Le Péril Bleu

Chapitre 18UNE LETTRE, UN CÂBLOGRAMME

(Pièce 397)

Lettre du duc d’Agnès à M. Le Tellier

40, avenue Montaigne.

9juin 1912.

« Cher Monsieur,

Il y a aujourd’hui un mois, jour pour jour,que j’ai quitté Mirastel, vous laissant tous si désolés. J’aibeaucoup travaillé depuis lors ; mais ce n’est que d’hier quej’éprouve assez d’espérance pour avoir enfin le courage de vous leconfier.

Assurément, je ne suis pas sans inquiétude ausujet de ce dirigeable légendaire que Maxime a vu dans lebrouillard, me dites-vous, et qui semble se passer d’aéronautes.Votre description m’a fait penser aux torpilles télémécaniques, cespetits véhicules de catastrophes qu’on est parvenu à diriger deloin, sans fil. Pourquoi, en effet, n’y aurait-il pas des ballonsanalogues, dont les différents mécanismes seraient commandés àdistance, par un capitaine insoupçonnable ?… Voilà quicompliquerait notre tâche ! Car, en admettant que nouspuissions nous emparer de ce ballon désert, quelles indicationsrésulteraient pour nous d’une telle prise, quant au domicile et àlà personnalité des sarvants ?

Heureusement, rien n’est sûr. Et d’ailleurs,l’engin que nous allons fabriquer, notre aéroplane de chasse sera,j’espère, des plus remarquables.

Hélas ! ce n’est encore qu’uneespérance ! Cependant, voici : Hier, mon chef deconstruction, le pilote Bachmès, s’est abouché avec un ingénieurqui prétend avoir découvert un moteur fonctionnant parl’électricité atmosphérique… Capter le potentiel de la nature,puiser la toute-puissance des volts à même sa grande source, c’estla chimère, depuis longtemps poursuivie, vous le savez ; c’estla dépense abaissée à presque zéro ; c’est la machinerieréduite à un poids négligeable ; c’est surtout lavitesse miraculeuse.

Si l’invention n’est pas une flibusterie, sivraiment il suffit, pour faire tourner une hélice, de caler sur sonaxe un transformateur de courant, nous achetons le brevet. Et nousconstruisons sur-le-champ.

Ce sera vite fait, je pense… Mais« vite » ! Qu’est-ce qui est vite lorsqu’on estanxieux !… Que deviennent les disparus ?…Trente-quatre jours !… Où est MademoiselleMarie-Thérèse ?… Ah ! cher Monsieur, comme je voudraisêtre à mon poste de vedette aérienne, et savoir où ?comment ? qui ? et pourquoi ?

L’attente : quelle chose terrible !Je passe mes journées aux ateliers de Bois-Colombes. En ai-je faitd’inutiles expériences !… Et rester là ! piétiner, avecla conscience du temps perdu !… Le croirez-vous ? j’envieparfois le sort de Tiburce ! Lui, au moins, possède un butprécis, pour vain que soit ce but, et s’emploie sans cesse àl’atteindre. Il a le soulagement de l’action… Mais la cruelledéconvenue qu’il se prépare, l’entêté ! Je vous adresseci-inclus un câblogramme de lui, que je viens de recevoir. Ce n’estpas les premières nouvelles qu’il m’envoie. Il m’a déjà expédié unmarconigramme, en plein Océan, le lendemain de son départ etsimplement pour me l’annoncer. Depuis, je n’avais rien reçu. Tantde niaiseries en si peu de mots, peut-être cela vous plongera-t-ildans un étonnement qui vous fera oublier, une seconde, la précaritéde notre situation. C’est, par malheur, le seul avantage que nouspuissions retirer de la dépêche ci-jointe.

Je vous prie, cher Monsieur, de vouloir bienagréer à Madame Le Tellier et à…, etc.

François D’AGNÈS. »

« P.-S. – Une effervescence considérablerègne dans tous les chantiers de constructions aériennes. Dans ceuxde l’État notamment. On y cherche l’appareil approprié à cettenouvelle destination : la poursuite d’aviateurs insaisissablespar leur rapidité. Cependant, on prête à certains le projet insenséde partir en reconnaissance au-dessus du Bugey avec les appareilsactuels, tout à fait insuffisants. On cite des noms célèbres… Nousferons mieux que tout cela. Patience et bon courage. F.A. »

(pièce 398)

Câblogramme de Tiburce au duc d’Agnès

SanFrancisco, 6 juin 1912.

« Tout bien. – Pas encore rattrapé H[atkins]. Mais suis certain M [arie] -T [hérèse] avec lui. Car aiappris H. accompagné seulement par hommes. Travestissement.Stratagème grossier, prévu. – D’ailleurs, calculs indiscutablesprouvent M. -T. avec H. ainsi que H [enri] M [onbardeaul. –Fait nouveau : évidemment ils le suivent de bon gré.Pourquoi ? Mystère. L’éclaircirai bientôt. – Sont partis pourNagasaki. – M’embarque ce soir pour Japon. – Leur précipitationsuspecte. – Vos stupides histoires sarvants venues jusqu’ici. Fontsourire San Francisco. – Respectueux hommage sœur. –TIBURCE. »

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