Histoire d’un crime de Victor Hugo

Madier de Montjau et de Flotte entrèrent. Ils arrivaient du dehors, ils avaient été partout où la lutte était engagée, ils avaient vu de leurs yeux l’hésitation d’une partie de la population devant ces mots : La loi du 31 mai est abolie , le suffrage universel est rétabli . Les affiches de Louis Bonaparte faisaient évidemment des ravages. Il fallait opposer effort à effort, et ne rien négliger de ce qui pouvait ouvrir les yeux au peuple ; je dictai la proclamation suivante :

PROCLAMATION « Peuple ! on te trompe.
»Louis Bonaparte dit qu’il te rétablit dans tes droits et qu’il te rend le suffrage universel.
»Louis Bonaparte en a menti.
»Lis ses affiches. Il t’accorde, quelle dérision infâme ! le droit de lui conférer à lui, à lui SEUL, le pouvoir constituant, c’est-à-dire la suprême puissance qui t’ap-
laquelle le président de la République dissout l’Assemblée, la proroge, ou met obstacle à l’exercice de son mandat, est un crime de haute trahison. »Par ce seul fait le président est déchu de ses fonc- tions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance ; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l’Assemblée nationale ; les juges de la Haute Cour de justice se réunissent immédiatement, à peine de forfaiture ; ils convoquent les jurés dans le lieu qu’ils désignent pour procéder au jugement du président et de ses complices. »Décrètent :ARTICLE PREMIER. – Louis Bonaparte est déchu de ses fonctions de président de la République.ART. 2. – Tous citoyens et fonctionnaires publics sont te- nus de lui refuser obéissance sous peine de complicité.ART. 3. – L’arrêt rendu le 2 décembre par la Haute Cour de justice, et qui déclare Louis Bonaparte prévenu du crime de haute trahison, sera publié et exécuté. En conséquence, les autorités civiles et militaires sont requises, sous peine de forfaiture, de prêter main-forte à l’exécution dudit arrêt.Fait à Paris en séance de permanence, le 3 décembre 1851.Le décret lu et voté par acclamation, nous le signâmes, et les représentants se pressèrent en foule autour de la table pour joindre leurs signatures aux nôtres. Sain fit remar- quer que cette signature prenait du temps, qu’en outre nous n’étions guère plus de soixante, un grand nombre des membres de la gauche étant en mission dans les rues insurgées. Il demanda si le comité, qui avait pleins pouvoirs de toute la gauche, voyait quelque objection à faire suivre le décret du nom de tous les représentants républicains restés libres sans exception, absents comme présents. Nous répondîmes qu’en effet le décret signé de tous remplissait mieux le but. C’était d’ailleurs l’avis que j’avais ouvert. Bancel avait précisément dans sa poche un vieux numéro du Moniteur contenant un scrutin de division. On y coupa la liste des membres de la gauche, on y effaça les noms de ceux qui étaient arrêtés, et on joignit cette liste au décret partient. Il t’accorde le droit de le nommer dictateur POUR DIX ANS. En d’autres termes, il t’accorde le droit d’abdiquer et de le couronner ; droit que tu n’as même pas, ô peuple, car une génération ne peut disposer de la souveraineté de la géné- ration qui la suivra.
»Oui, il t’accorde à toi, souverain, le droit de te donner un maître, et ce maître, c’est lui.
»Hypocrisie et trahison !
»Peuple, nous démasquons l’hypocrite, c’est à toi de punir le traître ! »

« Le comité de résistance :
»Jules Favre – de Flotte – Carnot – Madier de Montjau – Mathieu (de la Drôme)

  • Michel (de Bourges) – Victor Hugo. »Baudin était tombé héroïquement. Il fallait faire connaître au peuple sa mort et honorer sa mémoire. Le décret qu’on va lire fut voté sur la proposition de Michel (de Bourges) : DÉCRET « Les représentants du peuple restés libres, considérant que le représentant Baudin est mort sur la barri- cade du faubourg Saint-Antoine pour la République et pour les lois, et qu’il a bien mérité de la patrie, »Décrètent : »Les honneurs du Panthéon sont décernés au re- présentant Baudin. »Fait en séance de permanence, le 3 décembre 1851. »Après les honneurs aux morts, et les nécessités du combat, il importait, selon moi, de réa- liser immédiatement et dictatorialement quelque grande amélioration populaire. Je proposai l’abolition des octrois et de l’impôt des boissons. On fit cette objec- tion : – Pas de caresse au peuple ! après la victoire, nous verrons. En attendant, qu’il combatte ! S’il ne combat pas, s’il ne se lève pas, s’il ne comprend pas que c’est pour lui, que c’est pour son droit que nous, les représentants, nous risquons nos têtes à cette heure, s’il nous laisse seuls sur la brèche en présence du coup d’Etat, c’est qu’il n’est pas digne de la liberté ! – Bancel fit remarquer que l’abo- lition des octrois et de l’impôt des boissons n’était pas une caresse au peuple, mais un secours aux misères, une grande mesure économique réparatrice, une satisfaction au cri public, satisfaction que la droite avait toujours obstinément refusée, et que la gauche, maîtresse du terrain, devait se hâter d’accorder. – On vota, avec la réserve de ne les publier qu’après la victoire, les deux décrets en un seul, sous cette forme. DÉCRET « Les représentants restés libres »Décrètent : »Les octrois sont abolis dans toute l’étendue du territoire de la République. »Fait en séance de permanence, le 3 décembre 1851. »Versigny, avec une copie des procla- mations et du décret, partit à la recherche d’Hetzel. Labrousse y alla de son côté. On se donna rendez-vous pour huit heures du soir chez l’ancien membre du gou- vernement provisoire Marie, rue Neuve-des-Petits-Champs.
Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer