L’Épouse du soleil

Chapitre 16LE GRAND-PRÊTRE À TENU PAROLE

Marie-Thérèse a voulu revoir son bureau avantde mourir, le bureau où Raymond venait la chercher. Maintenant,Raymond est revenu. Maintenant, elle ne mourra plus !… CommentHuascar avait-il pu sauver Marie-Thérèse ? Raymond était sûrqu’avant qu’il ne s’évanouît dans le Temple de la Mort, après sestentatives désespérées, Marie-Thérèse avait eu le temps de mourirétouffée, au moins dix fois, certes !

– Marie-Thérèse, lui dit-il, je t’ai vue quandils t’ont mise dans la tombe !

– Tu étais là ! s’écria-t-elle, avec uneénergie soudaine et revivant l’affreux drame, en dépit du marquiset des tantes qui faisaient signe à Raymond et qui voulaientl’empêcher, elle, de reparler de ces choses… Oui, tu étaislà ?… pour me sauver, n’est-ce pas, mon bien-aimé !… Mesyeux se sont ouverts tout à coup, parce que je savais que tu étaislà ! je sentais tes yeux sur mes yeux… et je les aiouverts !… et les méchants ont fermé la tombe !…

– Tais-toi ! Tais-toi, Marie-Thérèse, jet’en supplie, dit le marquis… Il faut oublier tout cela !… Ilne faut plus parler de tout cela !…

– Si ! si !… maintenant, Raymond estlà ? Il n’y a plus de danger !… Il faut que Raymondsache !… Ça a été la nuit dans la tombe !… Ah ! tuas dû voir que j’étais comme morte !… depuis qu’on m’avaitpris mon petit Christobal qui avait poussé ce cri déchirant aumoment où Huascar l’arrachait de mes bras, j’étais déjà morte…j’avais cru qu’on allait le tuer… C’est en vain que Huascar m’avaitdit qu’on respecterait sa vie… je ne pouvais croire Huascar… et jefermai les yeux pour mourir… dès mon entrée dans l’abominableTemple… et je les ai rouverts quand je t’ai senti là !…qu’allais-tu faire pour me sauver ?… car je savais que tutenterais tout !… tout !… ah ! mon amour !…même dans la nuit de la tombe, j’espérais en toi !… Au fonddes minutes atroces que j’ai passées là, dans le domaine des morts,la pensée que tu me sauverais ne me quittait pas. Tu ne melaisserais pas mourir ainsi, entre ces pierres… et je t’attendais…je t’attendais, moi que la mort avait liée déjà… et puis, j’aicommencé à étouffer !… et alors, je me suis dit :« Il viendra trop tard !… trop tard !… je seraimorte quand il arrivera ! » Sous mes bandelettes mapoitrine se soulevait, ma bouche cherchait l’air qui commençait àme manquer… Oh ! papa ! mon bon papa !… Laissez-moidire à Raymond, puisque c’est fini !… puisque… puisque je suisvivante… et que nous vivrons, et que nous nous aimerons…j’étouffais !… et mes oreilles commençaient à me faireentendre d’étranges musiques… quand tout à coup la muraille futsecouée, ébranlée autour de moi. Des coups sourds faisaienttrembler la montagne qui était mon tombeau !… « C’estlui, me disais-je, c’est lui !… Vite !… Vite !…qu’il se dépêche ! » Mes yeux étaient grands ouverts dansles ténèbres et j’attendais la lumière… et, après un dernier coupterrible contre la muraille, la lumière vint ! je fermai lesyeux en criant : « Raymond ! » Je me suissentie tirée par derrière. Je rouvris les yeux. J’étais dans lesbras de Huascar !… de Huascar qui me tenait étroitement serréecontre sa poitrine, de Huascar dont le visage passionné se penchaitsur le mien, dont le regard de flammes me brûlait et je demandai àDieu pourquoi il ne m’avait pas laissée mourir !… L’Indien medéposa dans un couloir obscur qu’éclairait un feu de résine, et là,il commença de délier mes bandelettes. Quand j’eus les bras et lesmains libres, il me recouvrit de la robe de chauve-souris que l’onm’avait ôtée avant de me faire entrer dans le Temple.

Je le regardais agir avec épouvante, comme uneesclave que rien ne peut sauver de son maître. Mais il m’annonçad’une voix rauque que je n’avais rien à craindre de lui et qu’ilm’avait sauvée. Je ne pouvais le croire. Je ne pouvais pas croireHuascar. Je le regardais maintenant replacer dans la tombe d’où ilm’avait tirée une momie pareille à celles dont nos« panthéons » sont pleins et refermer le trou qu’il avaitcreusé et préparé à l’avance autant qu’il lui avait été possible,sans éveiller les soupçons autour de lui : « Il n’y a pasde sacrilège, fit-il, puisque le dieu a le nombre d’épouses qu’illui faut ! »

Il se tourna vers moi et, instinctivement, jereculai. « Je te fais encore peur, me dit-il… Sache donc que,sans moi, tu serais déjà morte et que j’avais tout disposé pour tonsalut ! Et ne me remercie pas, puisque j’ai fait cela parceque je t’aime… » Je reculai encore, ou plutôt je me traînai,misérable et sans force, hors de ses bras qui se tendaient versmoi. « Il y en a d’autres qui t’aiment, dit-il encore, et quiauraient voulu te sauver… et qui ont tout fait pour que tumeures !… J’ai dû faire échouer moi-même leurs tentativesdangereuses, car les quichuas t’auraient offerte au dieu,quand même, morte s’ils ne pouvaient te gardervivante !… »

Je ne croyais pas Huascar. Je lui dis :« Tu ne m’as sauvée que pour mieux me perdre. Qu’as-tu fait demon frère ?

– Tu veux le voir, me dit-il, viens !

Et comme j’étais incapable de faire un pas, ilme prit dans ses bras et nous nous enfonçâmes dans les couloirs dela nuit qui ne doivent avoir aucun secret pour lui.

J’entendais contre moi le battement de soncœur et j’avais plus peur que lorsque j’étouffais dans la murailledu Temple.

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