L’Épouse du soleil

Chapitre 10MARIE-THÉRÈSE MURÉE VIVANTE

Les mammaconas, de plus en plusaffolées par le feu, le sang dont elles étaient couvertes, etl’odeur atroce, et la fumée odieusement parfumée des bûchers,réclamaient, elles aussi, le supplice. Trois d’entre elles sejetèrent dans les flammes, mais en ressortirent presque aussitôt,tendant la gorge au sacrificateur qui les fit mourir, comme ellesle désiraient. Et on ne sait jusqu’où aurait été ce délire dusacrifice et de la mort si le geste de Huascar n’y avait misfin[54].

Sur un signe de lui la musique infernalecessa, les danses et les chants s’apaisèrent et les gardiens duTemple éteignirent sous la cendre les restes des bûchers. C’étaitle tour de Marie-Thérèse. Raymond, presque évanoui, rouvrit lesyeux à la parole d’Orellana.

Il vit les mammaconas dépouillerMarie-Thérèse des ornements de prix dont elle était littéralementcouverte. Sur elle, « les larmes du Soleil », selonl’expression consacrée, brillaient de leur éclat doré, de la têteaux pieds. Sa chevelure, ses oreilles, ses joues, sa poitrine, sesépaules, ses beaux bras, ses nobles jambes, ses chevilles sur lessandales d’or, ne laissaient voir que bijoux, plaques et disqueséblouissants, pendentifs et bracelets. Tout cela lui fut enlevé etprécieusement déposé dans un bassin d’or. On lui ôta également lefatal bracelet-soleil d’or. Ces bijoux devaient être à nouveaucachés jusqu’au jour qui viendrait dans dix ans, où l’Inca auraitbesoin d’une nouvelle épouse du Soleil.

Pendant qu’on la dévêtait ainsi de sa gained’or, au fur et à mesure du travail rapide des mammaconas,Marie-Thérèse, dont les yeux étaient toujours clos, apparaissaitentièrement cerclée de bandelettes. Extérieurement, on en avaitdéjà fait une momie. Ses bras étaient attachés à son corps. Onn’avait plus qu’à la déposer dans son tombeau. Les yeux de Raymondne quittaient plus ce qu’il pouvait voir encore de ce visagebien-aimé sous les bandes de toile parfumées qui lui liaient lementon, le front et les lèvres, laissant seulement à découvert lesyeux fermés et la bouche entr’ouverte, mais immobile comme si ellevenait d’exhaler le dernier soupir. Et il crut fermement queMarie-Thérèse était bien morte. Et cela, ne cessait-il de serépéter, était mieux ainsi. Ainsi, elle ne se sentait pas enleverpar les trois hideux gardiens du Temple qui la déposaient sur lachaise funèbre et qui, suivis de toute la théorie desmammaconas la glissaient dans l’épaisseur de la muraille,dans ce trou où elle devait rester mille ans pour être ensuitebrûlée à son tour.

À ce moment, les rayons du soleil, comme pourfaire une échelle d’or à celle que les Incas, ses enfants, luienvoyaient dans leur piété cruelle, vinrent se poser près deMarie-Thérèse. Ils illuminaient sa tombe étroite et Raymond neperdit rien des derniers gestes de l’atroce cérémonie. Ils’agissait de replacer les trois plaques lourdes, de granit rose,qui, glissant les unes sur les autres et s’adaptant et s’ajustantd’une façon parfaite, allaient fermer la tombe, selon le modearchitectural des Incas.

L’opération se poursuivit dans le silence leplus terrible.

Toute l’assemblée avait les yeux fixés surcelle que l’on murait, mais nul n’eût pu dire si elle n’était pointdéjà morte.

La première plaque glissée par les troisgardiens du Temple qui pliaient sous le fardeau cacha Marie-Thérèsejusqu’aux genoux. La seconde, apportée à hauteur du niveausupérieur de la première pierre vers une plate-forme roulante, futpoussée à son tour et cacha Marie-Thérèse jusqu’aux épaules.

