La Baronne trépassée

Chapitre 4

 

M. de Nossac n’était plus l’homme de tout à l’heure,le fou malade et incliné, à l’œil morne, au geste fatigué, à lavoix lente et triste…

C’était un gentilhomme droit et bien cambré, le sourire auxlèvres, l’œil brillant, la parole brève et spirituelle, le gesterapide et plein de grâce.

Il dépouilla sa robe de mandarin et apparut aux yeux de seshôtes vêtu d’un galant pourpoint cerise à faveurs bleues et àcrevés, en bas de soie écarlate, en jabot de fine dentelle, poudré,ayant des mouches comme une marquise, une main dans son jabot,l’autre sur la garde d’or d’une petite épée de cour passée enverrouil.

– Il est ravissant ! murmurèrent les femmes.

– À table ! dit le baron joyeusement.

Malgré les funèbres tentures de la salle et les squelettes quis’y acquittaient du rôle de candélabres, ce fut un gai festin.

Les flacons d’aï, de xérès, de malvoisie, de Constance, lespâtés de venaison, les suprêmes de faisans, les marmeladesd’anguille, les buissons d’écrevisses, les bisques de perdreaux,les volailles, les terrines de truffes, disparurent comme parenchantement.

À mesure que les fronts s’alourdissaient, les paroles devenaientplus vives. Les femmes se démasquèrent, une seule exceptée.

– Beau masque, lui dit le baron, montre-nous ton fraisminois.

– Je suis pâle, dit froidement le masque.

– Mais encore…

– L’éclat des bougies me fait mal.

– Par grâce ! mon beau masque, insistèrent plusieurshommes se joignant au baron.

– Si vous le voulez, dit le masque avec calme, je vais meretirer.

« Hum ! pensa le baron, je suis trahi. C’est une femmede la cour qui s’est faufilée ici. »

– Baron, s’exclama tout à coup le marquis, combien te coûteton souper ?

– Demande à mon intendant.

– Baron, tu te ruines.

– Cela m’est bien égal.

– Au fait, tu as raison.

– Pourquoi cela ?

– Parce que, dans deux jours, que tu aies cent mille livresde rentes ou trois millions de dettes, tu ne seras ni plus riche,ni plus pauvre.

– Bah ! et comment ?

– Te souviens-tu d’un paragraphe du testament de tafemme ?

– Lequel ?

– Celui qui t’oblige à te remarier avant le délai de deuxans pour conserver ta fortune.

– Tiens ! c’est juste ; je n’y songeais pas. Ehbien, ce délai…

– Expire après-demain, baron. Tu n’as que vingt-quatreheures pour chercher une femme.

– Je ne veux pas me marier.

– Allons donc ! Et pourquoi ?

– Parce que j’aime ma femme, dit le baron.

On se prit à rire.

– Les morts sont hors de cause, murmura la femmemasquée.

– Tu crois, beau masque ?

– Sans doute.

Et la femme ricana sous le velours noir de son loup.

– C’est triste, baron, reprit le marquis ; triste, jet’assure, de voir une fortune comme la tienne retourner à unbeau-père imbécile et à des neveux inconnus.

– Tiens ! c’est vrai, cela.

– Et à ta place, je préférerais épouser n’importe qui… etmême n’importe quoi.

– Au fait ! s’écria le baron, j’ai envie de chercherune femme sur l’heure. Je serai mort dans huit jours, et je feraiune heureuse en mourant.

– Superbe ! murmura-t-on.

– Qui veut m’épouser ? reprit-il.

Les femmes se regardèrent, puis s’écrièrent toutes en mêmetemps.

– Moi ! moi ! moi !

– Nous ne sommes pas en Turquie, murmura le baron ;permettez-moi de faire un choix. Allons, mesdames,montrez-vous : je choisirai la plus jolie.

La femme masquée seule n’avait rien dit et gardait toujours sonloup.

– Bas le masque, madame ! lui dit le baron.

– Monsieur, répondit-elle d’une voix railleuse, si vousvoulez m’épouser, vous m’épouserez avec mon masque ; sinon…non.

Et à travers ce même masque étincela un ardent regard.

– Soit ! dit le baron, vous serez ma femme ;c’est vous que j’épouse.

– Merci, dit-elle.

Et elle lui tendit la main, et, en touchant cette main, le barontressaillit sans pouvoir s’expliquer cette sensation.

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