Histoire d’un crime de Victor Hugo

Chapitre 3

I. Ceux qui dorment et celui qui ne dort pas
Dans cette nuit du 3 au 4, pendant qu’accablés de fatigue et promis aux catas- trophes, nous dormions d’un sommeil honnête, on ne fermait pas l’œil à l’Ely- sée. L’insomnie était là, infâme. Vers deux heures du matin, le plus intime, après Morny, des confidents de l’Elysée, le comte Roguet, ancien pair de France et lieu- tenant général, sortait du cabinet de Louis Bonaparte : Roguet était accompagné de Saint-Arnaud. Saint-Arnaud était, on s’en souvient, le ministre de la guerre de ce moment-là.

Deux colonels attendaient dans le petit salon de service.

Saint-Arnaud était un général qui avait été figurant à l’Ambigu. Il avait débuté par être comique à la banlieue. Tragique, plus tard. Signalement : haute taille, sec, mince, anguleux, moustaches grises, cheveux plats, mine basse. C’était un coupe- jarret, mais mal élevé. Il prononçait peuple souverain . Morny en riait. Il ne pro- nonce pas mieux le mot qu’il ne comprend la chose , disait-il. L’Elysée, qui se pi- quait d’élégance, n’acceptait qu’à demi Saint-Arnaud. Son côté sanglant lui faisait pardonner son côté vulgaire. Saint-Arnaud était brave, violent et timide. Il avait l’audace du soudard galonné et la gaucherie de l’ancien pauvre diable. Nous le vîmes un jour à la tribune, blême, balbutiant, hardi. Il avait un long visage osseux et une mâchoire inquiétante. Son nom de théâtre était Florival. C’était un cabotin passé reître. Il est mort maréchal de France. Figure sinistre.

Les deux colonels qui attendaient Saint-Arnaud dans le salon de service étaient deux hommes d’expédition, chefs chacun d’un de ces régiments décisifs qui, dans les occasions suprêmes, entraînent les autres régiments, selon la consigne, dans la gloire comme à Austerlitz, ou dans le crime comme au Dix-huit Brumaire. Ces deux officiers faisaient partie de ce que Morny appelait « la crème des colonels endettés et viveurs ». Nous ne les nommerons pas ici ; l’un est mort, l’autre existe ; il se reconnaîtra. Du reste, on a pu les entrevoir dans les premières pages de ce livre.

L’un, homme de trente-huit ans, était retors, intrépide, ingrat ; trois qualités pour réussir. Le duc d’Aumale, dans l’Aurès, lui avait sauvé la vie. C’était alors un jeune capitaine. Une balle lui traversa le corps, il tomba dans les buissons, les ka- byles accoururent pour lui couper et lui emporter la tête, le duc d’Aumale survint avec deux officiers, un soldat et un trompette, chargea les Kabyles et sauva ce capi- taine. L’ayant sauvé, il l’aima. L’un fut reconnaissant, l’autre pas. Le reconnaissant, ce fut le sauveur. Le duc d’Aumale sut gré à ce jeune capitaine de lui avoir donné l’occasion d’un fait d’armes. Il le fit chef d’escadron ; en 1849, ce chef d’escadron fut lieutenant-colonel, commanda une colonne d’assaut au siège de Rome, puis revint en Afrique, où Fleury l’embaucha en même temps que Saint-Arnaud. Louis Bonaparte le fit colonel en juillet 1851, et compta sur lui. En novembre, ce colonel de Louis Bonaparte écrivait au duc d’Aumale : « Il n’y a rien à attendre de ce misé- rable aventurier. »En décembre, il commandait un régiment meurtrier. Plus tard, dans la Dobrudcha, un cheval maltraité se fâcha et d’un coup de dent lui arracha une joue, de sorte qu’il n’y eut plus place sur ce visage que pour un soufflet.

L’autre grisonnait et avait quarante-huit ans. C’était, lui aussi, un homme de plaisir et de meurtre. Comme citoyen, abject ; comme soldat, vaillant. Il avait sauté un des premiers sur la brèche de Constantine. Beaucoup de bravoure et de bas- sesse. Aucune chevalerie, que d’industrie. Louis Bonaparte l’avait fait colonel en août 1851. Ses dettes avaient été payées deux fois par deux princes, la première fois par le duc d’Orléans, la seconde fois par le duc de Nemours.

Tels étaient ces colonels.

Saint-Arnaud leur parla quelque temps à voix basse.

