L’Épouse du soleil

Chapitre 8LE SERMENT DES ENFANTS SU SOLEIL

Huascar se leva et, par les paroles sacrées,donna le signal de la cérémonie : « Au commencement étaitPacahuamac, le pur esprit qui régnait dans les ténèbres, puisvenait son fils, le Soleil, puis sa fille, la Lune, et Pacahuanacleur donna des armées qui sont les étoiles.

Le Soleil et la Lune eurent des enfants.D’abord, il y eut les Pirhuas, rois pontifes, puis lesamautas, pontifes-rois, puis les Incas, rois des rois,délégués pour gouverner le genre humain. »

L’assemblée répétait les paroles de Huascarcomme une litanie. Celle-ci terminée, des jeunes gens apportèrent àHuascar un lama vivant. Huascar ordonna qu’on étendît la victimesur la dalle d’or de l’autel et le gardien du Temple, qui avait lagarde des couteaux d’or, ouvrit les entrailles du lama surlesquelles se pencha Huascar. Huascar, après les avoir interrogées,se leva et déclara au roi que les dieux étaient propices. Sur quoile roi donna la parole au chef des quipucamyas qui retraçaen quelques versets les principaux épisodes terrestres del’histoire des Incas. L’assemblée répondait par d’autres versets.Le chant était monotone et toujours sur le même rythme et, pendantqu’il chantait, le chef des quipucamyas égrenait les nœudsde ses quipos comme un chrétien égrène son chapelet.

Quand il eut psalmodié le verset qui rappelaitle martyre d’Atahualpa et l’invasion par l’étranger de la terre desancêtres, un grand cri fut poussé par toute l’assistance et le Roisur son trône, au sommet de sa pyramide, leva la main qui tenait lesceptre et annonça à tous que l’épreuve envoyée à son peuple parles dieux allait prendre fin, qu’il avait été choisi par le Soleilpour chasser l’étranger, et qu’en gage de réconciliation avec sonpeuple, le Soleil avait permis qu’on lui offrît la plus belle et laplus noble des vierges, descendante directe de ceux qui avaientbrûlé Atahualpa.

Aux paroles d’Oviedo Runtu, tous les yeux setournèrent vers Marie-Thérèse et les clameurs de mort l’entourèrentde nouveau : « Muera ! Muerala Coya ! À mort la Reine du Roimort ! » Mais qui voulaient-ils tuer ? N’était-ellepoint déjà morte ! Raymond le crut fermement, car, même cescris atroces ne la firent point tressaillir, ne lui firent pointouvrir les yeux. Si elle n’était point morte, elle devait êtreprivée de tout sentiment et Raymond en remercia le ciel.

Le Roi avait repris son discours et chacunmaintenant l’écoutait avec satisfaction affirmer que l’empireallait retrouver son antique splendeur, ses mœurs publiques etprivées, ses rites, qui, depuis des siècles, se cachaient dans lasolitude des montagnes ou dans le sein de la terre, et ses plusbelles cérémonies. Les vieillards pourraient mourir heureux quiavaient vu cette fête de l’Interaymi, comme on n’en avaitpoint connu depuis la mort de l’Inca martyr. Les pères et mèresdevaient regarder avec orgueil leur progéniture promise au plusglorieux destin et le cœur des vierges devait éclater d’espoir,car, pour elles, grandissaient en force et en courage et en beautéles libres enfants du Soleil.

Alors le Roi se leva et dit :« Qu’ils avancent, les enfants duSoleil ! »

Et les jeunes gens s’avancèrent.

Pendant trente jours, ils avaient subi, commeautrefois, l’épreuve nécessaire ; ils avaient jeûné, ilsavaient combattu, ils avaient montré leur force et leur adresse àla course, au pugilat et dans le maniement des armes et ils avaientblessé et tué quelques-uns de leurs camarades, ils avaient dormisur la dure, ils avaient porté des vêtements grossiers et ilsavaient marché pieds nus. Maintenant, ils s’avançaient dans leurrobe blanche, la poitrine barrée d’une croix, comme les jeuneshommes du moyen âge chrétien qui attendaient d’être faitschevaliers. Mais leurs pieds étaient encore nus.

