La Baronne trépassée

Chapitre 1

 

Il y avait, jour pour jour, un an que Mme labaronne de Nossac avait été inhumée par les soins de son mari, dansle parc de son château du Léonais.

Nous retrouvons le baron à quelques centaines de lieues dutombeau de sa femme, c’est-à-dire à bord du vaisseau-amiral de laflotte française qui croise devant Dantzig sous les ordres du comtede La Motte.

Le roi Stanislas de Pologne, allié de Sa Majesté Louis XV, étaitbloqué par les Russes dans sa dernière place forte, Dantzig.

À Varsovie, M. de Lacy, commandant supérieur desarmées du tsar, avait fait proclamer le prince Auguste roi dePologne et grand-duc de Lituanie.

Dantzig ne pouvait tenir longtemps ainsi bloquée, et la prise deDantzig, c’était la tête de Stanislas qui roulerait sur lebillot.

Trois hommes tenaient conseil à bord du vaisseau-amiral :le comte de La Motte, amiral en chef ; le baron de Nossac,mestre de camp des armées de terre et commandant un corpsd’infanterie embarqué, et le comte Bréhan de Plelo, gentilhommebreton, ambassadeur français à Copenhague.

– Messieurs, disait l’amiral, nous avons cinq vaisseaux deligne et trois corvettes ; un effectif de sept à huit millehommes à peine. Les Russes campent au nombre de trente mille sousles murs de Dantzig ; ils sont bien retranchés ; le fortde Weshulmund leur a ouvert ses portes, leurs batteries dominentles deux rives de la Vistule, le débarquement est inutile ; iln’y a rien à faire, nous ne pouvons secourir Dantzig.

– Monsieur, répondit le comte de Plelo avec une froidedignité, il y a à Dantzig un roi dont la vie est menacée, un roidont la tête peut tomber sous la hache comme celle de CharlesIer d’Angleterre. Songez-y…

– Je le sais, monsieur, mais qu’y puis-je faire ?

– Songez aussi, dit à son tour le baron de Nossac, quel’Europe entière a les yeux sur nous, et que, si demain Dantzig estpris, si demain une commission d’officiers russes s’assemble, jugeet condamne le roi Stanislas, si le jour suivant le roi Stanislaspose sa tête sur le billot et meurt les yeux tournés vers nous, ils’élèvera dans toute l’Europe un cri de réprobation contre nous etl’on dira : « Il y avait à une lieue de Dantzig uneescadre française, une armée du roi Louis XV, l’ami du roiStanislas. Cette escadre, cette armée sont demeurées spectatricespaisibles et ont vu rouler une tête de souverain sans qu’un seul deleurs sabords vomît un boulet, un de leurs mousquets, uneballe !

– Messieurs, fit le comte de La Motte avec hauteur, vousparlez noblement et bien. Mais le roi, notre maître, m’a investi ducommandement suprême. À ce titre, je lui dois un compte sévère deses soldats. Essayer de ravitailler Dantzig, c’est les conduire àune mort certaine sans espoir même de réussir. Je m’oppose audébarquement.

– Monsieur, dit le comte de Plelo, il y a un vieuxproverbe, un proverbe chevaleresque s’il en fut, qui a cours enFrance et surtout en Bretagne. Je suis breton, voulez-vous mepermettre de le citer ? Fais ce que dois, advienne quepourra ! Eh bien, moi, comte de Bréhan de Plelo, je voussomme de veiller au salut d’un roi allié de la France ! Avantd’être homme d’État, j’étais homme d’épée, et j’assume sur ma tête,d’avance, toute la responsabilité de l’expédition hasardeuse que jevous propose. Êtes-vous content ?

– En ce cas, monsieur, répondit l’amiral, nous pouvonsdébarquer. Je suis prêt à me faire tuer près de vous.

– Après moi, comte, dit fièrementM. de Plelo ; le premier gentilhomme qui mourra pourle roi Stanislas, ce sera moi.

– Et moi, fit le baron de Nossac, je vous jure, messieurs,que, dussé-je passer, moi tout seul, sur le corps d’une armée russetout entière, j’arriverai jusqu’à Sa Majesté polonaise ; je meplacerai à sa droite, et, si je ne la sauve pas, si je ne l’arrachepoint au bourreau, au moins ne tombera-t-il un cheveu de sa têteque lorsque la mienne ne sera plus sur mes épaules.

Le comte de Plelo lui tendit la main :

– Baron, lui dit-il, vous êtes le meilleur gentilhomme queje connaisse, et vous me prouvez une fois de plus que, chez vous,galanterie et bravoure, esprit et noblesse, vont toujours depair !

– Je vais prendre les mesures nécessaires pour ledébarquement, dit M. de La Motte.

– Je le commanderai, fit le comte de Plelo.

– Et moi, ajouta Nossac, je me battrai en simplegentilhomme ; je vais résigner mes pouvoirs de général auxmains d’un de mes colonels.

– Pourquoi cela, baron ?

– Parce que je veux arriver jusqu’au roi, et que jen’entends point lui conduire mon corps d’armée.

– Quelle folie chevaleresque ! murmura l’amiral.

– Les folies de ce genre, répondit M. de Plelo,valent sagesse et diplomatie.

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