L’Épouse du soleil

L’événement était si extraordinaire queRaymond en fut presque aussi effrayé que Marie-Thérèse. Il netrouvait rien à dire devant l’épouvante de la jeune fille. Ill’avait vue, la veille au soir, jeter le fameux bracelet dans lamer, du haut du balcon et voilà qu’au réveil l’infernal bijoubrillait encore au poignet de sa fiancée !

N’y avait-il pas là de quoi troubler les plussceptiques ?

Il se rappelait, du coup, toutes les fablesdont les deux vieilles leur avaient rebattu les oreilles ; etc’est en vain qu’il essayait de repousser l’idée de la cruellelégende. Celle-ci se dressait entre eux dans toute sa hideur.

Sur ces entrefaites, le marquis etFrançois-Gaspard, attirés par les cris et l’émoi des domestiques,entrèrent dans la chambre. Ils virent les jeunes gens muets eteffarés. Christobal, redoutant quelque catastrophe, demandaprécipitamment des explications qu’on lui donna. Il ne s’agissaitplus de le tromper. On lui dit toute la vérité. Raymond avoua que,sur l’instigation de Marie-Thérèse, il avait endossé laresponsabilité de l’envoi d’un bijou dont il ignorait l’origine, etil raconta comment la jeune fille, avant de s’aller reposer,s’était brutalement délivrée de l’anneau fatal.

Marie-Thérèse tremblait de fièvre. Son père laprit dans ses bras.

Christobal était moins frappé par le récit decette invraisemblable histoire que tourmenté par l’état dans lequelil trouvait sa fille. Il avait toujours vu celle-ci si maîtressed’elle-même dans les circonstances les plus difficiles, qu’uneinsurmontable angoisse l’étreignait à son tour en la sentant sipeureuse devant ce mystère.

Quant à François-Gaspard, il répétait,enchanté au fond de la tournure que prenaient des événementsdestinés à fournir l’un des plus curieux chapitres de son voyagetransatlantique : « Ça n’est pas possible !… Çan’est pas possible ! »

C’était si bien possible que tout s’expliquade la façon la plus simple et même la plus plate.

La petite Coucha rentra du marché.

Elle revenait d’Ancon et se pressait dansl’intention d’aider sa maîtresse dans sa toilette. Elle trouva lamaison sens dessus dessous, et, en haut, dans la chambre deMarie-Thérèse, tout le monde réuni autour du fameuxbracelet-soleil-d’or.

Alors, elle raconta, avec une naïvetéenfantine, qu’en partant, à la première heure, pour le marché, parle chemin de grève, selon sa coutume, elle avait vu quelque chosebriller sur le sable. Elle se baissa et ramassa le lourdbracelet-soleil-d’or, déjà à moitié enfoui. Elle reconnut le bijoupour l’avoir vu la veille, au bras de sa maîtresse, et ne doutapoint que celle-ci l’eût laissé glisser sans s’en apercevoir, duhaut du balcon. Petite Concha, qui aimait sa maîtresse, avait couruavec joie à la chambre de Marie-Thérèse. Celle-ci dormait encore.Elle ne la réveilla point, mais lui remit l’anneau au poignet avecun soin touchant. Et c’était là toute l’histoire qui avait faillifaire basculer les esprits les mieux équilibrés. Un éclat de riregénéral accueillit la fin du récit de Concha qui se sauva, touterougissante, et un peu vexée.

– Nous devenons tous fous ! s’écria lemarquis.

– Ce bracelet nous rendra malades ! fitRaymond. Il faut à toute force nous en débarrasser !…

– Gardez-vous en bien ! il n’aurait qu’àrevenir encore ! et, cette fois, je ne répondrais plus de maraison ! dit Marie-Thérèse qui riait, maintenant, comme lesautres, et même, plus nerveusement que les autres. Savez-vous cequ’il faut faire ? ajouta-t-elle. Il faut nous promener,changer d’air… aller faire un tour dans la montagne, montrer lasierra à Raymond et à M. Ozoux. Nous rentronsaujourd’hui à Lima. Ne rien dire à ma tante Agnès, ni à la vieilleIrène qui nous monteraient encore l’imagination. Avec Raymond,j’irai faire un tour à Callao où vous nous rejoindrez. Là, jeprendrai les dispositions nécessaires et donnerai mes ordres pourque les affaires ne souffrent point de mon absence. Le soir, nousprenons tous le bateau !

– Le bateau pour aller dans lasierra ! s’exclama Christobal.

– Le bateau pour Pacasmayo, cherpère !

