La Baronne trépassée

Chapitre 22

 

Bien que terrible, la blessure de M. de Nossac n’étaitpoint mortelle. Quand il revint de son évanouissement et malgré lafièvre délirante qui le brûlait, il put voir que le corps deRoschen avait disparu, que les étudiants n’étaient plus dans sachambre et qu’il était recouché dans son lit. À son chevet, dans ungrand fauteuil, il y avait une femme qui préparait un pansement.Cette femme, c’était Gretchen.

Le baron la reconnut, et le délire le prit et le jeta soudaindans ce monde fantastique et terrible où l’imagination malade seréfugie, quand le corps est brisé et incapable d’action. Combiendura ce délire, le baron ne le sut jamais. Mais à travers lesbrumes de la fièvre et dans ses rares moments lucides, il aperçutsans cesse Gretchen à son chevet… Gretchen inquiète, attentive,préparant tout elle-même, potions et remèdes, pansant sa blessure,lui mettant parfois un baiser au front, lui souriant parfois encoreavec un bon sourire d’espoir, se faisant dresser chaque soir un litde camp, dans sa chambre, se levant vingt fois par nuit pour venirprendre dans ses mains sa main en sueur, pour interrogerl’intensité de la fièvre, le degré de pulsation de son cœur, l’étatde sa tête affolée et pleine de visions. Et pendant cette longuevie nuageuse et indécise de la maladie, pendant cette agoniedouloureuse où la mort s’approcha si souvent et recula toujours,une pensée unique, dominante, tenace, absorba son esprit et le peude raison qui lui revenait par intervalles. Cette pensée, c’étaitqu’il aimait Gretchen.

Enfin, la fièvre diminua, le délire disparut, le sommeil luisuccéda, et un matin, en s’éveillant, le baron vit sa chambredéserte… Gretchen avait disparu. Où était-elle ?

Si faible qu’il fût, le baron eut la force de se lever et allajusqu’à une table où il avait aperçu un carré de papier plié enquatre. Il l’ouvrit précipitamment et lut :

Vous êtes hors de danger et je vous laisse. J’ai voulum’amuser et profiter d’une étrange ressemblance ;pardonnez-moi le drame terrible qui s’est accompli par ma faute.Vous ne me reverrez jamais ; je puis donc vous faire unaveu : Je vous aime. Adieu.

GRETCHEN WALKENAER

Le baron relut la lettre plusieurs fois, puis, emporté par sonamour et un reste de délire, il s’élança hors de sa chambre,parcourut à demi nu le château et le trouva désert.

À la porte était un cheval tout sellé et dans les fontes de laselle il retrouva sa bourse. Le baron eut la force de mettre lepied à l’étrier et de lancer son cheval, en disant :

– Il faut que je retrouve Gretchen, dussé-je aller au boutdu monde.

Et il prit la route d’Heidelberg.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer