La Baronne trépassée

Chapitre 9

 

M. de Nossac, au mol abandon avec lequel la créoles’appuya sur lui, comprit qu’il avait un commencement de victoire,et il continua :

– Au reste, mon jeune ami, je vous ferai donner despistolets pour votre sûreté personnelle.

Hector allait refuser sans doute.

– Et, continua soudain le baron, un cheval qui n’ait pointla bouche trop sensible.

Hector fit un mouvement d’impatience et fronça le sourcil.

– Parce que, en écuyer novice, quoique hardi, vous sciez labouche de votre cheval.

Cette fois le rouge monta au front d’Hector, mais il se tut, secontentant de jeter à la dérobée un rapide coup d’œil sur lacréole, sans doute pour y chercher un encouragement. Mais la créolecheminait les yeux baissés, et le baron poursuivit :

– Ce sera une garantie, d’ailleurs, pour la tendressepresque maternelle de madame, qui, tantôt, s’effrayait de vous voirmonter un cheval ardent.

Le coup était direct et décisif ; la créole se mordit leslèvres, et répondit sèchement :

– D’après ce que vous avez bien voulu me dire tout àl’heure, monsieur le baron, je vois que mon jeune cousin est uncavalier hardi, s’il n’est savant ; et comme audace vautsagesse en certains cas, ce serait vraiment puéril et ridiculed’entraver ses plaisirs, comme un tuteur morose.

Hector comprit sans doute tout l’avantage que ces quelques mots,débités du bout des lèvres et d’un ton protecteur, donnaient àM. de Nossac ; et soit calcul, soit dépit, ildemeura en arrière pour rattacher un nœud de son justeaucorps,préférant abandonner un moment la partie plutôt que la perdre sansretour.

M. de Nossac et la créole cheminèrent jusqu’au châteaupresque sans rien dire ; mais le baron sentait toujours lamoite pression de son bras sur le sien, et marchait lentement pourprolonger cette sensation.

Ils arrivèrent ainsi à la salle à manger, où les attendait lemarquis :

– Dis donc, Nossac, fit celui-ci, les voyant entrer, ilparaît que la meute est en désarroi.

– Bah !

– Et que tu as au plus douze chiens valides.

– Je le sais.

– Voilà qui nous permet à peine de courir un marcassin.

– Tu crois ?

– J’en suis sûr.

– Eh bien, moi, je vais acculer une laie nourrice et laprendre dans son fort à coups de couteau.

– Fou ! dit le marquis.

– Monsieur, hasarda la créole, c’est bienimprudent !

– Vous trouvez ?

– C’est bien dangereux !…

– Non, lui dit-il tout bas, si vous me suivez et si je sensvotre regard sur moi au moment décisif.

La créole baissa les yeux, et rougit.

« Bon ! pensa Nossac, elle m’aime déjà. »

En ce moment, Hector entra.

– Monsieur le baron, dit-il résolument, tout bien réfléchi,je ne veux pas de pistolets.

– Et pourquoi ?

– Parce que vous n’en porterez pas.

– Voilà tout ?

– Mais, sans doute.

– Et comme moi… vous voulez…

– Tuer le sanglier à coups de couteau, fit-ilrésolument.

La créole dressa la tête, et le regarda avec une satisfaction etun imperceptible rayonnement de joie qui n’échappèrent point àM. de Nossac.

Hector reprenait du terrain.

– Mon cher, dit froidement M. de Nossac, c’estmal ce que vous voulez faire là.

– Pourquoi, mal ?

– Parce que vous mettez ma vie grandement en péril.

– Comment cela ?

– Mais d’une façon toute simple : si vous essayez detuer le sanglier avec un couteau, ainsi que je le voulais faired’abord, vous me forcerez à jeter le couteau et à l’étouffer dansmes bras, ni plus ni moins qu’un chevreuil.

Cette fois, la victoire était certaine.

Si hardi qu’il fût, Hector frissonna involontairement, et n’osarépondre : « Je veux faire comme vous. »

Il baissa la tête, rougit, et se tut.

La créole éprouva un violent dépit, sans doute de cettereculade, car elle dit avec un ton moitié indulgent, moitiérailleur :

– Ce n’est point généreux à vous, monsieur le baron, deconduire mon jeune cousin sur un terrain pareil… il est trop frêle,trop délicat…

Hector ouvrit la bouche sans doute pour répondre uneimpertinence qui le pût venger de la supériorité du baron, mais unregard furtif de la créole la lui ferma.

M. de Nossac triomphait.

Il fut généreux, amena la conversation sur un terrain neutre, etl’y maintint pendant tout le déjeuner.

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