L’Épouse du soleil

Chapitre 2UN COLLOQUE DANS LA NUIT NOIRE

À ce moment, le train traversait un pont d’oùl’on pouvait apercevoir un panorama d’une splendeur sans égale. Enface, s’élevait la chaîne prodigieuse des Andes, rocs entassés surrocs, – plus bas, par une fissure de la montagne, on avait uneéchappée sur des forêts toujours vertes, entremêlées çà et là deterrasses cultivées en jardins, chacune avec sa chaumière rustiquesuspendue à ses flancs hérissés, et, pour peu que le regards’élevât, on apercevait la crête neigeuse des monts étincelantsdans le soleil, spectacle présentant à la fois un chaos si sauvagede magnificence et de beauté qu’aucun autre paysage de montagnen’en peut offrir un semblable.

Mais cela était plus terrible encore que beauet les abîmes que le train franchissait à chaque instant donnaientle frisson à Marie-Thérèse qui, appuyée au bras de Raymond, etsongeant à l’audace folle des conquistadors se prit àmurmurer : « Et voilà cependant ce rempart qui n’a puarrêter les soldats de Pizarre ! »

Malheureusement, ces paroles furent entenduesde l’étranger qui répondit, cette fois, d’une voix nettementhostile :

– N’est-ce pas que nous aurions pu lesécraser ?…

Sur quoi le marquis fut tout de suite, par unpetit bond, vers le descendant Quichua des rois Incas. Il se haussasur la pointe des pieds et lui détacha une petite tape méprisantesur l’épaule :

– Pourquoi donc ne l’avez-vous pasfait, señor ?

– Parce que nous, nous ne trahissonspas !

Raymond n’eut que le temps de saisir à lataille et d’emprisonner de ses bras puissants le tumultueux marquisqui était déjà parti en bolide contre l’insolent Indien.

Dans cette position, Christobal se débattaitcomme un petit diable et était parfaitement ridicule. Quelquesparoles de Marie-Thérèse réussirent cependant à le calmer presqueinstantanément. La jeune fille, qui connaissait l’orgueil de sonpère, lui fit comprendre, à mi-voix, combien il s’abaissait, lui,marquis de la Torre, en discutant avec un petit commis de banquefranco-belge.

– Tu as raison, déclara Christobal enreprenant pied et en jetant à son interlocuteur qui n’avait pasbougé un regard d’une insolence telle, que Huagna Capac Runtu enpâlit. L’Indien n’avait pas été non plus sans comprendre le sens del’observation de Marie-Thérèse et les choses allaient peut-êtreencore se gâter quand le train s’arrêta. La ligne, qui était alorsen construction, n’allait pas plus loin. Il restait une quarantainede kilomètres pour se rendre à Cajamarca et ces derniers kilomètresdevaient être faits à dos de mules, car on se trouvait alors enpleine montagne, en pleins défilés.

Les voyageurs du reste goûtèrent lepittoresque du campement où ils allaient passer la nuit. On avaitaccroché aux flancs des monts quelques baraques en planches danslesquelles logeaient pêle-mêle les ouvriers. La cantines’accompagnait d’une douzaine de tentes assez confortables oùs’installaient les voyageurs qui ne devaient partir pour Cajamarcaque le lendemain matin. Une trentaine de mules paissaient sur lesol, l’herbe rare, en liberté. Les éternels galinazoscontinuaient de décrire leurs larges cercles dans le cielempourpré. Le dîner servi au bord d’un abîme d’où montait lamusique tumultueuse d’un torrent fut très gai. Le commis de banqueavait disparu. Marie-Thérèse le retrouva soudain auprès de satente, le soir venu. Il la saluait bien humblement et lui demandaitpardon de l’incident du train. Il ne croyait pas, disait-il, qu’enremontant à une aussi vieille histoire, il serait désagréable à« Monsieur le Marquis » qu’il respectait infiniment.Enfin, il savait que le marquis était au mieux avec le directeur dela banque franco-belge et il espérait que cette affaire n’auraitpas de suite.

La jeune fille le rassura en dissimulant uneforte envie de rire. Le farouche descendant des Incas avait peur deperdre sa place.

Quand il se fut éloigné, elle alla toutraconter à son père et à Raymond, qui s’en amusèrent beaucoup. Puischacun s’en fut se coucher, excepté cependant l’oncle Ozoux quipassa une grande partie de la nuit à mettre ses notes en ordre et àécrire une longue lettre à son grand journal du soir, lettre danslaquelle il annonçait qu’il refaisait toute la conquête du Pérouavec Pizarre et avec un Indien descendant des rois Incas. Ildépeignait cet Indien sons les traits et sous l’aspect le plusglorieusement sauvages, lui mettait des plumes dans les cheveux etoubliait naturellement de dire qu’il s’habillait dans une maison deconfection de Lima.

Marie-Thérèse eut comme toutes les nuits,depuis l’apparition sur son balcon du crâne-pain-de-sucre,de la casquette-crâne, et du crâne-petite-valise,un sommeil assez agité.

Elle se tournait et retournait sur son lit decamp sans parvenir à trouver le repos dont elle avait grandbesoin.

Soudain, elle se dressa sur sa couche,l’oreille aux aguets. Il lui avait semblé entendre dehors, toutprès de sa tente, une voix dont elle connaissait bien l’accent.

Elle se glissa sans faire de bruit jusqu’à laporte de toile de sa chambre improvisée et, la soulevant d’undoigt, elle put voir dehors ce qui se passait. Deux ombress’éloignaient sous la lune.

Elle reconnut tout de suite le commis de labanque franco-belge, mais elle hésita devant l’autre dont ellen’apercevait pas le visage. Enfin, les deux ombres s’étantarrêtées, se retournèrent du côté de la tente qu’ils montrèrent dela main, et Marie-Thérèse, cette fois, ne put retenir un nom :« Huascar ! »

Qu’est-ce que Huascar faisait là ? Etpourquoi ce colloque dans la nuit, en face de sa tente, avec cesingulier Huagna Capac Runtu ? Pourquoi désignaient-ilsl’endroit où elle reposait ? Qu’est-ce que tout celasignifiait ?… Les deux ombres avaient repris leur marche. Lapaix de la nuit fut alors troublée du hennissement d’un cheval. Etla jeune fille aperçut le cheval, qui, attaché à un piquet,piaffait d’impatience. Huascar était déjà en selle pendant que lecommis de banque détachait la bête tout en continuant lamystérieuse conversation et en désignant encore de temps à autre latente de Marie-Thérèse. Enfin le cavalier glissa derrière lestentes et le commis disparut en même temps que lui. Tout redevintcalme et le petit plateau où les voyageurs campaient restadésert.

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