SCÈNE II
Les précédents, le comte Kalb, seigneurs
Souworow, regardant lecomte. – Monsieur le comte… comment ?
Le comte. – Kalb,feld-maréchal.
Souworow. – Ah ! fort bien…Vous excuserez mon étonnement, monsieur le comte. Ce nom russe estnouveau pour moi… À quelle circonstance dois-je l’honneur et lafaveur de votre visite ?
Le comte. – Sa Majesté le TzarPaul me charge de vous présenter ses compliments,feld-maréchal.
Souworow. – Je suis touché…profondément touché., monsieur le comte… ?
Le comte. – Kalb.
Souworow. – Un nom russe,n’est-ce pas ?
Le comte. – Je suis né enTurquie ; c’est à la grâce du monarque que je dois montitre.
Souworow. – Ah ! monsieur lecomte, vous avez sans doute rendu quelque service éminent ?Dans quel corps avez-vous servi ? À quelle bataille avez-vousassisté ?…
Le comte. – Je n’ai jamais servidans l’armée.
Souworow. – Ah ! jecomprends… c’est dans la diplomatie.
Le comte. – Non,feld-maréchal.
Souworow. – Ou dans quelqueministère ?
Le comte. – Je n’ai jamais servidans aucun ministère. J’ai toujours été auprès de l’augustepersonne de Sa Majesté.
Souworow, faisantl’étonné. – Ah ! mon Dieu ! Et en quelle qualité,s’il vous plaît ?
Le comte. – J’ai été premiervalet de chambre de Sa Majesté impériale.
Souworow, après unsilence. – Ah ! très bien !… très bien ! (Setournant vers son domestique.) Basilianof, vois-tu ceseigneur ! Il a été ce que tu es… À la vérité, c’était auprèsde notre très gracieux souverain… Tu vois le beau chemin qu’il afait ?… Le voilà devenu comte… le voilà décoré des ordres deSaint-André, de Saint-Alexandre-Newski, de Saint-Volodimir, de tousles ordres de Russie !… Ainsi, tâche de te bien conduire,Basilianof… Qui sait ce que tu peux devenir un jour ?… C’estencourageant !… (Au comte.) Monsieur le comte, vousexprimerez à Sa Majesté toute ma gratitude de l’honneur qu’elle mefait… J’aurais désiré pouvoir vous épargner cette peine, mais nosservices, à nous autres vieux soldats, sont plus pénibles que lesvôtres, quoique moins glorieux, sans doute !… Et vous direz àSa Majesté… (Une suffocation le prend. Il se jette en arrière,en étendant la main et criant 🙂 Matouchka…adieu !…
(Sa tête retombe, il s’affaisse dans sonfauteuil. Le comte sort précipitamment, les autres seigneurs lesuivent. Hattouine s’agenouille.)
Basilianof, après un longsilence. – Le feld-maréchal est mort !…