La Baronne trépassée

Chapitre 20

 

Roschen se serra, tremblante et pâle, contre le baron.

– J’ai peur !… murmura-t-elle.

– Ne craignez rien, je suis près de vous.

– Oh, c’est qu’il me tuerait !…

M. de Nossac eut un superbe sourire.

– Si je le voulais toutefois, dit-il en portant la main àla garde de son épée.

– Roschen ! Roschen ! répétait la voix, quisemblait avoir une nuance de colère.

– Tenez, dit Roschen, le plus sage est de nous séparer.

– Déjà, enfant ?…

Elle appuya ses petites mains sur les épaules du baron, et luisourit doucement :

– Ne serons-nous pas réunis demain ?

– Oh ! certainement oui ! murmura-t-il avecl’enthousiasme de l’amour.

– Nous fuirons bien loin, n’est-ce pas, monbien-aimé ?

– Oui, mon enfant.

– Nous rejoindrons l’armée française ; nous irons danston pays… Je te suivrai partout, comme le chien son maître, commel’ombre son corps…

– Roschen ! Roschen ! répéta la voix pour latroisième fois, Roschen, où es-tu ?

Et cette fois, la voix était furieuse, jalouse, implacable.Roschen pâlit.

– Adieu ! dit-elle. S’il vient jusqu’ici, cachez-vousou feignez d’être évanoui…

Ils se donnèrent un long baiser, et elle s’enfuit ; maiselle avait fait dix pas à peine, qu’elle revint.

– N’oubliez pas… ce soir… ne buvez pas votre dernier verrede vin… et tuez-la !

– Oui, dit M. de Nossac, devenu rêveur.

– Quand l’heure du départ sera venue, je vous préviendrai…J’aurai des chevaux tout sellés, vous n’aurez qu’à vous habiller,et nous partirons. Adieu.

Elle disparut.

Il n’était que temps ; car à peine le bruit de ses pass’était-il éteint dans la profondeur des taillis, qu’un bruit sefit entendre dans une direction opposée, et Wilhem déboucha tout àcoup dans la clairière où le baron était demeuré, et feignait,d’après l’avis de Roschen, d’être complètement privé de ses sens.Wilhem demeura stupéfait à sa vue.

– Oh ! oh ! fit-il, je commence à croire que,tout brave qu’il est, notre homme a grand peur depuis deux jours,et au lieu de suivre Gretchen au cimetière, il a été pris d’unepanique telle, qu’il est venu rouler ici sur le gazon, comme unhomme qui a réellement vu le veneur noir.

Et il s’approcha du baron, et le secoua assez fortement.

– Cordieu ! murmura Wilhem, nous voulons bien le tuer,mais à la longue ; et il ne faut pas le laisser mouriraujourd’hui.

Et Wilhem courut à un petit ruisseau qui babillait sous l’herbe,à quelques pas de là, y puisa de l’eau dans le creux de ses deuxmains réunies, et revint la jeter au visage du baron.

Celui-ci pensa que Wilhem était assez convaincu de sonévanouissement, pour qu’il ne fut point obligé de le prolongerindéfiniment, il ouvrit les yeux au contact de l’eau.

– Ah ça ! mon hôte, dit Wilhem joyeusement,qu’avez-vous donc ?

– Je dormais, répondit héroïquementM. de Nossac.

– De quel sommeil, s’il vous plaît ?

– Comment, de quel sommeil ?

– Sans doute. Était-ce fatigue ou terreur ?

– Terreur ? fit dédaigneusementM. de Nossac.

– Sans doute ; car vous aviez le sommeil bien dur.

– Vous croyez ?

– Oh ! j’en suis sûr ; je vous ai vigoureusementsecoué.

– Alors, c’est que j’aurai mal dormi la nuitprécédente.

– Tarare ! soyez franc, mon hôte.

– Je le suis.

– Vous avez éprouvé quelque nouvelle mystification de lapart de mon très honoré père, le seigneur de Holdengrasburg, etl’effroi vous dominant, vous vous êtes enfui jusqu’ici, où vousêtes tombé évanoui.

