La Guerre

SCÈNE XI

 

Hattouine, Ivanowna, les porteurs, le blessé, ledocteur

 

Le docteur, criant à lafenêtre. – Qu’est-ce que c’est ?… Qu’est-ce que vousfaites là ?…

Un aide. – C’est uncommandant.

Le docteur, avec colère.– Qu’est-ce que ça me fait qu’il soit commandant ?Apportez-le… montez-le, mille tonnerres !… Ah ! lescrétins. (Levant les yeux, et voyant d’autres blessés qu’onapporte à la file.) En voilà… En voilà !…

(Les porteurs entrent le blessé dans lechalet, avec les aides. Hattouine se lève et va regarder lesautres, à mesure qu’ils arrivent.)

Hattouine. – Des vieux… desjeunes !… Des vieux… des jeunes !… Oh ! nousretournerons seuls en Russie… Tous partent… tous !

(À mesure que les blessés arrivent, on lesporte dans le chalet. Clameurs immenses dans le lointain, roulementde la fusillade. Cris : – En avant !… enavant !…)

Le docteur, criant del’intérieur du chalet. – Du linge, matouchka, dulinge !

Hattouine, prenant un paquetde bandes. – Aide-moi, Ivanowna, aide-moi.

(Elle remet le paquet à un aide, qui estvenu le prendre.)

Ivanowna, regardant enl’air. – Mon Dieu, tous s’arrêtent…

Hattouine. – Ils reculent !…les soldats de Souworow reculent !…

(Silence. Une file de blessés arrivent àpied.)

Ivanowna, regardant lepremier. – Un homme du bataillon…

Le blessé, s’adossant aumur. – Matouchka !…

Hattouine, accourant.–Daroch !

Le blessé. – Ah !matouchka… je ne verrai plus la Russie…

Hattouine, le faisant asseoirsur le banc. – Qu’est-ce que tu as ?

Le blessé, montrant sonépaule droite. – Une balle ici, matouchka… une balle…c’est fini.

Hattouine, à Ivanowna.–Vite, un verre de schnaps ! (Au blessé.) Etlà-haut ?

Le blessé. – On ne peut paspasser… des trous… des…

Hattouine, lui présentant leverre qu’Ivanowna vient d’apporter. – Tiens, bois.

(Il boit et se ranime un peu.)

Le blessé. – C’est bon !…(Lui rendant le verre.) Oh ! bonnematouchka !…

Hattouine. – Qu’est-ce que tu asvu là-haut ?

Le blessé. – J’ai vu des filesd’hommes tomber… rouler… (Avec un geste d’horreur.)Ah ! c’était tout bleu… tout noir au fond… Ils tombenttoujours, matouchka !

(Il se couvre les yeux d’une main ets’affaisse contre le mur.)

Hattouine, seretournant.– Souworow… Souworow… mangeur d’hommes… soiscontent… sois content… tout est fini… tout va périr !

(Grondement de la fusillade, qui serapproche. Mouvement de retraite. Cris : – Enavant !… Halte !… halte !… En avant !… –Le hettmann arrive au galop, suivi de ses cosaques. Le chevald’un cosaque, blessé d’un coup de feu, se cabre au bord duprécipice ; le cavalier pousse un cri terrible : l’hommeet le cheval disparaissent.)

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