SCÈNE IV
Jacob, sa femme, puis Niclausse
Jacob, à Kasper.– Turemercieras ton père ; on reconnaît les vieux amis dans unpareil moment.
Kasper. – Oui, nous avions étépillés, et tout de suite il m’a dit : « Monte sur Rappel,et cours prévenir le cousin Jacob. »
Jacob. – Si ces gueux de Russesétaient venus d’abord ici, j’aurais fait la même chose.
Niclausse, arrivantessoufflé. – Le pâtre sonne, je vais ouvrir l’établederrière ; beaucoup d’autres font déjà grimper leurs bêtes surla côte… Regardez là-bas, dans les sapins.
(Il montre la côte, à droite.)
Katel. – Dépêche-toi,Niclausse ; moi, je vais vider les armoires.
Jacob. – Écoutez !
(Tous prêtent l’oreille ; on entendau loin, sur la gauche, le bourdonnement d’untambour.)
Kasper. – C’est un tambour.
Katel. – Mais les Russes nedoivent pas venir par là !
Kasper. – Non, c’est la routed’Altorf ; les Russes sont de l’autre côté.
Katel. – Ah ! monDieu ! si c’étaient les républicains, qui viennent au secoursde leurs camarades !
(Le bruit du tambour se rapproche ;il bat le pas accéléré. Tous se regardent d’un air destupéfaction.)
Jacob, d’un accentdésolé. – Maintenant tout est perdu ! Voilà Lecourbe avecses républicains, qui vient du côté d’Altorf, pendant que lesRusses descendent de Hospenthâl ; ils vont se rencontrer icisur le pont, devant mon auberge… Quelle misère !… Tenez…voyez… les hussards !… Ah !… le Seigneur nousabandonne !
(Il lève les mains. Une quinzaine dehussards arrivent ventre à terre, par la gauche, et traversent lepont au galop.)
Niclausse. – Il ne reste pas dechemin pour faire sauver le bétail.
Jacob. – Il ne reste plus qu’à secacher. (D’un ton d’indignation.) Nous sommes les derniersdes derniers ; la Suisse ne compte plus… Toutes ces guerres nenous regardent pas, et c’est chez nous qu’on vient se battre… c’estnous qui payons toujours !