La Baronne trépassée

Chapitre 12

 

Le baron la contempla une minute ainsi brisée et ployée sur sonbras ; une minute il hésita entre le respect et la passion,puis, la passion l’emportant, il appuya sur le front mat de lajeune femme ses lèvres frémissantes. À ce contact, elle tressaillitet rouvrit les yeux :

– Que faites-vous ? dit-elle.

– Je vous aime, murmura-t-il.

– Laissez-moi !…

Elle se dégagea brusquement, et le regarda avec colère. Alors ilse mit à genoux, lui prit encore les mains, et lui dit :

– Je vous aime tant… pardonnez-moi !

L’éclair d’irritation qui brillait dans son œil disparut. Elleregarda cet homme si fort, si admirablement trempé en face despérils les plus réels et les plus terribles ; elle le vithumble et suppliant devant elle, devant elle, tremblante et follede frayeur, devant elle, que la foudre épouvantait, que la pluieavait glacée, qui, seule, eût été dans l’impossibilité de fuir etmême de faire quelques pas, tant l’orage l’avait impressionnée etpour ainsi dire pétrifiée…

Elle lui donna sa main, sa belle main tremblante et glacée, etlui dit :

– Je vous pardonne…

Il eut un mouvement de joie, et répondit :

– Aimez-moi !

Un éclair passa si près d’eux en ce moment, que, de nouveau,elle se jeta dans les bras du baron. Il crut à un aveu tacite, etil effleura de ses lèvres les boucles en désordre de ses cheveuxnoirs. Elle tressaillit comme la première fois ; comme lapremière fois, elle étouffa un cri, mais elle ne chercha point à sedégager de son étreinte.

– Un mot ! lui dit-il avec l’accent de la prière, unseul…

– Vous voyez bien que j’ai froid !…

Il la serra plus fort sur son cœur.

– Par grâce ! répéta-t-il, un seul mot !

– Mais… quel mot ?

– Oh ! vous le savez bien…

– Je vous jure…

– Dites-moi, dites-moi que vous m’aimez !

– Eh bien ! soupira-t-elle, soit !…

Il frissonna d’espérance ; son cœur faillit éclater.

– Soit ! poursuivit-elle, monsieur le baron de Nossac,Gretchen vous aime…

Il jeta un cri.

– Vous l’avouez donc ? s’écria-t-il.

– Mais, quoi donc, s’il vous plaît ?

Et son accent redevint froid et bref.

– Vous l’avouez, que vous êtes Gretchen ?

– Pas le moins du monde, reprit-elle avec un sourireironique, j’ai voulu vous prouver à vous-même que c’était Gretchenque vous aimiez en moi.

Le baron rougit et frissonna. Il regarda cette femme, cettefemme lui souriait avec la malice glacée d’un démon ; cettefemme, affaissée un moment par la terreur, se relevait dédaigneuseet froide. Et il n’avait pas le droit de se plaindre, car il venaitde la froisser cruellement.

Elle se débarrassa du manteau, et le lui jeta.

– Gardez-le pour Gretchen, dit-elle ; je ne veux riende vous.

– Si vous savez une prière, dit-il, faites-la.

Elle recula avec terreur.

– Vous voulez donc me tuer ? s’écria-t-elle.

– Oui, madame.

– Mais que vous ai-je fait ?

– Rien.

– Alors…

Et elle lisait tant de colère et de détermination dans son œil,qu’elle se jeta à genoux, et leva les mains en suppliant.

– Alors, continua le baron, je vais vous tuer et me tuerensuite. Nous aurons pour tombeau cette vallée déserte, et pourfossoyeurs les vautours. Priez, madame…

– Mais… fit-elle, glacée et éperdue, que vous ai-je doncfait ? Pourquoi voulez-vous me tuer ?

– Parce que je vous aime.

– Et… dit-elle, si je vous aimais aussi, me tueriez-voustoujours ?

– Oui, si vous me le disiez, car demain peut-être vous nem’aimeriez plus.

Elle se releva joyeuse, lui passa ses bras autour du cou, et luidit :

– Tuez-moi, maintenant ; tue-moi… je t’aime !

Il leva de nouveau l’arme sur elle, mais l’arme lui échappa desmains et tomba sur le sol.

– Je ne peux pas ! Je n’ai pas la force de tetuer.

Mais, après cette étreinte d’une seconde, la créole se dégagearougissante, et fit un pas en arrière.

– Monsieur, dit-elle, voulez-vous m’écouter ?…

Il frissonna. Les réticences de cette femme étaientterribles.

– Le voulez-vous ? reprit-elle.

– Parlez, madame.

– Monsieur, j’ai vingt-sept ans ; je suis veuve, j’aicinquante mille livres de rente… Si vous voulez que je vous aime,vous m’épouserez !

M. de Nossac faillit mourir de joie.

– Vous êtes un ange ! s’écria-t-il.

– Un ange, non. Mais je serai votre femme dans huitjours.

Et comme l’orage s’apaisait, comme sur les collines brumeuses etla vallée grelottante la nuit jetait déjà son premier voile, elleajouta :

– Venez ; la pluie a cessé, la foudre se tait :rentrons.

Ils ne se souvinrent pas davantage du second cheval ; ilsn’y songèrent pas. Ils reprirent le chemin du château au pas,enlacés l’un à l’autre.

Et ce fut pour le baron une répétition de cette délicieusepromenade de la veille à travers les genêts d’or, les bruyèresembaumées et sous les hautes coulées bretonnes, une promenade où lanature parlait au cœur par ses mille souffles. Une seule choseétait changée : l’idole !

La veille, Yvonnette s’appuyait sur lui. Ce jour-là, c’était lacréole.

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