L’Épouse du soleil

Chapitre 6QUI A OFFERT LE BRACELET ?

Le lendemain de son arrivée à Lima, l’oncleFrançois-Gaspard fut reçu solennellement par la Société deGéographie, dont il sut célébrer l’œuvre magnifique, les travauxarchéologiques, statistiques, hydrographiques[5] avecune émotion scientifique qui fut bientôt partagée par tous ceux quiétaient là. Son succès fut grand et le génie français, à son tour,fut loué dans sa personne. Toutefois, le plus heureux, le plusfier, était encore Christobal, qui prenait sa part de la gloire del’académicien Ozoux. À la sortie de cette séance mémorable, àlaquelle assistèrent naturellement Raymond et Marie-Thérèse,laquelle avait mis son bracelet en dépit des pleurnicheries desdeux vieilles, le marquis rencontra don Alonso de Cuelar, uncharmant jeune homme.

– Mon cher ami, lui dit-il, je vous croyais àCajamarca.

Don Alonso ouvrit des yeux énormes. Il necomprenait pas.

– Écoutez, Cuelar !… ne faites pasl’étonné. Je ne me fâcherai pas. Vous vous êtes gracieusement vengédu refus de Marie-Thérèse.

– Moi ?…

– Allons donc ! le bracelet !

– Quel bracelet ?

À ce moment, Marie-Thérèse et Raymondrejoignirent le marquis. Marie-Thérèse avait vu que son pères’entretenait en riant avec don Alonso et elle ne doutait point quele mystère du bracelet fût déjà éclairci.

– Merci, ami !… fit-elle en tendant lamain à don Alonso, la main où glissait le lourd bijou… vousvoyez ! je le porte en gage de notre bonne amitié.

– Mais je ne me serais pas permis !…protesta le jeune homme en regardant tour à tour le marquis,Marie-Thérèse et Raymond…

– Vous parlez sérieusement ?… Ce n’estpas vous ?…

– Je vous jure !… mais quelle est cettehistoire !… et quel singulier bijou est-ce là ?…

– Vous ne le reconnaissez pas ?… C’est,paraît-il, le bracelet Soleil d’or que les prêtres indiensenvoient toujours à l’épouse du Soleil, à la fête décennale del’Interaymi ! reprit, en lui souriant comme uneenfant espiègle, Marie-Thérèse, car elle n’était point encore bienconvaincue par les protestations de celui qui avait vainementdemandé sa main… Et comme c’est vous qui avez lancé le surnom donton me salue partout maintenant à Lima, nous avions pensé que vousaviez voulu, malgré tout, être gracieux avec la Viergedu Soleil !…

– Ma foi, c’est moi qui ai tort den’avoir pas pensé à cela ! soupira don Alonso. C’était, eneffet, très gentil, historique et ingénieux ! et, puisque vousdeviez le porter, je ne me pardonnerai jamais de n’avoir pas eul’admirable imagination de vous envoyer ce bracelet-là ! Lemérite en revient certainement à l’un de ces malheureux amis quiont brigué le même honneur que moi, señorita, et qui n’ont pas étéplus heureux !… Tenez, voilà justement Pedro Ribera qui passe,sombre et sournois. Ma parole ! Il a bien l’air d’avoir faitle coup !…

Et il l’appela. Mais pas plus que Cuelar,Ribera ne savait ce dont on lui parlait. Comme lui il s’extasia surl’étrangeté du bijou et comme lui il regretta de ne pas l’avoirenvoyé.

Le marquis commençait à être agacé et ilregrettait maintenant d’avoir parlé du bijou à ces messieurs. Il nepouvait sans être ridicule leur demander de taire une aventure qui,après tout, n’était point bien méchante, et il savait que, dansdeux heures, sur la promenade, au glacier, aux thés, à la plazaMayor, on ne parlerait que du mystérieux bracelet de la Vierge duSoleil. Marie-Thérèse comprit très bien ce qui se passait dansl’esprit de son père.

– Écoute, papa, ce bracelet maintenant estridicule ! En attendant que celui qui nous a fait cette petitesurprise veuille prendre la peine de se dévoiler… qu’ildisparaisse !… et n’en parlons plus !…

Sur quoi elle l’ôta, d’un geste gracieux, etl’enfouit dans son sac à main.

