Anna Karénine – Tome II

Chapitre 5

 

« Barbe Andrevna, dans ma jeunesse jem’étais fait un idéal de la femme que je serais heureux d’avoirpour compagne ; ma vie s’est passée jusqu’ici sans larencontrer, vous seule réalisez mon rêve. Je vous aime et vousoffre mon nom. »

Ces paroles sur les lèvres, Serge Ivanitchregardait Warinka agenouillée dans l’herbe à dix pas de lui, etdéfendant un champignon contre les attaques de Gricha afin de leréserver aux plus petits.

« Par ici, par ici, il y en a desquantités, criait-elle de sa jolie voix bien timbrée. Elle ne seleva pas à l’approche de Kosnichef, mais tout, dans sa personne,témoignait de la joie de le revoir.

– Avez-vous trouvé quelque chose ? luidemanda-t-elle, tournant son aimable visage souriant vers lui.

– Rien du tout », répondit-il.

Après avoir indiqué les bons endroits auxenfants, elle se leva et rejoignit Serge ; ils firentsilencieusement quelques pas ; Warinka, étouffée parl’émotion, se doutait de ce que Kosnichef avait sur le cœur. Tout àcoup, quoiqu’elle n’eût guère envie de parler, elle rompit lesilence pour dire presque involontairement :

« Si vous n’avez rien trouvé, c’est qu’ily a toujours moins de champignons dans l’intérieur du bois que surla lisière. »

Kosnichef soupira sans répondre, cette phraseinsignifiante lui déplaisait ; ils continuèrent à marcher,s’éloignant toujours plus des enfants. Le moment était propice pourune explication, et Serge Ivanitch, en voyant l’air troublé et lesyeux baissés de la jeune fille, s’avoua même qu’il l’offensait ense taisant ; il s’efforça de se rappeler ses réflexions sur lemariage, mais, au lieu des paroles qu’il avait préparées, ildemanda :

« Quelle différence y a-t-il entre uncèpe et un mousseron ? »

Les lèvres de Warinka tremblèrent enrépondant :

« Il n’y a de différence que dans lepied. » Tous deux sentirent que c’en était fait ; lesmots qui devaient les unir ne seraient pas prononcés, et l’émotionviolente qui les agitait se calma peu à peu.

« Le pied du mousseron fait penser à unebarbe noire mal rasée, dit tranquillement Serge Ivanitch.

– C’est vrai », répondit Warinka avec unsourire. Puis leur promenade se dirigea involontairement du côtédes enfants. Warinka était confuse et blessée, mais cependantsoulagée. Serge Ivanitch repassait dans son esprit sesraisonnements sur le mariage, et les trouvait faux. Il ne pouvaitêtre infidèle au souvenir de Marie.

« Doucement, enfants, doucement »,cria Levine voyant les enfants se précipiter vers Kitty avec descris de joie.

Derrière les enfants parurent Serge Ivanitchet Warinka ; Kitty n’eut pas besoin de questionner ; ellecomprit, à leur ton calme et un peu honteux, que l’espoir dont ellese berçait ne se réaliserait pas.

« Cela ne prend pas », dit-elle àson mari en rentrant.

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