V.
Il était à peine jour, quand le baron, libre enfin et débarrasséde la duchesse, sortit à pied de chez lui et se dirigea vers l’îleSaint-Louis, où M. le fermier des gabelles Borelli avait sonhôtel.
Malgré l’heure matinale, les domestiques étaient tous sur pied,et les fenêtres grandes ouvertes.
« Oh ! oh ! pensa le baron, qu’est-ce que celaveut dire ? ma femme prendrait-elle un secondmari ? »
Les domestiques s’inclinèrent respectueusement sur son passage,mais aucun ne lui adressa la parole.
Dédaignant de les questionner, M. de Nossac montadirectement à l’appartement de sa femme.
Les portes étaient ouvertes à deux battants, et salles etchambre à coucher complètement désertes.
« Ma femme est chez son père », pensa-t-il.
Et il se rendit chez le fermier des gabelles.
Là, comme chez sa femme, les salles étaient désertes, le lit nonfoulé.
– Diable ! s’exclama le baron, il y a bien du mystèreici.
Et il redescendit, et, s’adressant au premier valet qu’ilrencontra :
– Où est donc M. Borelli ?
– M. Borelli est parti hier soir pour sa terre deNormandie.
– Ah ! fit le baron, stupéfait.
– Il a laissé à son intendant une lettre pour monsieur lebaron.
– Appelle-moi l’intendant.
L’intendant parut, sa lettre à la main.
Le baron ouvrit précipitamment la lettre et lut ce quisuit :
Monsieur le baron,
Vous n’avez épousé ma fille que dans le but de payer vosdettes. Votre but est rempli, vos dettes sont payées. Je joins lesquittances de vos créanciers à ma lettre, que je désire voir restersans réponse. Je vous laisse mon hôtel à Paris et me retire dans materre du pays de Caux, où j’espère bien ne point recevoir votrevisite.
Un homme désolé de vous avoir pour gendre.
BORELLI.
– Mais, s’écria le baron, où estMme de Nossac ?
– Partie, monsieur le baron.
– Avec son père ?
– Non, monsieur le baron.
– Et où est-elle ?
– Sur la route de Bretagne, où elle a un château.
– Depuis quand est-elle en voiture ?
– Depuis hier soir, monsieur le baron.
– C’est bien ! fit le baron avec colère. Allez mechercher des chevaux de poste sur l’heure ; je veux partir àl’instant.
Le baron fut obéi avec une admirable promptitude. Vingt minutesaprès, il montait en chaise et s’écriait :
– Je crèverai vingt chevaux, mais je rattraperai mafemme !