La Baronne trépassée

Chapitre 13

 

Quand ils arrivèrent au salon, quatre personnes les attendaient,le comte et M. de Simiane, Yvonnette et Hector.

Hector avait l’œil chargé de colère ; il attacha sur lebaron un regard enflammé. Yvonnette pâlit en voyant la créole à sonbras ; puis un vif incarnat monta à ses joues, et une larmevint perler au bout de ses longs cils.

M. de Nossac aperçut d’abord le visage bouleverséd’Hector, et croisa son regard ardent. Un sentiment de joie férocele prit, et il laissa errer sur ses lèvres un triomphantsourire ; mais son œil, en quittant Hector, tomba surYvonnette. Alors le baron pâlit et tressaillit à son tour, et ilsentit le remords pénétrer dans son cœur.

Yvonnette leva sur le baron un regard de douleur résignée. Lebaron tressaillit à ce regard, comme il avait tressailli déjà à lavue de ce visage pâli, et ce remords, qui commençait à sourdre dansson cœur, prit des proportions plus grandes.

Il s’approcha d’elle sans affectation, et lui prit lamain ; elle retira cette main sans brusquerie, mais elle laretira.

– Pourquoi me boudez-vous ? lui demanda-t-il toutbas.

La jeune fille pâlit, mais elle eut assez de courage pourrépondre :

– Vous vous trompez, monsieur ; loin de vous bouder,je vous sais, au contraire, un gré infini de nous ramener macousine saine et sauve.

– Monsieur le baron, dit le comte de Kervégan, interrompantl’entretien de M. de Nossac et de la jeune fille, où vousêtes-vous réfugiés pendant l’orage ?

– Sous un rocher, comte.

– Et c’est là le plus intéressant épisode de votre journéede chasse, je gage.

– Oh ! mon Dieu, oui, dit simplement le baron.

– Pardon, baron, dit la créole d’une voix enchanteresse,vous oubliez le sanglier.

– Ah ! oui, une misère…

– Forcé ? demanda le comte.

– Non, dit-elle avec enthousiasme, tué sur place !

– À coups de couteau, peut-être ? fit ironiquementHector.

– Non pas, mon jeune seigneur, dit le baron jetant unregard de tendresse à la créole, je l’ai simplement étouffé.

Il n’y eut qu’un cri parmi les quatre personnes que le baron etla créole avaient trouvées au salon.

– Impossible ! dit le comte.

– Plaisanterie ! fit Hector, dont les dents grinçaientde colère.

– Quelle imprudence ! murmura Yvonnettefrémissante.

Le baron entendit ce mot, et fut touché. Il eut un instantl’intention de se rapprocher de la jeune fille qu’il venait dequitter, de lui prendre la main et de la remercier d’unregard ; mais la créole le prévint en s’appuyant à demi surson bras.

– Baron, dit-elle d’une voix adorablement languissante,voulez-vous me permettre de me faire votre Homère et de chanter vosexploits ?

En toute autre circonstance, M. de Nossac se futexcusé de bonne grâce ; mais Hector était là, Hector qui, lematin, était aux genoux de sa cousine, lui baisait insolemment lesmains, et lui jetait à lui, baron de Nossac, de petits regardspleins de triomphe et d’impatience. Aussi dit-ilnégligemment :

– Faites, madame ; on est fier d’avoir un Homère commevous, et dont les yeux sont si beaux : avantage que ne pouvaitavoir l’Homère de l’Antiquité, qui était aveugle.

La créole prit aussitôt sa lyre, et raconta le combatchevaleresque du baron avec une finesse de détails, une chaleur decoloris, une vivacité d’images, qui le firent tressaillird’orgueil. Il fallait que cette femme l’aimât beaucoup pour serappeler ainsi, faire ressortir les moindres incidents de cettelutte et en parler avec un tel enthousiasme !

La physionomie d’Hector exprimait un dépit furieux.

– Eh bien, dit-il, si monsieur le baron veut recommencerdemain, je ferai sa partie.

– Vous étoufferez un sanglier ? demanda Simiane,jusqu’alors muet et soucieux.