– Pacasmayo ! mais nous en sortons !gémit l’oncle. Nous sommes restés au moins quatre heures à cetteescale, en face de cette côte qui n’a rien de bien attrayant.

– Rien de bien attrayant, illustreM. Ozoux ! reprit Marie-Thérèse, vous dites : riende bien attrayant !… Savez-vous où l’on va quand on est àPacasmayo ?… Non, vous ne le savez pas ? eh bien !je vais vous le dire ! on va à Cajamarca !

François-Gaspard porta la main à soncœur : Cajamarca !… l’ancienne Caxamarxa desIncas !

– Vous l’avez dit, Monsieur l’académicien.

– Le rêve de ma vie !

– Eh bien ! nous allons le réaliser, moncher maître… et du même coup, mon cher papa, nous nous informeronsdu nom du mystérieux expéditeur de ce trop mystérieux bijou,puisque le bracelet-soleil-d’or nous est venu de Cajamarcamême.

– Tu as raison, ma fille, approuva Christobal,il faut décidément savoir à quoi s’en tenir sur cette sotteaffaire !

– Et si c’est une plaisanterie d’un de mesamoureux évincés, fit Marie-Thérèse, qui jouait maintenant avec lebracelet, je vous prie de croire qu’il me la paiera son prix !On s’amusera un peu à Lima !

Sur quoi, elle les chassa tous de sa chambre,et appela, pour sa toilette, la petite Concha qui accourut toutjuste pour recevoir une maîtresse gifle, destinée à lui apprendre àréveiller sa maîtresse, le jour où elle retrouverait unbracelet-soleil-d’or sur le sable du rivage. L’enfant,surprise de ce traitement exceptionnel, ne retint pas ses larmes.Alors, la jeune fille la gava de bonbons. Marie-Thérèse ne sereconnaissait plus. Elle eût voulu être calme ; et chacun deses gestes trahissait sa nervosité. Surtout elle ne se pardonnaitpas d’avoir eu peur.

On peut dire en principe qu’au Pérou il n’y apas de routes et que, depuis la construction par les Incas de lavoie pavée qui traversait tout le pays des confins de la Bolivie àla capitale de l’Équateur, et devant laquelle les plus grandstravaux de l’époque gallo-romaine représentent une somme de travailbien insignifiante, les routes actuelles ne sont, en somme, que devéritables sentiers muletiers[9]. D’où lanécessité, quand on veut pénétrer dans l’intérieur du pays, deprendre la mer pour aller chercher sur la Costa l’une deslignes de chemin de fer qui, traversant les Andes, conduisent lesvoyageurs au cœur de la Sierra. Car le Pérou,physiquement, se divise en trois bandes parallèles à la mer, laCosta (la Côte) qui s’élève graduellement depuis le bordde l’Océan jusqu’à une hauteur de 1.500 à 2.000 mètres sur leversant occidental des Andes ; la Sierra, montagneset plateaux, comprenant la région intra-andine dont l’altitudevarie entre 2.000 et 4.000 mètres ; enfin la Montana(région des forêts) qui s’abaisse en longues pentes à l’est de laCordillère, du côté de l’Amazone, avec une altitude décroissante de2.000 à 500 mètres. Entre ces trois zones, tout diffère, aspect,climat et productions.

La Costa est riche ; laSierra offre des vallées riantes et relativementchaudes ; la Montana présente l’aspect d’un véritableocéan de verdure. Le plus curieux de ce curieux pays est lamultiplicité de ses aspects dans un espace relativementrestreint : comme, pour pénétrer dans la Sierra, ilfaut gravir l’une des plus hautes montagnes du monde, et cela, dansdes régions équatoriales, il arrive que l’on passe quelques heuresdans des contrées où les arbres de toutes les latitudes, lesplantes de tous les climats se trouvent réunis et cultivés :le noyer croît à côté du palmier, la betterave tout près de lacanne à sucre ; ici, un verger rempli de pommierssuperbes ; plus loin un groupe de bananiers qui étalentmajestueusement leurs larges feuilles. Dans cette étonnantecontrée, on trouve des propriétaires qui peuvent faire servir àleur hôte, dans le même repas, de la glace ramassée quelques heuresauparavant sur leurs terres, dans la région des neiges, et unlimon doux, fruit essentiellement tropical que l’on vientde cueillir dans ce même jardin.

Ah ! que de notes à prendre pourFrançois-Gaspard ! que de spectacles nouveaux ! qued’enchantements ! et quelles belles pages enperspective !… Raymond et le marquis et Marie-Thérèseelle-même riaient de son zèle d’écolier qui ne veut rien laisserperdre.

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