SCÈNE VIII
Lecourbe, Daumas, Jacob, Kasper, Niclausse, officiers,soldats, etc.
Jacob, sur la porte de sonallée. – On n’a pas besoin de m’arrêter… me voilà… c’est moi…le bourgmestre.
Lecourbe. – Ah ! vous êtesle bourgmestre ?
Jacob. – Oui, et j’ai desplaintes à faire.
Lecourbe, étonné.– Desplaintes ?
Jacob, d’un accentpathétique. – Oui, des plaintes !… Quand on parletoujours aux gens de liberté, d’égalité, de fraternité, comme vous,on ne vient pas les ruiner de fond en comble.
Lecourbe. – Brave homme,rappelez-vous ceci : La guerre ne fait jamais de bien àpersonne, et quant aux Français, ils vous feront toujours le moinsde mal possible. – Mais il ne s’agit pas de cela… Vous êtesbourgmestre, vous devez connaître le pays ?
Jacob. – Je le connais.
Lecourbe. – Existe-t-il un guéd’ici Hospenthâl ?
Jacob. – Non, la Reuss estprofonde partout.
Lecourbe. – Vous en êtessûr ?
Jacob. – J’en suis sûr.
Lecourbe, s’adressant àKasper et à Niclausse. – Et vous autres ?
Niclausse. – Il n’y a pas de guéau-dessus du village.
Jacob. – Si vous voulez en savoirplus, voici un garçon de Hospenthâl, qui vous dira la mêmechose.
(Il montre Kasper.)
Lecourbe, à Kasper.–Ah ! vous êtes de Hospenthâl ?
Kasper. – Oui, je suis venu cematin prévenir maître Jacob que les Russes arrivent.
Lecourbe. – Vous êtes parti delà-bas à quelle heure ?
Kasper. – Vers trois heures dumatin.
Lecourbe. – Et les Russes étaientarrivés chez vous ?
Kasper. – À deux heures.
Lecourbe. – Alors, ils sontrestés à Hospenthâl jusqu’à trois heures ?
Kasper. – Oui.
Lecourbe. – Ils n’ont pas fait dedétachements sur Dissentis ?
Kasper. – Je ne sais pas… Ilsétaient affamés… ils pillaient le village.
Lecourbe. – Ils n’avaient doncpas de convois : des mulets, des charrettes ?
Kasper. – Ils n’avaient que leurssacs, leurs gibernes et leurs fusils.
Lecourbe. – Et vous n’avez pasentendu dire qu’ils avaient envoyé du monde, sur leur droite, ducôté de Dissentis ?
Kasper. – Non.
Lecourbe. – Cela suffit… Vouspouvez partir.
Jacob, d’un ton désolé.– Laissez-nous au moins emmener nos troupeaux.
Lecourbe. – Qu’est-ce qui vous enempêche, mon brave homme ? Emmenez tout… Chargez sur voscharrettes tout ce que vous pourrez !… Si les Russes arrivent,moins ils trouveront de bétail et de vivres chez vous, plus jeserai content.
Jacob. – À cette heure, je voisque vous êtes un brave homme ! (Se retournant.) Vite,Niclausse, ouvre les étables sur le grand pré, mène les bêtes surle Gurschen ; moi, je vais charger la voiture, Kasperm’aidera.
(Ils rentrent dans la maison.)