le promet, monsieur, dit Mme de Fargis en apparaissant entre la reine et l’ambassadeur, et moi je m’y engage au nom de Sa Majesté.

Puis tout bas :

– Lopez vous regarde, dit-elle, et le tailleur de diamants vous écoute.

– Madame, dit la reine en haussant la voix, il va être deux heures de l’après-midi ; il faut rentrer au Louvre pour dîner et surtout pour demander des nouvelles de ce pauvre M. Baradas !

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