– Eh bien, dit M. de Nossac feignant un grandabandon, cela est vrai, j’en conviens.

– Aussi, répondit Wilhem, il est une chose à laquelle jesuis bien résolu, c’est à me brouiller avec mon père s’il continueses plaisanteries ridicules.

– Et moi, s’écria M. de Nossac, avec une feintecolère, je lui demanderai raison des autres !

– Ta ! ta ! ta ! Mon cher hôte, calmez-vous,de grâce ! et venez avec moi.

– Où allons-nous ?

– Au château, où le déjeuner nous attend…

– Tant mieux, dit le baron, j’ai faim !

– Et ensuite nous monterons à cheval et nous courrons uncerf… Nous n’avons pas chassé depuis deux jours.

– Gretchen en sera-t-elle ? demandaM. de Nossac.

– Je ne sais pas… C’est possible.

– Moi, je vous soutiens le contraire.

– Et pourquoi, s’il vous plaît ?

– Parce que Gretchen est couchée dans sa bière, aucimetière… parce que je l’ai vue, moi… que je l’ai piquée de monépée.

Wilhem tressaillit.

– Et que, poursuivit le baron, quoi qu’on en puisse dire,elle est réellement morte, et c’est un affreux vampire qui a pris àtâche de me sucer et de me dévorer chaque nuit goutte de sang pargoutte de sang.

– Quelle folie !

– Soyez incrédule, que m’importe : je sais bien ce quej’ai vu… je sais la terreur qui m’a pris et m’a fait fuir jusqu’àcet endroit où vous m’avez trouvé évanoui.

– Vous avez été victime d’une hallucination.

– Je vous jure le contraire.

– Et moi je ne vous crois pas… Mais venez déjeuner.

Et il lui prit familièrement le bras.

À ce contact M. de Nossac eut un frémissement decolère ; et il fut tenté de l’étouffer dans ses bras, de lebroyer sur sa poitrine, d’enfoncer son épée jusqu’à la garde dansle sein de cet homme qu’avait aimé Roschen…

Heureusement, M. de Nossac commençait à voir qu’on semoquait de lui et que même on en voulait à sa vie, et il jugeaprudent de se contenir.

Ils arrivèrent au château, et là Wilhem aperçut Roschen dans leparc. Il courut à elle :

– D’où viens-tu donc ?

– De la forêt, répondit Roschen.

Le front de Wilhem se plissa une seconde sous l’étreinte d’unsoupçon ; mais ce soupçon s’évanouit aussitôt que Roschen eutajouté :

– Je suis allée chez Werner, le bûcheron.

– À table, baron ! à table ! cria la voixlointaine d’Hermann, qui accourait.

– Et à cheval après ! ajouta Conrad.

– Eh bien ? fit mystérieusement le comte deHoldengrasburg en prenant M. de Nossac à l’écart.

– Je ne m’étais pas trompé, je l’ai vue au cimetière.

– Vous êtes fou !

– Non pas, je vous jure.

Et le baron répéta au comte ce qu’il avait conté déjà à Wilhem.Le châtelain secoua la tête d’un air de doute ; cependant ilajouta tout bas :

– Il faut que j’en aie le cœur net.

– C’est facile, dit le baron. Je vais vous conduire.

– Non, pas aujourd’hui, mais demain… Nous la suivrons tousdeux.

– Soit ! dit négligemment M. de Nossac.

– À propos, dit Hermann survenant, je voulais que cetteespiègle de Gretchen vînt avec nous aujourd’hui…

– Eh bien ? demanda le comte, jetant un regardsignificatif à M. de Nossac.

– Elle a refusé.

– Pourquoi cela ?

– Parce qu’elle a prétendu qu’elle n’avait pas l’habitudede chasser tout un jour sans manger.

– Et le repas de halte ?

– Vous savez bien, mon père, que Gretchen est fière et neveut pas manger de notre pain.

– C’est juste. Eh bien, à cheval ! nous nous passeronsd’elle.

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