SCÈNE III
Souworow, Bagration, Mandrikine, Hattouine, Ivanowna,quelques soldats de Rymnik
Souworow, d’un accent joyeux,à Hattouine. – Hé ! c’est toi,matouchka ?
Hattouine. – Oui, Basilowitche,c’est moi.
Souworow. – Tu suivras donctoujours les armées avec ton kibitk ?
Hattouine. – Toujours,Basilowitche, toujours… Qu’est-ce que je puis faire ? Il fautbien que je suive mes enfants… je suis la mère du bataillon.
Souworow, à Bagration.–Voyez, Bagration, voilà notre plus vieille matouchka… lavieille des vieilles… Quel âge as-tu, matouchka ?
Hattouine. – Oh ! qu’est-cequi peut savoir ? Depuis longtemps je ne compte plus lesannées, Basilowitche, depuis bien longtemps !
Souworow. – Combien de fois tum’as versé le schnaps ! Tu te rappelles, àPétersbourg ?
Hattouine. – Si je merappelle ! c’était pendant les grandes manœuvres de la garde,il y a cinquante ans. Tu étais alors sous-officier !… Tu nepensais pas, je serai feld-maréchal, Rymnikski, prince Italikski…hé ! hé ! hé ! Et moi je te disais :Basilowitche, courage, courage… Tiens, bois ce verre de schnaps…Conserve-toi, mon fils !
Souworow, attendri.–C’est vrai, matouchka. (À Bagration.) Elle me disait ça,Bagration. Ah ! vieille matouchka, que je suiscontent de te voir en bonne santé… Tu n’as besoin de rien ?Rien ne te manque ?
Hattouine. – Rien,Basilowitche.
Souworow. – Tu as de l’eau-de-viedans ta tonne ?
Hattouine. – Un peu… un peu… Lechirurgien, en bas, m’en a pris beaucoup pour les blessés, je n’enai presque plus.
Souworow. – Eh bien, verse lereste à ces braves enfants, verse-leur tout ; les mules vontvenir, on remplira la tonne jusqu’au haut, je le veux… Allons,matouchka,bonne nuit ! Tu dois être bienlasse ?
Hattouine. – Oui, les cheminsd’Italie valaient mieux que celui-ci ; je marchais toutdoucement, tout doucement derrière les enfants !
Souworow, riant.–Ah ! voyez-vous ça… les bons chemins… Elle aime les bonschemins ! Et la gloire, matouchka, la gloire, tucomptes ça pour rien ?
Hattouine. – La gloire est pourSouworow, les vilains chemins sont pour tout le monde.
Souworow, riant.– Hé,hé ! hé ! la vieille matouchka qui me dit sesvérités. (Il s’éloigne. À la porte de la grange il seretourne.) Allons, Bagration.
(Ils entrent.)