La Guerre

SCÈNE IV

 

Hattouine, Ivanowna, les soldats

 

Les soldats, autour deHattouine. – Eh bien, matouchka, le feld-maréchal adit que tu nous donnes du schnaps.

Hattouine. – Oui, mais ne criezpas si fort, les autres là-bas vont vous entendre.

Tous, regardant autourd’eux. – Chut ! chut !

Un soldat frappant à latonne. – Hé, hé ! il en reste.

Un autre, marquant dudoigt. – Jusque-là.

Ivanowna. – Commencez pararranger le feu ; la marmite est pleine de neige, il faut unbon feu pour la fondre.

Hattouine. – Oui, et puis mettezune botte de paille là, pour que je puisse bien m’asseoir.

Les soldats. – Tout de suite,matouchka, tout de suite !

(Ils s’empressent de traîner la paille desétables.)

Hattouine. – Et une autre ici,pour Ivanowna.

(Les soldats obéissent ; Hattouines’assied, puis sort le gobelet de sa poche. Les soldats, en cercleautour d’elle, la regardent d’un air d’adoration.)

Un soldat. – Ça va faire dubien.

Hattouine, tournant lerobinet. – Voilà ! (Tous tendent la main.)Attendez… le plus ancien d’abord.

Un soldat. – C’est moi. (Tousregardent en silence. Hattouine lui remet le gobelet ; il boità petites gorgées, puis hume ses moustaches, et recueille lesdernières gouttes dans sa main, en disant 🙂 C’estdommage que ce soit sitôt fini.

Hattouine, versant.–Maintenant, le second.

(Même jeu : Le troisième, lequatrième, etc.)

Un soldat, pendant cettescène, frappant à la tonne. – Il en reste toujours, il enreste.

Hattouine. – Allons, c’est tontour.

Le soldat, recevant legobelet. – Hé ! vers la fin, j’avais peur.

(Il boit en riant.)

Plusieurs, frappant à latonne. – Il en reste encore.

Un soldat. – Le feld-maréchal adit qu’on vide la tonne, matouchka, et qu’on la rempliraitavec l’eau-de-vie des mulets.

D’autres soldats. – Il l’a dit,matouchka, il l’a dit.

Hattouine. – Quand les mulesarriveront, je vous donnerai le reste, pas avant. C’estassez !

Plusieurs, avecexpression. – Oh ! matouchka, il fait sifroid.

Hattouine, remettant legobelet dans sa poche. – C’est bon pour une fois.

Un soldat, faisant mine del’embrasser. – Oh ! matouchka !…

Hattouine, d’un tonfâché. – Allons, vilains ivrognes, n’avez-vous pas chacunvotre part ?

Plusieurs. – Ne te fâche pas,matouchka, ne te fâche pas ! C’est assez… Quand lesmules viendront, tu nous verseras le reste.

(Alors ils font mine de danser ; ilsse balancent, en faisant claquer les pouces d’un air grotesque, etHattouine rit.)

Ivanowna, regardant dans lamarmite. – La neige est fondue, l’eau commence à bouillir,mère Hattouine.

Hattouine. – Ah ! c’est bon…Va chercher la farine.

Ivanowna. – Il n’y en a plusguère, mère Hattouine. (Aux soldats.) Si vous voulez avoirvotre part de la soupe, que chacun vide son sac. (Ivanowna vachercher un petit sac sur la charrette ; elle en vide lecontenu dans la marmite.) – Voilà ce qui reste !

(Plusieurs soldats ouvrent aussi leur sacet vident leurs provisions dans la marmite, puis ils s’asseyent enrond autour du feu.)

Hattouine, remuant le contenude la marmite avec une grande cuiller de bois. – De la farinemouillée… des croûtes de pain cuites dans l’eau de neige, sans selet sans beurre… ça ne peut pas faire une bonne soupe.

Un soldat. – Nous la mangeronstout de même, va, matouchka… Oh ! si tu savais commenous avons faim !…

(En ce moment, Ogiski, déguisé en vieuxpope, la longue barbe grise tombant sur la poitrine, le caftanvert, bordé de peau de mouton, serré aux reins, le colback tiré surles oreilles, un grand bâton à la main et le chapelet à laceinture, passe lentement devant l’hospice, en suivant la route. Ilregarde à droite et à gauche, comme un homme qui cherche sonchemin. À la vue du drapeau russe flottant sur l’hospice, ils’arrête et semble réfléchir.)

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