L’Épouse du soleil

Chapitre 14DERNIER CHAPITRE – DANS LEQUEL IL EST PROUVÉ QUE LES AMOUREUX NEDOIVENT JAMAIS DÉSESPÉRER DE LA PROVIDENCE

 

Un matin que le petit bateau a vapeur qui faitle service du lac Titicaca passait au large des Îles, il fut hélépar un grand Indien quichua qui se tenait debout dans sa pirogue detotora et, sous son punch, agitait désespérémentles bras. Le bateau ralentit sa marche et le capitaine, ayantcompris qu’il s’agissait de sauver un blanc, lequel gisait étenduau fond du canot consentit à stopper. C’est ainsi que Raymond Ozouxrentra dans la civilisation.

Après une fièvre qui l’eût fatalement emportés’il ne s’était justement trouvé dans le pays où le Monde a apprisà la guérir, il se réveilla dans l’honnête lit d’un marchand delaine d’alpaga de Punho, lequel se trouvait à bord duYavari quand on y avait hissé le pauvre corps frissonnantde Raymond et qui en avait eu pitié. L’Indien avait raconté qu’ilavait trouvé la nuit précédente, l’étranger, – quelque touristesans doute – au milieu des ruines de l’Île sainte, perdu, abandonnéet râlant. Il lui avait fait boire de l’eau rose[56] et l’avait transporté dans son canot,dans l’espérance de rencontrer le Yavari au petit jour.Ayant dit, l’Indien s’était éloigné sans avoir voulu recevoiraucune récompense. On l’estima bien honnête, car, fouillé, Raymondfut trouvé porteur d’une somme importante et l’on ne comprit guèreque le quichua ne l’eût point dépouillé.

Quand le malade fut en état de comprendre cequi se disait autour de lui et qu’on lui eut rapporté l’incident del’Indien, il ne douta point que ce généreux quichua dont on luiavait fait la description fût Huascar lui-même.

En sa qualité de Grand-Prêtre du Temple de laMort, Huascar avait dû être ramené par ses devoirs sacerdotaux dansce lieu maudit, y avait découvert Raymond, les traces de sa besognesacrilège, et sans doute les cadavres des trois gardiens du Templesur les degrés de la chapelle de la Lune. La froide colèrecalculatrice de l’Indien avait alors inventé pour Raymond le piresupplice, celui de le laisser vivre après la mort deMarie-Thérèse…

Mais ce supplice, le jeune homme était biendécidé à ne le point subir longtemps. L’idée qu’il aurait pu sauverMarie-Thérèse et que celle-ci était morte par sa faute, à cause deson manque de sang-froid, lui était particulièrementinsupportable ; et il se rendait compte qu’il ne pourraitjamais se débarrasser de cette idée-là, qu’elle pèserait toujourssur lui, qu’elle parviendrait à l’étouffer et qu’il fallait mieuxen finir tout de suite.

Seulement, il ne voulait point mourir dans cesaffreuses montagnes, témoins de tant d’horreurs. L’image deMarie-Thérèse, qui ne le quittait pas, ne ressemblait plus, depuisqu’il avait décidé de l’aller rejoindre, à cette terrible figure demomie vivante apparue au-dessus de la pierre du tombeau… mais à ladouce et tranquille et heureuse silhouette qui vaquait à sa besognecommerciale, dans les bureaux de Callao, entre les gros registresverts. C’est là qu’il l’avait revue après une si longue absence,c’est là que, pour la première fois, elle lui avait dit :« On s’aime » et c’est là qu’il irait la retrouver pourmourir.

La pensée de cette mort-là fit qu’il se portamieux tout de suite. Après avoir généreusement remercié son hôte,il se jeta dans le premier train qui partait pour la côte, pourMollendo, d’où il prendrait quelque bateau à destination de Calloa.Le voyage lui parut long ; en passant à Arequipa, il vit deloin la petite maison en adobes et songea aux vainesdémarches qu’ils avaient faites auprès de ce bandit de Garcia, et,pour la première fois depuis qu’il était sorti du Temple de laMort, il se demanda ce que pouvaient être devenus ses compagnons devoyage, son oncle François-Gaspard, le marquis et Natividad.

Peut-être étaient-ils morts, eux aussi, vouésà quelque martyre au fond du couloir de la nuit, dans la Maison duSerpent. Pauvre oncle François-Gaspard qui ne ferait plus deconférences, pauvre Natividad qui ne verrait jamais plus Jennyl’ouvrière ! Mais, s’il en était ainsi, le marquis, au moins,n’avait pas enduré la torture d’assister impuissant au supplice deses deux enfants.

À Mollendo, Raymond s’en fut tout de suite,malgré un temps de tempête, sur le débarcadère, où il trouva,errantes sur la plage, deux ombres. Cependant, comme celles-ciaccouraient avec force démonstrations, il dut bientôt constaterqu’elles étaient vivantes : l’oncle François-Gaspard !…Natividad !

Bien que leur mine fût des plus tristes, ilsne paraissaient pas avoir trop souffert. Raymond leur serra la mainsans même s’enquérir de ce qui leur était arrivé. Quant aux deuxautres, ils voyaient le jeune homme si pâle et si défait qu’ilsn’osèrent pas lui poser une seule question relative à Marie-Thérèseet au petit Christobal.

Ils marchèrent tous trois quelque temps, ensilence, plongés dans leurs pensées néfastes. Enfin l’oncle Ozouxdemanda à son neveu : « Et le marquis, tu ne sais pas cequ’il est devenu ?

– Je le croyais avec vous, répondit Raymond desa voix déjà détachée de toutes les choses de ce monde. »

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