La Baronne trépassée

VII.

Huit jours après, cependant, M. le baron de Nossac fut enétat de continuer sa route ; et en quarante-huit heures ilarriva dans le Léonais, province où se trouvait le château de safemme.

Au dernier relais, on lui dit que les chemins qu’il allaitsuivre étaient désormais impraticables aux voitures. Le barondemanda un cheval et se mit en route malgré l’heure avancée ;il chemina toute la nuit et atteignit au point du jour le sommetd’une colline d’où l’on apercevait à l’horizon les tourelles grisesdu château où il se rendait. C’était une belle matinée d’hiver,dépouillée de ces brumes ternes qui rampent et s’allongentd’ordinaire, au souffle d’une bise froide et pluvieuse, sur leschamps dépouillés et les pâturages jaunis.

Le baron se sentit un peu de joie au cœur, et pressa son chevaldéjà fatigué.

Tout à coup, au milieu de ce calme paisible des champs, le sond’une cloche lui arriva lent et mesuré… Cette cloche sonnait unglas funèbre.

Le baron tressaillit et donna à son cheval un furieux coupd’éperon.

Le cheval reprit le galop et arriva, tout d’un trait, à lagrille du château.

Le baron entra dans la cour ; la cour était silencieuse etdéserte.

Il mit pied à terre, gravit le perron, puis l’escalier àbalustre d’or et marches de pierres. Perron, escalier étaient videsde serviteurs.

Il traversa, guidé par un mystérieux et sinistre pressentiment,plusieurs salles également vides, où sa botte éperonnéeretentissait avec un lugubre bruit ; puis enfin il entendit unmurmure confus au loin, à l’extrémité des appartements qu’iltraversait, un murmure monotone et vague qui ressemblait à deschants d’église, que des moines psalmodieraient au fond d’uncloître, à l’heure nocturne des matines.

Guidé par ce bruit, il avança toujours, le cœur frémissantd’émotion et la sueur aux tempes.

Il arriva ainsi jusqu’à une porte fermée. Puis derrière cetteporte, le murmure qu’il avait entendu était devenu distinct :c’était bien un chant d’église. Le baron sentit ses cheveux sehérisser ; mais, dominant sa terreur, il frappa…

Aussitôt le chant s’éteignit, et la porte s’ouvrit à deuxbattants, criant sur ses gonds avec une sonorité funèbre.

Le baron recula et poussa un cri, à la vue du spectacle quis’offrit alors à ses yeux.

Sur son lit de parade était étendue, inanimée,Mme la baronne de Nossac.

Au chevet, un prêtre était à genoux et récitait, en surplis, lesprières des morts.

Autour du lit, les serviteurs pleuraient agenouillés.

Sur le guéridon de nuit brûlait un cierge mortuaire. À côté ducierge était un large pli, portant cette inscription :

À monsieur le baron deNossac

La baronne de Nossac était TRÉPASSÉE de la veille. C’était songlas funèbre qu’avait entendu le baron.

Il marcha droit au lit avec la raideur d’une statue et posa lamain sur le cœur de la morte… Le cœur ne battait plus.

Il approcha ses lèvres frémissantes de ses lèvres à elle…

Les lèvres étaient froides.

Il prit dans sa main la main glacée de la défunte, la souleva,puis la laissa échapper.

La main retomba inerte. La baronne de Nossac était bienmorte.

Alors il s’approcha du guéridon, brisa le sceau du pli et lefouilla avidement.

Le pli ne contenait que le testament de la défunte, testamentconçu en ces termes :

J’établis monsieur le baron de Nossac mon légataireuniversel, à la charge pour lui de se remarier dans le délai dedeux ans et d’habiter mon hôtel de l’île Saint-Louis, à Paris,quand il séjournera dans cette capitale

BARONNE HÉLÈNE DE NOSSAC,

NÉE BORELLI

P.-S. – Si monsieur de Nossac redevenait veuf avantl’expiration des deux années, il serait contraint de se remarierpour ne point voir mon héritage retourner à ma famille.

Pas un mot d’amour ou de colère n’était joint à ce testament. Cesilence était-il menace ou dédain ?

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer