La Baronne trépassée

Chapitre 8

 

La créole et le jeune Hector avaient gagné un petit salon deverdure, une charmille épaisse, dont le soleil essayait vainementde tréfler les réseaux, et qui entrelaçait ses méandres defeuillage au-dessus d’une petite source jaillissant du sol etcourant sous l’herbe verte et drue.

Quand le baron, guidé par un secret instinct, arriva à lacharmille, la créole était à demi couchée sur un banc de gazon,passant, avec distraction, sa belle main blanche dans la chevelurebouclée d’Hector, assis à ses pieds.

M. de Nossac fît un soubresaut et éprouva une violentedouleur au cœur ; mais cette douleur eut un effet salutaire,car elle le préserva de cette indicible émotion qu’il avaitressentie la veille en présence de la créole, et qu’il eût subieune fois encore sans nul doute.

Au bruit de ses pas, la créole retira vivement sa main, puistourna languissamment la tête, tandis que le jeune Hector se levaiten rougissant et un peu embarrassé.

– Madame, fit le baron en s’inclinant, je vouscherchais…

– Vous êtes mille fois trop aimable, monsieur le baron.

– C’est mon devoir de châtelain, madame ; je venaisvous renouveler mes humbles excuses…

– Quelles excuses, baron ?

– Pour ma sotte conduite d’hier.

La créole laissa glisser sur ses lèvres un sourirenonchalant :

– Je ressemble donc bien à Gretchen ?

– Oh ! fit le baron, c’est elle !

– Quelle folie !

M. de Nossac fit un mouvement d’impatience.

– Encore ce mot de fou ! murmura-t-il.

– Pardon, monsieur, je voulais dire qu’il y a desressemblances bizarres.

– Oui, madame, fort bizarres ; vous ressembleztellement à Gretchen, que vous avez comme elle les mêmes plis dansle coin des lèvres, les mêmes phalanges aux mains… la même fossetteau menton…

Hector avait reculé d’un pas et jetait un regard jaloux sur lebaron, qui continuait à presser dans ses mains les mains de lacréole.

M. de Nossac surprit ce regard, et sa colère un momentapaisée lui revint et mit un éclair dans son œil.

– Monsieur de Kerdrel, dit-il, êtes-vous veneur ?

– Oui et non, monsieur.

– Pourquoi oui et non ?

– Parce que j’ai tous les instincts de la noble sciencesans les pouvoir mettre en pratique.

– Et pourquoi ?

Hector rougit :

– Parce que mon oncle est pauvre, et que nous n’avons nipiqueurs, ni équipages, ni chevaux.

La créole se sentit rougir à son tour de l’aveu que venait defaire le jeune homme, et celui-ci, surprenant ce trouble, redressala tête avec orgueil, et sembla se draper dans sa pauvreté commedans un manteau de roi.

M. de Nossac en pâlit : tout tournait contre lui,même l’humiliation de son rival, que l’amour relevait pour en faireune gloire.

Aussi, reprit-il, les dents serrées :

– Eh bien, vous chasserez aujourd’hui.

– Aujourd’hui ?

– Je venais supplier madame d’assister à une chasse ausanglier que nous avons projetée Simiane et moi.

– Avec plaisir, fit la créole.

– Nous partirons après déjeuner. J’ai d’excellentschevaux.

– Tant mieux ! dit la créole. Vous me donnerez le plusfougueux.

– Et à moi le plus rétif, dit Hector.

La créole poussa un petit cri, un mélange de frayeur et d’amourpresque maternel.

– Je ne veux pas ! dit-elle.

– Et pourquoi ? demanda le jeune homme.

– Parce que vous vous casseriez bras et jambes, méchantétourdi !

Et elle lui passa de nouveau la main dans les cheveux.

M. de Nossac rugit intérieurement, et devintlivide.

– Soyez tranquille, madame, dit-il avec une sourde ironie,M. de Kerdrel est bon cavalier : en moins d’une heure ilm’a rendu un cheval fourbu.

Hector, à son tour, eut un mouvement de colère.

– Et je l’en veux punir, continua dédaigneusement lebaron.

Hector prit l’attitude d’un homme qui s’attend à êtreprovoqué.

– Je vous fais cadeau du pauvre animal, et vous mets dansl’obligation de le garder, mon jeune ami.

Le ton du baron était puissamment protecteur.

– Je l’accepte, fit Hector sur le même ton d’ironie.

– Et comme il faut qu’un lieutenant de dragons deRoyal-Cravate soit convenablement monté, vous me permettrez de vousen offrir un second.

– Je ne suis pas lieutenant de dragons ! fit le jeunehomme stupéfait.

– Vous ignorez donc que je suis colonel deRoyal-Cravate ?

– Absolument.

– Et que j’ai un brevet de lieutenant en blanc ?

L’œil d’Hector s’alluma.

– Or, continua M. de Nossac à qui ce rôle d’hommemagnifique rendait l’avantage, il n’y a qu’un nom à écrire dessus,et, si vous le permettez, ce nom sera Hector deKerdrel !

Le jeune homme poussa un cri de joie, mais ce cri fut aussitôtréprimé par la créole :

– Je ne veux pas, dit-elle avec son petit ton impérieux etboudeur.

– Ah ! ma cousine.

– Quand vous serez lieutenant, monsieur le baron vousenverra vous faire tuer.

– Ou conquérir un grade de capitaine, fit Hector avecenthousiasme. J’accepte, monsieur le baron.

– Si je le veux… fit la créole.

– Oh ! ma petite cousine, murmura Hector en se mettantde nouveau aux genoux de l’Américaine, ma petite cousine, soyezbien gentille… permettez-moi…

– Eh bien, murmura-t-elle émue, nous verrons…

M. de Nossac tremblait de fureur. Il comprit qu’ilfallait rompre un peu pour ne pas reculer indéfiniment, et ilrépondit :

– Soit, nous en reparlerons. Maintenant, allons déjeuner,et cherchons M. de Kervégan et sa fille.

– Ils sont partis ce matin, dit Hector.

– Et pourquoi cela ?

– Pour faire préparer l’appartement de ma cousine. Mais ilsnous attendent tous ce soir. Ah ça, continua Hector, avez-vous unebelle meute ?

– Douze chiens seulement.

– C’est insuffisant pour forcer le sanglier.

– Aussi ne le forcerons-nous pas.

– Qu’en comptez-vous donc faire ?

– Je compte le tuer à coups de couteau de chasse, dit lebaron avec un sang-froid superbe.

Un nuage d’admiration passa sur le front de la créole, et aulieu de prendre le bras d’Hector, elle prit celui du baron et s’yappuya comme on s’appuie sur ce qui est fort !

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