Le Péril Bleu

Chapitre 4UN MESSAGE DE TIBURCE

Au moment d’insérer cette lettre à sa place chronologique, etmalgré le serment que je m’étais fait de suivre M. Tiburcejusqu’au terme de ses divagations, pour édifier la jeunesse, ilm’est venu des scrupules. L’apparence déplacée et comme erratiquede la missive choquait en moi l’esprit d’ordre et d’homogénéité.Mais prestement j’ai répudié d’aussi sottes préoccupations, devantl’intérêt de la tâche à remplir. Je compte même que les erreurs deM. Tiburce, rappelées ainsi tout d’un coup, sans l’ombre d’unetransition – comme une trappe s’ouvrirait sur un abîme – frapperontdavantage le lecteur.

(Pièce 502)

Duc François d’Agnès,

Avenue Montaigne, 40, Paris,

France, Europe.

Nagasaki, le 20 juillet 1912

Ante-scriptum. – Avant tout, soisrassuré : je conserve le plus grand espoir de rattraper lesfugitifs. Cela étant bien établi, je vais te rendre compte de montravail. Succinctement ; car je prends tout à l’heure lepaquebot de Singapour, via Canton.

« Mon cher ami,

Je sors de prison. J’y ai passé huitjours.

Depuis mon dernier câblogramme, j’ai traversél’Amérique, de New York à San Francisco, à la poursuite de quatrepersonnes qui avaient sur moi plusieurs jours d’avance. Dans cesquatre personnes – quatre hommes, disaient les renseignements –j’avais facilement reconnu Hatkins et Henri Monbardeau,Mme Fabienne Monbardeau etMlle Marie-Thérèse Le Tellier voyageant sous desdéguisements et des travestis.

À San Francisco, j’apprends que le paquebot deNagasaki a levé l’ancre la veille de mon arrivée… Je flaire quelquechose, je gagne à prix d’or un employé de la compagnie, et, tantbien que mal – car hélas ! je ne sais que le français – jedémêle qu’une société de six passagers s’est embarquée sur leditpaquebot. Aucun de leurs noms ne correspond à l’un de ceux duquatuor que je cherche : mais, de ces six personnes,quatre ont un signalement diamétralement opposé àcelui de mes fuyards… Y es-tu ? C’étaient donc eux, tropbien dissimulés ! C’étaient eux, avec une paire decomplices additionnels.

Il n’y avait pas à hésiter ; jem’embarque à mon tour.

J’arrive. Nagasaki. Je passe tous les hôtels,un à un, et après mille difficultés, occasionnées par mon ignorancedu japonais et de l’anglais, je parviens cependant, par uneaccumulation de confidences chèrement payées, à conquérir la preuvequ’un couple français ressemblant aux Monbardeau loge dans unhôtel, et qu’un autre couple, qui doit être Hatkins etMlle Le Tellier, est descendu dans un hôtel voisin.Le flair continue à me guider. Je prends gîte à l’hôtel où jesoupçonne Hatkins et Mlle Marie-Thérèse de secacher sous les dehors du révérend James Hodgson et de sa fille. Jeretiens une table près de celle qu’ils doivent occuper au dîner,dans le but d’acquérir la certitude de leur identité, puis je vaismoi-même me déguiser.

Au premier coup de gong, Tiburce n’était plusqu’un vieux prêtre italien (tu n’ignores pas que c’est ledéguisement favori de mon maître Sherlock Holmes. J’avais emportédouze complets-transformations, mais cette soutane me parut decirconstance.) Ah ! sans me flatter, je puis dire que mafigure ridée, mon nez aquilin, ma perruque blanche faisaientillusion. Le beau grime !…

Pourtant, comme je descendais l’escaliermenant au restaurant, une dame respectable, qui le montait, meregarda, d’un air estomaqué… D’autres gens font de même, et, sur leseuil de la salle à manger, le directeur de l’hôtel, averti parl’un de ces imbéciles, me prie de passer dans son bureau. Ma ruseest éventée. (Je n’y comprends rien !) J’essaie, malgré tout,de contrefaire le parler italien, mais je ne sais pas l’italien…Alors on monte dans ma chambre. On fouille mes bagages. À cause dema garde-robe hétéroclite, on me prend d’abord pour Fregoli entrain de faire une farce… Mais, au fond de ma cinquième malle,voilà qu’on découvre la trousse de cambrioleur dont tout détectivesérieux ne doit pas se séparer. Bon ! Je ne suis plus qu’unescroc. On instrumente. On m’enferme. Grâce au consul de France madétention ne dure que huit jours ; tout s’éclaire. Mais j’aitoutes les peines du monde à éviter qu’on me rapatrie sous bonnegarde.

Sur ces entrefaites, je suis informé que,le lendemain de mon écrou, le pseudo-révérend Hodgson etsa soi-disant fille sont partis à destination de Singapour, viaCanton. Subito – comme disait le vieux prêtre italien – jem’arrange pour pouvoir les suivre dès ce soir, laissant parmalheur, entre les mains des autorités de Nagasaki, ma trousse, mescostumes, mes fards – toute ma précieusesherlockaillerie !

Je me demande si les Monbardeau accompagnentles faux Hodgson. À Singapour je le verrai bien.

De toute façon, cette série de départsprécipités indique la fuite ; et puisqu’ils sesauvent, c’est que ce sont eux.

Adieu, mon ami. Ne m’oublie pas auprès deMlle d’Agnès.

Confiance.

TIBURCE. »

« Post-scriptum… – Affairé, necessant de combiner des tactiques, je ne puis t’écrire souvent.Pardonne. Je le ferai toutes les fois qu’il me sera possible.

Surtout, rappelle-moi au souvenir de tasœur. »

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