L’Épouse du soleil

Chapitre 18IMAGINONS QUE NOUS AVONS RÊVÉ

Et maintenant ils riaient, ils pleuraient desurprise et de bonheur, et tout ce monde s’embrassait. En vain, lesdeux vénérables dames voulurent-elles entraîner Marie-Thérèse et lasoustraire à toutes ces démonstrations, Marie-Thérèse leur fitcomprendre que la joie générale était encore le meilleur médicamentcontre de si affreux souvenirs. « C’est un mauvais rêve !fit-elle… imaginons-nous que nous avons fait un mauvaisrêve !… »

– Oui ! il nous faut imaginer cela,appuya le marquis. J’ai vu Veintemilla et je lui ai toutraconté ; il nous prie de nous imaginer que nous avons fait unmauvais rêve ! Il nous le demande patriotiquement. Enrevanche, il a promis de nous aider dans la liquidation de notreentreprise de guano et dans la vente de nos concessions. Le mariagede Marie-Thérèse et de Raymond aura lieu en France, si personne n’yvoit d’inconvénient ; nous ne reviendrons que plus tardessayer le siphon de l’ingénieur Ozoux dans les mines antiques duCuzco, quand nous serons à peu près sûrs que ceux qui tenteront deles fréquenter ne risqueront plus défaire d’aussi mauvaisrêves !

– Ah ! si on m’écoutait, je vous prie decroire que l’on verrait bientôt clair dans les couloirs de lanuit ! s’exclama Natividad… mais non, c’est toujours lemême système… on ne veut rien voir, on se bouche les yeux !…même après une aventure aussi effroyable où nous avons failli touslaisser notre peau. Veintemilla, qui devrait mater une bonne foisles Indiens, Veintemilla vous demande de croire que vous avez faitun mauvais rêve !…

Et le pauvre Natividad leva vers le plafonddes bras désenchantés.

– Monsieur Natividad, vous êtes un mauvaisesprit, déclara le marquis. J’ai, du reste, une triste nouvelle àvous annoncer. Vous n’êtes plus Inspector superior deCallao ! Vous êtes dégommé, mon cher MonsieurNatividad !

Natividad se laissa tomber sur une chaise, labouche ouverte, ne trouvant pas un mot pour qualifier la joie aveclaquelle un homme pour lequel il avait tout risqué lui annonçaitson malheur.

Il était si comique ainsi que tout le mondeéclata de rire. Il se leva alors, furieux, et se dirigea vers laporte à grands pas. Il suffoquait d’indignation. Ça lui apprendraità quitter, pendant des semaines, Jenny l’ouvrière !

– Pas si vite ! lui cria lemarquis ; pas si vite, mon cher Monsieur Natividad ! Sij’ai une triste nouvelle à vous annoncer, j’en ai également uneexcellente. Vous êtes nommé Inspector superior deLima !

Natividad retomba sur une chaise, mais cettefois éperdu de joie.

– C’est un rêve ! gémit le bravehomme.

Et, cette fois, il ne savait comment remercierle marquis grâce auquel se trouvait réalisé le plus beaurêve de sa vie.

– Mais enfin ! finit-il par s’écrier…j’aurais pu être mort !…

– Oh ! répliqua en souriant le marquis,la nomination que m’a remise le président de la République n’estvalable, évidemment, que dans le cas où vous seriez vivant !…Allons, puisqu’ils ne vous ont pas mangé, vous allez pouvoir lessurveiller, vos Indiens !…

– Chut ! fit Natividad en quirenaissaient les qualités prudentes du magistrat. Qu’on n’en sacherien !…

La voix de François-Gaspard se fitentendre :

– Nous allons rentrer en France, mon chermarquis. Est-ce que je pourrai parler dans… mes…conférences ?…

– Vous raconterez que vous avez fait un rêve,mon cher académicien, pendant lequel vous sont apparues toutes lessplendeurs et toutes les horreurs des cérémonies du vieuxPérou.

– Et nous ? croirons-nous jamais que nousavons fait un rêve ? demanda tout bas Raymond à Marie-Thérèseen fixant tristement ce pauvre visage qui attestait, lui, que laréalité était encore bien proche.

– Quand les couleurs nous seront revenues… luirépondit Marie-Thérèse qui contemplait, le cœur serré, la pâlefigure de son fiancé… Tout de même, continua-t-elle, quand je meretrouve ici, dans ces bureaux, en train de prendre le thé, à côtéde ma bonne tante et de la vieille Irène, de me faire gâter parvous tous, quand je revois ces bons registres verts sur lesquels jeme suis tant pliée pour aligner des chiffres, et cecopie-de-lettres qui attend encore la réponse au correspondantd’Anvers, tu sais, mon Raymond : « Pour ce prix-là, vousn’aurez que du guano phosphaté à quatre pour cent d’azote, etencore ! »… oui, quand je vois ce cadre domestique, oùjoue mon petit Christobal, quand je nous revois tous vivants aprèsle Temple de la Mort, je ne puis m’empêcher, par moments, de medire : « N’ai-je pas rêvé ?… »

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