L’Épouse du soleil

Chapitre 8LE MORT VA VENIR ! ÉCOUTEZ !

Elle est pleine d’une foule prosternée etsilencieuse. Seuls sont debout, sur les marches de porphyre rougequi descendent jusqu’à ce peuple, d’abord les trois gardiens dutemple aux trois crânes incroyables. Ils sont habillés de robes devigogne. Derrière eux, un degré plus bas, debout aussi, se tientHuascar, les bras croisés sous un punch rouge. Et puis, plus basencore, à l’autre degré, il y a quatre punchs rouges prosternés. Cesont les veilleurs du sacrifice. Leurs têtes, recouvertesdu bonnet sacré à oreillettes, sont si courbées sur la pierre qu’onne voit point leurs visages.

Thérèse n’a point plutôt aperçu cette foulequ’elle ne peut croire qu’il ne se trouvera point là quelqu’un pourla délivrer. Elle se lève avec l’enfant dans les bras, ellecrie : « Délivrez-nous !Délivrez-nous ! », mais un immense cri lui répond :Muera la Coya ! Muera la Coya ! Ils lui donnentson nom de reine en aïmara-quichua, mais ils la vouent à la mort,en espagnol, pour qu’elle comprenne bien qu’elle n’a rien àattendre de leur pitié : « À mort, laReine ! »

Les quatre mammaconas qui sont à sadroite, les quatre mammaconas qui sont à sa gauche et lesdeux autres qui doivent mourir, qui sont devant elle, lui ont faitreprendre sa place sur son siège. Mais elle se débat encore, ellese dresse encore, elle lève au-dessus de sa tête le petitChristobal, elle crie : « Que celui-là au moins soitsauvé ! », mais tous reprennent : « Celui-làest pour Pacahuamac ! Celui-là est pourPacahuamac !… » Et les douze mammaconaschantent : « Au commencement, avant le dieu Soleil, et sasœur la lune, son épouse, il y avait Pacahuamac, qui étaitl’esprit, le pur esprit ! »

« Il faut du sang pur àPacahuamac ! » répondent en chantant les assistants etpuis l’un d’eux ayant crié encore : Celui-là est pourPacahuamac ! Huascar se retourna et le fit taire.

Ils étaient tous debout, maintenant, exceptéles quatre punchs rouges toujours prosternés, veilleurs dusacrifice. Les souffleurs de quenas faisaient un bruitterrible avec leurs os de flûtes de morts. Bientôt, on n’entenditplus qu’eux, car leur bruit avait eu raison de tous les bruits.Marie-Thérèse, effondrée, vaincue, ne criait plus, ne résistaitplus. Aucune voix, aucun signe n’avait répondu à son appel.Christobal et elle étaient perdus ! Elle demanda, dans unsouffle, aux mammaconas qui l’entouraient :« Allumez au moins les parfums ! Nous ne souffrironspas ! », mais les deux qui devaient mourir avec elle luidirent : « Nous devons mourir de tout notre esprit et detout notre cœur pour revivre avec tout notre esprit et tout notrecœur. On n’allumera pas les parfums ! »

Et voilà que les joueurs de quenas seturent à leur tour et qu’il y eut un silence effrayant. Toutel’assemblée à nouveau se prosterne. Et la voix sonore de Huascardit : « Silence dans la Maison du Serpent ! Le mortva venir ! Écoutez ! »

Alors une sorte de tremblement de terre sembleébranler les murs cyclopéens, cependant que le sourd roulement dutonnerre se faisait entendre, mais, au lieu de venir du ciel, ilmontait des entrailles mêmes de la terre.

À ce moment, le petit Christobal tressaillitdans les bras de sa sœur et elle crut que c’était de peur. Mais illui dit à l’oreille : « Regarde, Marie-Thérèse, regardeles quatre punchs rouges. » Alors, elle leva sa têteappesantie et regarda, et elle aussi tressaillit. Pendant que, sousle coup de l’effroi causé par ces étranges phénomènes, toutel’assistance était courbée sur les dalles, quatre têtesapparaissaient, soulevées, tendues vers Marie-Thérèse, et, sousleur bonnet à oreillettes, sous les cheveux qui balayaient leurvisage tanné, bruni par les fards indiens, l’Épouse du Soleilvenait de reconnaître son fiancé, son père, Natividad, et l’oncleFrançois-Gaspard.

Une joie immense inonda son cœur. Le petitChristobal et elle se serrèrent éperdument.

Les quatre bonnets des quatre punchs rougesétaient déjà retombés sur les dalles pendant que toute l’assistancerelevait la tête au cri poussé par Huascar, annonciateur du roidéfunt Huayna-Capac.

Tandis qu’un nouvel ébranlement de la terresemblait secouer tout l’édifice, Huascar, les bras tendus vers lamuraille qui s’entr’ouvrait, criait à Marie-Thérèse : Aqui esta el morto ! (Voici le mort !).

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