Ils entourèrent la pyramide d’or et Huascar,auquel deux vierges présentaient un bassin d’or rempli de plantesvertes, présenta les jeunes gens au Roi. Il les nommait à mesurequ’ils défilaient devant lui et qu’ils tournaient autour de lapyramide et il déposait dans leurs cheveux des feuilles d’uneplante toujours verte pour indiquer que les vertus qu’ils avaientacquises doivent durer à jamais[49]. Puis,un à un, les jeunes gens montèrent vers le Roi, ets’agenouillèrent, et le Roi, avec un poinçon d’or, leur faisait unlarge trou dans les oreilles[50]. Ilsredescendaient, leur robe blanche pleine de sang et désormaissacrée, et Huascar, puisant dans un autre bassin d’or présenté pardeux autres vierges, leur accrochait aux oreilles de grands disquesd’or. Rien dans leur physionomie ne trahissait la souffrance.

Quand ils eurent tous l’anneau, ils se mirenten rang devant le Roi qui leur adressa encore une allocution. Ilfélicita les jeunes gens sur leurs progrès dans tous les exercicesmilitaires et il leur rappela les obligations attachées à leurnaissance et à leur rang. « Enfants du Soleil !leur dit-il, je vous exhorte à imiter votre père, le Roi des Cieux,dans sa carrière glorieuse de bienfaits versés sur le genre humain.Et surtout n’oubliez jamais que notre glorieux ancêtre, le RoiHuayna Capac a quitté les demeures enchantées du Soleil pourrecevoir votre serment ! » Tous se tournèrent alors versla momie du Roi et levèrent la main et prononcèrent le serment debravoure et de fidélité à l’Inca.

« C’est bien ! fit le Roi en serasseyant, vous pouvez maintenant chausser lasandale ! »

Cette partie du cérémonial incombait augardien des quipos, l’un des plus vénérables, qui attachaà chacun des candidats les sandales, portées par l’ordre desIncas ![51]

« C’est bien ! dit encore le Roi,maintenant vous pouvez ceindre le ceinturon ! » Et legardien des quipos leur passa autour des reins, leceinturon auquel ils attacheraient, pour le combat, leurs armes deguerre.[52]

« C’est bien ! dit pour la troisièmefois le Roi. Maintenant, je vous certifie devant le Roi Mort etdevant la Coya qui va mourir, de telle sorte qu’ils lerépéteront aux ancêtres, que notre race est toujours la premièredes races du monde vivant, que vous en êtes les représentants surcette terre, car vous êtes les purs enfants du ciel, sans aucunmélange terrestre ! le frère ayant toujours bu lesang de sa sœur ! » Et il donna le signal pour quele couteau d’or piquât la gorge des vierges. Celles-ci s’avancèrentà leur tour et gravirent les marches de l’autel, pendant que lespères et les frères entonnaient le chant du triomphe aïmara :« Ah ! les sauvages !… les sauvages !… grondaitRaymond qui, depuis que cette idée lui était venue queMarie-Thérèse était déjà morte, ne songeait plus qu’à la vengeance.Ah ! les tuer !… les tuer tous ! les fairesouffrir !… les engloutir tous dans une mêmecatastrophe ! Et mourir moi-même sur leursruines !… »

Mais que faire ? S’il avait pu mettre lefeu à ces murailles, à ce granit, à ces murs d’or, il n’eût pashésité !… Que faire ?… Il pouvait tout de même en tuerquelques-uns avec son revolver. S’il bondissait au milieu de cesfous, plus fous, plus dangereux que le vieillard Orellana, ilaurait tout de même son moment ! Et il leur montrerait commenton expédie dans la lune les fils du Soleil !… et legrand-prêtre Huascar !… et le Roi Runtu, commis à la banquefranco-belge… Oui, il pouvait toujours tuer ces deux-là !… etpuisse tuer après !…

Évidemment ! évidemment, si Marie-Thérèseétait morte ! Mais était-elle morte, Marie-Thérèse ?…Justement il lui sembla qu’elle avait remué, que sa tête avait euun mouvement, que les joyaux d’or avaient glissé légèrement le longdes joues et des épaules. Était-ce une illusion ? Il ledemanda à Orellana qui lui répondit que sa fille était trèsfatiguée et qu’elle devait dormir.

Pendant ce temps, le gardien du Temple àl’horrible crâne déformé ou casquette-crâne (déformationqui lui donnait le goût du sang) piquait à la gorge les vierges etrecueillait dans une coupe d’or le sang qui coulait de leursblessures. Quand la coupe fut pleine, il y trempa ses lèvres et ladonna ensuite à boire aux jeunes gens, parmi lesquels elle passa demain en main pendant que les vierges, en face d’eux, glorieuses deleur blessure légère, criaient : « Gloire aux enfants duSoleil ! » Quand la coupe fut vide, on le dit au Roi qui,levant les bras au ciel, pria le Soleil de donner lui-même lesignal des sacrifices.

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