– Moi, j’ai une pensée, dit Raymond. Sic’était Huascar ?

– Huascar ? pourquoi Huascar ?demanda le marquis.

– Dame ! voilà un vieux bijou indien…comme je ne connais que cet Indien-là, et que je sais qu’il esttrès dévoué à votre maison, je puis imaginer qu’il n’aura peut-êtrerien trouvé de mieux que de faire cadeau à votre fille d’unbracelet qu’il aurait trouvé et dont il ne saurait quefaire !…

– N’en parlons plus !… n’en parlonsplus !… fit Marie-Thérèse, légèrement rougissante, et, que cesoit Huascar ou un autre, cela ne m’importe plus !… Et puis,ne soyons pas si impatients… nous allons peut-être voir arriverdemain ou après-demain à la maison, un ami de papa, retour de laSierra, qui me dira en me baisant la main : « Ehbien ! vous ne portez pas mon petit cadeau ? »

– Dame ! il faudra bien que ça se passeainsi un jour ou l’autre, fit Raymond avec une très tranquilledésinvolture.

Le marquis qui, lui, tout au fond était un peutroublé, remarqua aussitôt ce bel air dégagé de Raymond. Il ne luiparut point naturel.

– Je parie que c’est vous ! s’écria-t-ildéjà joyeux.

– Quoi ? Moi ?… j’arrive… commentvoulez-vous que ce soit moi ?…

– Vous pouvez avoir acheté ce bijou à l’escalede Guayaquil et l’avoir expédié à un correspondant français deCajamarca pour être réexpédié ici !… oui ! oui !…vous avez voulu vous annoncer !… Vous avez dû lire la légendedu bracelet Soleil d’or dans un des livres de votreoncle !…

– Papa ! Papa !… M. Ozoux estun jeune homme sérieux… un ingénieur qui est venu au Pérou pouressayer d’assécher les mines d’or de Cuzco, grâce à un nouveausiphon…

– Oui, oui ! tu m’en as déjà parlé de cesiphon… cela ne l’empêche pas d’envoyer un bracelet.

– À quel titre, mon père ?…

– Au titre de fiancé, ma fille !…

Cette fois, Marie-Thérèse rougit jusqu’auxoreilles et Raymond toussa et sourit d’un air fort niais. Lemarquis les dévisageait avec malice et obstination tous lesdeux.

– Hein ! dites que ça n’est pasvrai !… si tu crois que je n’ai rien deviné !… Meprends-tu pour un sot !… je savais bien que tu avais laissé unpetit coin de ton cœur là-bas, à Paris, et ce n’était que pour enêtre sûr que je t’ai amené tant de jolis prétendants. Ah !Monsieur Ozoux, je l’ai éprouvée, elle vous aime bien !… etvous êtes un heureux gaillard !…

– Monsieur… balbutia le pauvre Raymond, quiavait les larmes aux yeux… Monsieur, je vous assure… jamais… je nepeux pas… je ne pouvais pas avoir la pensée…

– Taisez-vous !… Et remettez vous-même lebracelet de vos fiançailles au bras de Marie-Thérèse !…

– Avec quelle joie ! cette fois !répondit la jeune fille… et, après avoir regardé autour d’elle pours’assurer que, dans le coin où ils se trouvaient, il n’y avaitpoint de gêneurs, elle sauta au cou de son père ou plutôt elleéleva son père dans ses bras, l’embrassa tendrement, le déposa, seretourna vers Raymond et, ouvrant son sac devant le jeune homme,lui murmura rapidement à l’oreille :

– Dites donc que c’est vous qui l’avezenvoyé !… qu’est-ce que ça peut vous faire ?…

Raymond passa l’anneau en tremblant au bras deMarie-Thérèse. Les oreilles lui sonnaient de si furieuses clochesqu’il lui était impossible d’entendre les paroles de triomphe dumarquis, lequel rayonnait d’avoir deviné le mystère des amoureux etdu bracelet Soleil d’or… Raymond se contentait d’approuverde la tête tout ce que l’autre disait.

– Ah ! bien ! comme on dit à Paris,termina Christobal, vous pouvez vous vanter de nous avoir« fait marcher » !…

Et il courut à la recherche de l’oncleFrançois-Gaspard auquel on offrait un Champagne d’honneur.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer