L’Épouse du soleil

Chapitre 6REGARDEZ, C’EST ICI LE TEMPLE DE LA MORT

Ils entrent dans une grotte. Raymond n’a plusaucune volonté. Marie-Thérèse est perdue ! Le baiser qu’il luia envoyé est celui qui les unissait dans la mort, car le jeunehomme compte bien ne point lui survivre. Quand il sera sûr qu’elleest morte, son tour, à lui, viendra. Il aurait voulu se tuer à sescôtés, comme font les amoureux, sur la tombe de la bien-aimée. Onlui a dit qu’elle doit mourir dans le Temple de la Mort :alors il suit ce vieillard dont on a tué jadis la fille dans ceTemple et qui a cherché ce Temple dix ans et qui prétend savoirmaintenant où il se trouve.

La grotte est profonde. Après avoir marchéquelques instants sur le sable et les coquillages, le vieillardalluma une branche de résine. La flamme éclaire l’entrée d’unétroit couloir de nuit, mais, avant de s’y introduire,Orellana a ramassé dans une excavation une chose qui attirel’attention de Raymond. Qu’est-ce que c’est ? C’est unepioche. « Vieillard, que comptes-tu faire avec cettepioche ? – Je compte sauver ma fille, répond Orellana. Tuverras ! Tu verras !… Cette fois, je ne laisserai pas cesbrigands l’étouffer comme il y a dix ans. Tu comprends, ils lamurent vivante. Eh bien ! nous n’avons qu’à attendre qu’ilssoient partis, et nous la délivrerons !… As-tu compris ?…bien compris ! c’est tout à fait simple !… quand j’eustrouvé le Temple de la Mort et que je vis dans la muraille toutesles pierres qui recouvrent les épouses du Soleil, jem’écriai : « Ça n’aurait pas été bien difficile de ladélivrer si on avait été là ! », mais, alors, il étaittrop tard ! d’abord, je ne savais pas où elle était…Était-elle à droite, à gauche ou en face ?… mais la prochainefois… nous verrons bien ! nous verrons bien !…Viens ! » Raymond, d’avoir écouté la parole d’Orellana,tremblait. Était-il possible que ce fût si simple que cela dela sauver ?… Les fous avec leurs idées fixes ontquelquefois plus raison que tous les autres hommes avec leurraison !… Et il suivait le vieillard, hâtif, et fiévreux, dansle couloir de la nuit illuminé par la torche au poing tremblantd’Orellana. Mais Raymond avait pris la pioche. On n’entendait plusrien que leurs pas sur le roc. La terre dans laquelle ils étaiententrés et dans laquelle ils descendaient avait étouffé les chantscomme elle allait peut-être les étouffer tout à l’heure.

Ce couloir avait été creusé dans le roc etaboutissait à de petites salles carrées où avait dû se trouver lasépulture des prêtres et des hauts dignitaires, comme on voit dansles pyramides et hypogées d’Égypte. Dans la dernière de ces salles,Orellana éteignit sa torche et se mit à genoux. On ne pouvait, eneffet, se tenir debout dans l’étroit boyau dans lequel il seglissa, suivi de Raymond. Mais, bientôt, ils purent serelever ; ils étaient dans une niche de pierre moins obscureque ce couloir qu’ils venaient de traverser. Orellana arrêtaRaymond et lui dit : « C’est ici ! » Les yeuxdu jeune homme s’habituaient déjà aux ténèbres moins opaques. D’oùvenait donc cette légère lueur diffuse grâce à laquelle ilentrevoyait des formes, des angles, des colonnes ? Il ne putd’abord s’en rendre compte, mais il put définir assez facilement laposition qu’ils occupaient dans un renfoncement de la pierre situéà plusieurs pieds au-dessus du sol d’une vaste salle dont ils nepercevaient pas encore les limites : « Le Temple de laMort ! murmura Orellana. Écoutez !… Le Temple de laMort !… »

En effet, le bruit lointain des chantsparvenait maintenant jusqu’à leurs oreilles. On eût dit ungrondement rythmique de la terre. Et soudain la lumière se fit,complète, et ils en furent éblouis et, instinctivement, ils serejetèrent en arrière. Au-dessus d’eux, au sommet et au centre dela prodigieuse salle souterraine, une pierre venait de se déplacer,ouvrant un orifice assez large par lequel la lumière dorée entraità flots. Il y avait là, creusée dans la voûte[43],une espèce de cône tronqué dont le sommet était à l’extrémitésupérieure de telle sorte que la lumière du soleil glissaitobliquement le long de ses parois et allait rayonner tout le longdes murs, promenant son éclat tour à tour sur chacune des pierresqui formaient l’enceinte intérieure de ce temple mystérieux. Surles dalles, sur les autels, sur les marches, dans les niches,partout resplendissait l’or dans une magnificence incomparable, desplaques d’or liées les unes aux autres par une sorte de cimentmerveilleux dans lequel était entré de l’or liquide[44].

Ce temple caché était, à la lettre, une mined’or. Il formait un immense cercle. Sur la partie orientale de lamuraille était représentée l’image de la divinité. C’était unefigure humaine, centre d’innombrables rayons de lumière quiparaissaient en jaillir de tous côtés. Ainsi chez nous, onpersonnifie quelquefois le soleil. Cette figure était gravée surune plaque d’or massif de dimensions énormes, parsemée d’unemultitude d’émeraudes et de pierres précieuses[45].Les rayons du soleil levant venaient la frapper directement,illuminant tout le Temple d’une clarté qui paraissait surnaturelle,et que réfléchissaient de toutes parts les ornements d’or dont lemur et la voûte étaient incrustés. L’or, dans le langage figuré dupeuple, était « les larmes versées par le soleil », ettoutes les parties de l’intérieur du Temple étincelaient de plaquespolies et de têtes de clou du précieux métal.

Les corniches qui entouraient les murs dusanctuaire étaient de la même matière, et un large cordon ou frised’or incrusté dans la pierre enveloppait toute la salle.

De l’endroit où se trouvaient Raymond etOrellana, on apercevait plusieurs chapelles disposéessymétriquement autour de la grande pièce centrale. L’une d’ellesétait consacrée à la lune, divinité qui tenait le second rang dansla vénération publique comme mère des Incas. Son effigie étaitreprésentée de la même manière que celle du soleil sur une plaquecolossale, mais cette plaque était d’argent comme il convenait à lalueur pâle et argentée de la douce planète. Une autre chapelleétait dédiée aux armées du ciel qui sont les étoiles, courbrillante de la sœur du soleil ; une autre était consacrée auxterribles ministres de ses vengeances, le tonnerre etl’éclair ; une autre à l’arc-en-ciel et, dans ces chapelles,tout ce qui n’était pas en argent était en or, en or, enor[46].

Le Temple de la Mort représentait à peu prèstoutes les dispositions de l’antique Temple du Soleil du Cuzco etil ne devait certainement d’avoir traversé les siècles avec toutesa magnificence qu’à la montagne et au lac qui le protégeaient,qu’au mystère dont ses prêtres n’ont cessé de l’entourer, carcombien en ont entendu parler qui ne l’ont jamais vu, même parmices Indiens dont la piété et la prière naviguent encore aujourd’huientre les cérémonies de la religion nouvelle et les rites desancêtres[47]. Les couloirs de la nuit ensont bien gardés ; la foule n’y fut jamais admise et en dehorsdes grands dignitaires et des victimes qui y viennent, elles, pourn’en point sortir, après avoir contemplé la figure de la Mort, ilfallait le prodigieux hasard qui avait servi Raymond et Orellanapour pénétrer dans cette enceinte par un étroit boyau oublié depuisdes générations.

Quand ses yeux, peu à peu, se furentaccoutumés à cet éclat comme, tout à l’heure, ils s’étaientaccoutumés à l’obscurité, Raymond distingua tous les détails duTemple. Son regard fut attiré par l’autel central élevé deplusieurs marches et sur lequel étaient disposées les coupes d’orremplies de graines de maïs, les encensoirs pour les parfums, lesaiguières destinées à recevoir le sang du sacrifice et le grandcouteau d’or dans le plat d’or.

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