La Guerre

SCÈNE V

 

Les précédents, Ogiski déguisé envieux pope

 

Un soldat, seretournant.– Un pope !

Tous. – Oui, un pope !

Ogiski, à part. – Voicile quartier général !

Hattouine, élevant lavoix. – Où vas-tu donc, pope, si tard ?

Ogiski, se retournant, etlevant la main pour bénir. – Que le grand saint Nicolas soitavec vous.

Tous. – Amen !

Ogiski, à Hattouine.– Jevais rejoindre mon régiment, matouchka. (À part, descendantvers Hattouine.) Il faut que je reste ici.

Hattouine. – Et quel est tonrégiment ?

Ogiski. – La quatrième desCosaques.

Hattouine. – Oh ! lesCosaques… les Cosaques sont bien loin en avant ; ilspoursuivent les républicains, là-bas, sur l’autre pente de lamontagne. Reste plutôt avec nous… chauffe-toi… demain au jour tupartiras. Tu pourrais te perdre dans ces mauvais chemins, ettomber.

Ogiski. – Oui,matouchka, tu as raison… Il fait bien noir… et je ne suisplus jeune…

Hattouine, remplissant songobelet d’eau-de-vie. – Tiens, bois un coup de schnaps, pope,ça te réchauffera. Assieds-toi là, près de moi.

Ogiski, recevant legobelet. – Que le Seigneur te le rende, bonnematouchka.

(Il boit.)

Hattouine, aux soldats.– Vous voyez, maintenant, si je vous avais tout donné, le bon popen’aurait rien eu !

Ogiski, s’asseyant.– Ehbien ! oui, je reste avec mes enfants, mes bonsenfants !…

Ivanowna. – Vous êtes bien enretard sur les Cosaques, bon pope ?

Ogiski. – C’est vrai, ma fille,c’est vrai… les chemins sont difficiles… Et puis, à chaque pas, desblessés qu’il fallait bénir !

Hattouine. – Ah ! oui… lesmorts et les blessés ne manquent pas !… J’en ai vu partoutdepuis des années ; mais dans un seul chemin, jamaisautant !

Ogiski, levant lesmains. – Seigneur, reçois leurs âmes… Qu’elles montent au piedde ton trône… Qu’elles soient heureuses dans les siècles dessiècles !

Les soldats, faisant le signede la croix. – Ainsi soit-il !… ainsi soit-il.

Ogiski, levant le couverclede la marmite. – Vous aurez de la soupe ce soir, mes enfants…Il n’y en a pas beaucoup qui ont de la soupe, ce soir… J’ai vutoutes les marmites vides, en traversant les bivacs.

Hattouine. – Hé ! c’est dela mauvaise soupe sans beurre avec des croûtes de pain et de l’eaude neige, mais à la guerre comme à la guerre. Si tu en veux, bonpope, je t’en emplirai mon écuelle.

Ogiski. – Je veux bien,matouchka ! Oui… oui… je le vois, le Seigneur m’afait la grâce de me conduire, il me tenait par la main. Qu’il soitloué mille fois, avec saint Nicolas, notre glorieux patron.

(Ivanowna commence alors à emplir lesgamelles. Elle donne la première à Ogiski. Chaque soldat reçoitensuite la sienne, et mange en la tenant entre sesgenoux.)

Ivanowna. – Prenez garde, bonpope, elle est chaude, il faut souffler…

(Elle se met aussi à manger.Silence.)

Hattouine. – Eh bien, pope,comment la trouves-tu ?

Ogiski, mangeant.– J’enai mangé de meilleure, matouchka, mais quand on afaim…

Un soldat. – Ah !matouchka, quelle différence avec les bonnes soupesd’Italie !…

Hattouine. – Oui, nous avonsmangé notre pain blanc le premier. Rien ne peut venir dans ce paysde montagnes… les gens doivent être pauvres… Je crois que nousattraperons plus de coups de fusil que de bons morceaux… Souworowaurait mieux fait de nous laisser là-bas, où tout allait sibien !

(Elle mange. Plusieurs soldats, aprèsavoir vidé leurs gamelles, font leurs préparatifs pour dormir. Ilsarrangent leurs sacs au fond du hangar. D’autres cherchent unebotte de paille et s’étendent dessus en disant : « Bonsommeil, camarades ! » Ivanowna entre dans lapremière étable et revient aussitôt.)

Ivanowna. – Oh ! le bon litde feuilles, mère Hattouine, tu ne viens pas dormir ?

Hattouine. – Non, je n’ai pasencore sommeil… j’aime mieux rester près du feu.

(Elle rapproche sa botte de paille etregarde le feu, les mains croisées autour des genoux. Ivanowna sepenche derrière elle et l’embrasse.)

Ivanowna. – Eh bien, bonsoir,mère Hattouine.

Hattouine. – Bonsoir, mon enfant,couvre-toi.

Ivanowna. – Et vous aussi, bonpope, dormez bien.

Ogiski. – Que le Seigneur veillesur toi !

(Il lève la main ; elle entre dansl’étable. On entend au loin le cri de : – Quivive ? – des sentinelles qui se répondent, puis toutse tait.)

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