Le Péril Bleu

Chapitre 1ENTRÉE EN MYSTÈRE

À quelle date faut-il placer la premièremanifestation du Péril bleu ? C’est un problème qui n’a jamaisété bien résolu, mais dont il importe de dire quelques mots.Faisons d’abord justice d’une croyance singulièrement tenace dansle peuple et qu’on est en droit d’appeler la légende del’Auvergnate. Non, la femme trouvée le 28 février, dans unchamp, près de Riom, couchée sur le dos et le front ouvert, n’aaucun rapport avec le début de ce qui nous intéresse. Il estvraiment extraordinaire qu’on accrédite encore une fable pareille,quand l’assassin de cette femme, arrêté six mois plus tard, fitl’aveu de son crime et se vit condamner à vingt ans de travauxforcés par le jury du Puy-de-Dôme – ainsi qu’il appert des pièces 1et 2 du dossier Le Tellier (procès-verbal de la découverte ducadavre et extrait de jugement). Après cela, comment se trouve-t-iltoujours des sots pour accuser les sarvants d’avoir commisce meurtre ? L’épouvante régnait à l’époque des débats, ilfaut qu’elle en ait détourné l’attention publique ; je ne voispas d’autre excuse à de telles aberrations.

Revenons au dossier. Le troisième document estune série de cinq coupures de journaux. À leur vue, force lecteursvont se rappeler l’incident qui les défraie et dans lequelM. Le Tellier pense reconnaître la marque initiale dessarvants. Ce n’est d’ailleurs qu’une présomption ;rien de plus. On appréciera.

LE JOURNAL

Sous le titre : COLLISION EN MER

LeHavre, 3 mars

Le paquebot Bretagne faisant leservice entre New York et Le Havre et qu’on attendait ce soir, afait savoir au siège de sa compagnie, par marconigramme, que, dansla nuit du premier au deux, il a été abordé par un navire qu’il n’apu identifier et qui s’est enfui. La collision s’est produite partribord et à l’arrière. La coque est fortement endommagée,heureusement au-dessus de la ligne de flottaison. Il y a cinq mortset sept blessés. L’accident ne retardera pas sensiblement la marchedu paquebot.

LeHavre, 4 mars

La Bretagne est arrivée hier avectrois heures de retard. On n’a aucune nouvelle du navire abordeur.Celui-ci s’est esquivé avec une telle rapidité que les projecteursélectriques de la Bretagne, aussitôt mis en action, nepurent le découvrir. Il est vrai que la mer était houleuse et quela pluie aveuglait les observateurs et limitait le champd’éclairage. La collision se serait produite pendant que laBretagne était soulevée par une forte lame.

(Suit la liste des morts et desblessés.)

LeHavre, 5 mars

Les personnages qualifiés pour le savoir n’ontpas connaissance qu’un navire ait dû se trouver sur la route de laBretagne à la date et à l’heure indiquée par le capitainede ce transport. L’ère des pirates étant passée, il faudrait doncse rallier à l’hypothèse d’un vaisseau de guerre en missionclandestine. Cette supposition serait d’ailleurs confirmée par cefait que l’énorme brèche de la Bretagne semble avoir étépratiquée par l’éperon d’un avant blindé. Alors est-on en présenced’un accident ou d’une attaque ? Il importe de noter que lesvigies de la Bretagne n’ont aperçu aucun fanal.

DeWilhelmshaven, 6 mars

Le destroyer Dolch, de la flotteallemande, est entré en cale sèche hier après-midi pour êtreréparé. Il a subi des avaries au sujet desquelles la consigneparaît de se taire. N’y aurait-il pas un rapprochement à faireentre ces mystérieuses réparations et l’accident non moinsmystérieux de la Bretagne ?

LA LIBRE PAROLE

(Article de tête du 9 mars. Fragment terminal.)

… Ainsi donc, messieurs, vous ajoutez foiaux dires du commandant allemand, lorsqu’il soutient que, au momentde l’abordage de son destroyer, « il se trouvait à 35 millesau nord de la Bretagne » ?… Vous ne sourcillezpas quand il avoue que « cet abordage s’est produit néanmoinsquelques secondes après celui du paquebot » ?…Quand il déclare que, « prenant part à une manœuvre de nuit,il devait naviguer tous feux éteints », cela ne vous ditrien ?… Quand il s’écrie (comme le commandant de laBretagne) : « Je n’ai rien vu ! » vousadmettez cela ?… Alors, s’il vous plaît, existerait-il unvaisseau-fantôme malfaisant, présent partout à la fois ? Oubien les deux embarcations se sont-elles heurtées malgré ladistance de soixante-dix kilomètres ?… Je lis dansl’officieuse Gazette de Cologne : « Si nousavons fait le silence là-dessus, c’était pour éviter qu’en Franceon rapprochât les deux collisions. » Deuxcollisions ! Laissez-moi sourire… tristement.

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