– Oui, dit résolument Hector.

– Enfant, répondit la créole avec une tendresse maternelleun peu ironique, je vous en ferai venir un de Nuremberg : ilsera de carton, et vous pourrez l’étouffer et le torturer sansdanger.

Hector pâlit et voulut parler, mais la colère et la douleurétreignirent sa gorge, et aucun son n’en put jaillir.

– Baron, dit alors le marquis, tu oublies une choseessentielle.

– Laquelle ?

– C’est que M. le comte désire retourner à Kervégan,et qu’il serait bon que ton majordome nous fît servir le dîner.

– Retourner à Kervégan ?

– Oui, dit le comte.

– Il est nuit close.

– Bah ! les chemins nous sont familiers.

M. de Nossac jeta un regard suppliant à la créole.Elle comprit ce regard, et se hâta de dire :

– En effet, c’est peu rassurant de voyager la nuit.

– Les chemins sont sûrs, ma nièce.

– Et fangeux, mon oncle.

– Vous croyez ?

– Il a plu.

– Merci ! lui dit tout bas M. de Nossac.

Puis il reprit tout haut :

– Ainsi vous restez, n’est-ce pas ?

– Sans doute, si mon oncle le veut. Moi, d’abord, je suishorriblement nerveuse…

– En effet, l’orage vous effrayait et vous agaçait.

– Au dernier point ; demain, par exemple, mon cheroncle, je suis toute disposée à partir de grand matin.

– Après déjeuner, dit le baron, je vous reconduirai.

– Soit.

– Monsieur le baron est servi ! cria le majordome duseuil de la porte.

M. de Nossac allait offrir son bras à la créole, maisSimiane le prévint. Le baron se rejeta sur Yvonnette ; maisYvonnette prit le bras de son cousin, et M. de Nossac semordit les lèvres.

– Eh bien, dit tout bas Simiane, êtes-vouscontente ?

– Pas encore.

– N’êtes-vous point assez vengée ?

– Mais non.

– Vous le tuerez ?

Elle sourit, et ne répondit pas.

Le dîner fut gai pour le baron et la créole, soucieux pourSimiane, triste pour Yvonnette, un supplice pour Hector.

M. de Nossac se retira de bonne heure. Il avait besoind’être seul, de causer quelques minutes avec lui-même, de prendreson front dans ses mains, et d’étouffer les battements précipitésde son cœur. Sa nuit fut remplie de songes, son réveil tardif.

Qui donc a dit que l’amour ne dormait pas ?

Le soleil pénétrait à flots sous ses rideaux quand il s’éveilla.Il sauta lestement à bas de son lit, ouvrit sa fenêtre, respiraquelques minutes l’air du matin, encore imprégné des vapeursorageuses de la veille, et sonna son valet de chambre pour se fairehabiller.

Le valet parut une lettre à la main.

Le baron ouvrit précipitamment cette lettre, et lut :

Mon cher baron,

Une nuit de sagesse m’a fait réfléchir sérieusement sur unejournée de folie. Vous m’avez fascinée hier, et je vous airéellement aimé une heure. Je crois, Dieu me pardonne, que dans unaccès de fièvre et de frayeur, je vous ai promis ma main.

Ma main n’est pas libre, Monsieur ; j’ai promis à monpère mourant d’épouser son neveu. Il fallait qu’Hector devînt monmari. Si je restais plus longtemps chez vous, vous m’aimeriezpeut-être, et je serais coupable alors, au lieu d’être simplementétourdie comme je l’ai été. J’enlève donc mon mari, que j’emmèneavec son oncle et sa cousine à Brest, où nous allons nous embarquersur l’Esperanza, qui fait voile pour les îles.

Merci, monsieur le baron, de votre gracieusehospitalité : je conserverai de vous un éternel et bonsouvenir. Puissiez-vous ne pas m’en vouloir et me pardonner monétourderie.

Adieu ; Gretchen vous consolera. Baisez mes deux mains,et oubliez-les ensuite.

Marquise de BIDAN.

M. de Nossac recula foudroyé, et la lettre échappa deses mains.

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