La Baronne trépassée

Chapitre 3

 

Il n’entre point dans notre cadre de relater d’une manièredétaillée cette miraculeuse évasion du roi Stanislas, qui, à cetteépoque, étonna l’Europe entière par la hardiesse avec laquelle ellefut conçue et exécutée.

Nous nous bornerons à une rapide analyse.

Les Dantzigois n’avaient opposé à l’armée russe une résistanceaussi énergique que parce que la présence de leur roi lesenthousiasmait et les stimulait. Ils voulaient bien s’ensevelirsous les ruines de leur ville, mais à la condition que le roi ypérirait avec eux.

Or, le roi savait que tant qu’il serait à Dantzig, Dantzig ne serendrait pas, et il ne voulait pas que la ville fût bombardée etaffamée plus longtemps, il lui fallait quitter Dantzig.

Jamais fuite n’avait paru plus impossible. Les Russes bloquaientDantzig ; Dantzig, à son tour, y mettrait de l’amour-propre etne laisserait point partir son roi.

Le roi avait donc à se garder autant de ses amis que de sesennemis.

Trois hommes, trois hommes seuls, sans complices, sansauxiliaires, sans autres secours que leur audace et leur épée,résolurent cependant de sauver le roi et y parvinrent. Ces troishommes étaient le marquis de Monti, ambassadeur de France àDantzig, le général Steinflich, et le baron de Nossac.

Le marquis procura au roi un costume de paysan et les vieillesbottes d’un officier de la garnison, bottes qu’il n’osa demander etfit voler par le domestique de l’officier. Le général Steinflichprépara une barque qui, une nuit, une nuit sombre et propice àl’événement, se trouva amarrée sous le rempart qui longeait laVistule.

Le roi, suivi du général et du baron, déguisés tous deux commelui, arriva sur le rempart et se présenta à la poterne qui ouvraitsur un escalier tournant dont le pied plongeait dans le fleuve.

À cette poterne était de garde un officier suédois.

– Qui êtes-vous ? demanda-t-il au roi.

Le roi hésita une minute, puis il préféra se fier à la loyautéde l’officier, et lui dit :

– Je suis le roi de Pologne.

– Je ne puis laisser passer Votre Majesté, réponditl’officier, sans qu’elle ait été reconnue par le major de laplace.

Cela était impossible. Le major se fut opposé à la fuite duroi.

– Monsieur, dit alors le baron de Nossac à l’officier,êtes-vous gentilhomme ?

– Oui, monsieur.

– Êtes-vous bien convaincu que si Dantzig est pris, le roisera décapité ?

– Oui, répondit l’officier. Mais nous mourrons aveclui.

– Monsieur, continua le baron, j’ai connu dans mon extrêmejeunesse un gentilhomme écossais presque centenaire, qui portaitéternellement un masque de velours noir sur son visage et un crêpenoué à son bras. Savez-vous pourquoi ?

– Non, dit l’officier.

– Parce qu’il avait été le dernier Écossais qui déserta lacause du roi Charles Ier, et que les longues années quis’étaient écoulées depuis n’avaient pu lui faire oublier satrahison et étouffer ses remords.

– Qu’y a-t-il de commun entre lui et moi ? demandal’officier.

– Ceci : c’est qu’il était la cause première de lamort de son souverain, et que si, dans trois jours, la tête du roiStanislas a divorcé d’avec son corps, vous pourrez vous dire :« C’est moi qui ai tué mon roi, par mon obstination et monobéissance passive à une discipline qui ne doit plus exister quandla vie d’une tête couronnée est en péril. »

L’officier réfléchit une minute ; puis, posant la main surson cœur, répondit en livrant le passage :

– Le roi peut passer !

Le roi descendit, suivi de ses deux compagnons, trouva la barquemontée par un znapan, sorte de soldat bohémien etmercenaire assez fréquent en Allemagne à cette époque, y prit placeet coupa lui-même l’amarre avec son poignard. Quant à l’officiersuédois, le lendemain, au jour, et quand la barque royale fut loin,il alla trouver le major de la place, lui raconta ce qui s’étaitpassé, et lui dit :

– Maintenant, monsieur, comme il ne faut pas que deuxofficiers manquent simultanément à leur devoir, vous allezassembler un conseil de guerre et me faire fusiller aujourd’huimême.

– Vous avez raison, répondit le major en lui tendant lamain. Vous êtes un brave gentilhomme.

– Non, dit l’officier, je suis un traître ; mais j’aisauvé le roi. Je meurs content.

Qu’on cherche de tels hommes aujourd’hui ! Lestrouvera-t-on ?

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