La Guerre

SCÈNE V

 

Souworow, Mandrikine, puis ladéputation d’Altorf

 

Mandrikine, gui s’estapproché du feld-maréchal. – Feld-maréchal, une députation debourgeois d’Altorf sollicite l’honneur de vous être présentée.

(Il montre la députation arrêtée au milieudu chemin.)

Souworow, regardantpar-dessus l’épaule. – Qu’est-ce que ces gens-là meveulent ?

Mandrikine. – Sans doute quelqueréclamation, au sujet des nouvelles réquisitions.

Souworow. – Eh bien, qu’on leslaisse venir.

(Il reprend son attitude. Mandrikine faitsigne à la députation d’approcher ; les soldats et lesofficiers, autour de leurs feux, regardent un instant avecindifférence.)

Mandrikine, présentant ladéputation. – Une députation de la ville d’Altorf,feld-maréchal.

(Souworow incline la tête sans répondre etsans se lever.)

Le landamann, faisant troispas en avant de la députation. – Illustre feld-maréchal, lamalheureuse ville d’Altorf vient vous exposer, par la voix de sonmagistrat, qu’elle souffre depuis trois ans tous les fléaux de laguerre ; que, depuis trois ans, tantôt les Autrichiens, tantôtles Français, la frappent de nouvelles réquisitions ; qu’elleest épuisée de tout ; que la misère est devenue si grande,qu’une foule de vieilles familles, ayant droit de bourgeoisie, sontforcées de s’expatrier. Et c’est quand l’invincible armée deSouworow arrive au milieu de nous, c’est quand toute la Suisseespère enfin sa délivrance, qu’on nous impose d’abord vingt-cinqmille rations, que nous avons eu mille peines à fournir… ensuitevingt-cinq mille autres, que tous nos efforts, toute notre bonnevolonté ne réuniront jamais… Non, illustre feld-maréchal, vous nepouvez exiger…

Souworow, l’interrompantbrusquement. – Écoute, landamann, je m’appelle BasilowitcheSouworow. Quand je suis assis dans ma baraque, en Esthonie, j’aimeassez les beaux sermons d’un pope avec le son des cloches ;mais quand je campe en pays ennemi, les longs discours m’ennuientterriblement. Tu sauras qu’en Prusse, en Pologne, en Turquie, enItalie, depuis quarante-cinq ans, j’ai fait brûler plus de villeset de villages que vous n’avez de bicoques en ce pays, et que j’aifait fusiller plus de récalcitrants que tu n’as de cheveux sur latête !… C’est pour te faire comprendre, landamann, ainsi qu’àtes camarades, que si je n’ai pas, dans trois heures, les rationsde pain, de viande, de vin, de schnaps et de fourrage qui sontinscrites sur cette pancarte, je mettrai le feu dans tous les coinsde la ville, après avoir pris tout ce que je pourrai prendre, bienentendu. – Tu dois sentir, landamann, qu’on n’entretient pas unearmée avec des sermons, et que les Russes, vainqueurs, ne peuventpas supporter les privations, dans un endroit où les républicainsen déroute se sont régalés. C’est contraire au bon sens ! –Ainsi, dans trois heures, j’aurai ce que je demande, ou bien messoldats commenceront leur visite chez vous avec des torches. –Allez… et réfléchissez aux paroles de Basilowitche Souworow, qui neparle jamais en vain.

Le landamann. – Illustrefeld-maréchal… au nom de l’humanité…

Souworow, frappant sur latable avec colère. – Assez !… Toutes les réflexions sontinutiles.

(La députation se retire, et reprend lechemin à droite d’un air désespéré. Souworow se lève.)

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