On ne voyait plus maintenant que sa tête dansce trou funèbre, sa tête entourée de bandelettes, sa tête de momie,son visage de morte. Et c’est alors que tout à coup un long frissonparcourut toute cette assemblée qui avait cependant assisté sansfrémir à toutes les précédentes horreurs sacrées : les yeux deMarie-Thérèse venaient de s’ouvrir !…

De s’ouvrir tout grands au fond de ce tombeauqui se refermait sur elle ! Les yeux étaient bien vivants,effroyablement ouverts, tout grands, tout grands sur ce qui luirestait à voir de la vie avant de n’avoir plus à contempler que laTénèbre éternelle. Son regard vivant fixait ces gens qui laregardaient mourir, cette foule en habits de fête, ce Templeresplendissant, et, pour la dernière fois, la douce, la bellelumière du jour !

Une angoisse surhumaine faisait s’agrandirencore, encore, ce grand, ce suprême regard qui n’allait plus rienvoir, jamais !… Les lèvres remuèrent et l’on put croire qu’uncri suprême d’appel à la vie, qu’une clameur d’horreur pour la nuitdu tombeau allait s’en échapper. Mais elles se refermèrent sur unpauvre gémissement sans force, tandis que la dernière pierre étaitpoussée sur le grand regard vivant !

Maintenant, elle appartenait au dieu.

Huascar fit un signe sacré et l’exode commençaen silence. Il convenait à tous de se retirer du Temple comme lesancêtres se retiraient de la chambre nuptiale après y avoir amenéla tremblante épouse. Le départ s’accomplit, sans aucun chant, sansbruit, sans murmure. Il y eut le glissement des sandalesinnombrables sur les dalles. Et les prêtres, Huascar en tête, etles nobles, et les curacas, et les jeunes gens, et lesvierges, et les mammaconas franchirent le seuil des portesd’or.

Oviedo Runtu était descendu de son trône ets’était assis à côté de la momie royale, sur la chaise d’or occupéetout à l’heure par Marie-Thérèse ; les punchsrouges chargèrent sur leurs épaules les deux monarques, lemort et le vivant, et disparurent à leur tour au fond du couloir dela nuit.

Il ne restait plus dans le Temple que lestrois gardiens du Temple et les cendres des victimes.

Les trois gnomes avaient à peine refermé leslourdes portes pour vaquer en paix à leurs soins domestiques qu’ilsvirent arriver sur eux une ombre forcenée et ils s’enfuirent,épouvantés, dans la chapelle de la Lune. Mais la sœur du dieu neles protégea point. C’est sur les marches de son autel qu’ilsfurent abattus par le feu humain comme des bêtes mauvaises. C’estlà que les trois crânes hideux éclatèrent sous les balles deRaymond ! Et le jeune homme, l’exécution achevée, bondit dansle Temple où déjà Orellana ébranlait les pierres tombales à grandscoups de pioche. Il lui arracha l’outil, et, haletant, frappa à sontour.

Mais les pierres ne remuaient point, etRaymond, le front couvert d’une sueur glacée, se demandaitmaintenant si tant de brutalité était utile. Il essayait de voir,de raisonner, en ce moment suprême. Il faisait appel à sa scienced’ingénieur, à ses souvenirs d’école. Il s’efforçait d’oublierMarie-Thérèse qui agonisait derrière ces pierres pour ne penserqu’au problème qui les ferait basculer. Elles n’étaient point troplourdes. Les forces d’Orellana et les siennes suffiraient à lessoulever puisqu’elles avaient obéi aux efforts des trois gnomes. Etsi on ne les avait point faites plus lourdes, c’était à cause de lanécessité où les prêtres incas étaient, évidemment, de les déplacerpour certaines cérémonies. Mais par où les prendre ? par oùles prendre ?[55].

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