II. L’Intérieur du comité
Dès l’aube, nous étions réunis dans la maison de notre collègue prisonnier, M. Grévy. On nous avait installés dans son cabinet. Nous étions, Michel (de Bourges) et moi, assis près de la cheminée ; Jules Favre et Carnot écrivaient, l’un sur la table

près de la fenêtre, l’autre sur un pupitre à écrire debout. La gauche nous avait investis d’un pouvoir discrétionnaire. Se rassembler en séance devenait à chaque instant plus impossible. Nous rendîmes en son nom et nous remîmes à Hingray, pour qu’il l’imprimât immédiatement, le décret suivant, rédigé à la hâte par Jules Favre :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
« Les représentants du peuple, soussignés, demeurés libres, réunis en assem- blée de permanence extraordinaire ;
»Vu l’arrestation de la plupart de leurs collègues, vu l’urgence,
»Considérant que le crime de Louis-Napoléon Bonaparte, en abolissant par la violence l’action des pouvoirs publics, rétablit la nation dans l’exercice direct de la souveraineté, et que tout ce qui entrave actuellement cette souveraineté doit être annulé,
»Considérant que toutes les poursuites commencées, toutes les condamna- tions prononcées à quelque titre que ce soit pour crimes et délits politiques, sont anéanties par le droit imprescriptible du peuple,
»DÉCRÈTENT :
»ARTICLE PREMIER. Sont abolies dans tous leurs effets criminels ou civils toutes poursuites commencées, toutes condamnations prononcées pour crimes ou dé- lits politiques.
»ART. 2. En conséquence, il est enjoint à tout directeur des maisons d’arrêt ou de détention de mettre immédiatement en liberté toutes les personnes retenues en prison pour les causes indiquées ci-dessus.
»ART. 3. Il est également enjoint à tous officiers de parquet et de police judi- ciaire, sous peine de forfaiture, de mettre à néant toutes les poursuites commen- cées pour les mêmes causes.
»ART. 4. Les fonctionnaires et agents de la force publique sont chargés de l’exé- cution du présent décret. »Fait à Paris, en assemblée de permanence, le 4 dé- cembre 1831. »

Jules Favre, en me passant le décret pour le signer, me dit en souriant :

  • Mettons en liberté vos fils et vos amis.

? Oui, repris-je, quatre combattants de plus sur les barricades 1 ! ? Le représen- tant Dupetz reçut quelques heures plus tard de nos mains ampliation du décret, avec mission de le porter lui-même à la Conciergerie dès que le coup de main que nous préméditions sur la préfecture de police et l’Hôtel de Ville aurait réussi. Malheureusement ce coup de main manqua.

Survint Landrin. Ses fonctions à Paris, en 1848, l’avaient mis à même de connaître à fond le personnel de la police politique et de la police municipale. Il nous prévint qu’il avait vu rôder aux alentours des figures suspectes. Nous étions rue Richelieu, presque vis-à-vis le Théâtre-Français, un des points où abondent le plus de pas- sants, et par conséquent un des points les plus surveillés. Les allées et venues des représentants qui se mettaient en communication avec le comité et qui entraient et sortaient sans cesse seraient inévitablement remarquées et amèneraient une descente de police. Les portiers et les voisins manifestaient déjà un étonnement inquiétant. Nous courions, Landrin le constatait et l’affirmait, les plus grands dan- gers. – Vous allez être pris et fusillés, nous dit-il.

Il nous conjura de nous transporter ailleurs. Le frère de M. Grévy, consulté par nous, nous déclara qu’il ne pouvait répondre des gens de sa maison.

Mais que faire ? Traqués depuis deux jours, nous avions épuisé à peu près toutes les bonnes volontés, un asile nous avait été refusé la veille, et en ce moment-là aucune maison ne nous était offerte. Depuis la surveille nous avions changé dix- sept fois d’asile, allant parfois d’une extrémité de Paris à l’autre. Nous commen- cions à ressentir quelque lassitude. D’ailleurs, je l’ai dit déjà, la maison où nous étions avait ce précieux avantage d’une issue par les derrières sur la rue Fontaine- Molière. Nous nous décidâmes à rester. Seulement nous crûmes devoir prendre nos précautions.

Tous les genres de dévouement éclataient dans les rangs de la gauche autour de nous. Un membre notable de l’Assemblée, un homme d’un rare esprit et d’un rare courage, Durand-Savoyat, s’était fait depuis la veille et est resté jusqu’au dernier jour notre gardien, disons plus, notre huissier et notre portier. Il avait lui-même posé une sonnette sur notre table, et il nous avait dit : Quand vous aurez besoin de moi, sonnez, je viendrai. – Partout où nous allions, il était là. Il se tenait dans l’antichambre, calme, impassible, silencieux, avec sa grave et noble figure, et sa
1 Paul Meurice et Auguste Vacquerie étaient à la Conciergerie avec Charles et François – Victor Hugo .

redingote boutonnée et son large chapeau qui lui donnait l’air d’un ministre an- glican. Il ouvrait lui-même la porte d’entrée, reconnaissait les survenants, et écar- tait les importuns et les inutiles. Du reste toujours gai et disposé à dire sans cesse : Cela va bien. Nous étions perdus, il souriait. L’optimisme dans le désespoir.

Nous l’appelâmes. Landrin lui exposa ses inquiétudes. Nous priâmes Durand- Savoyat de ne laisser désormais séjourner personne dans l’appartement, pas même les représentants du peuple, de prendre note des nouvelles et des renseignements, de ne laisser parvenir jusqu’à nous que les hommes indispensables, en un mot de renvoyer le plus possible tout le monde afin que les allées et venues cessassent. Durand-Savoyat secoua la tête et rentra dans l’antichambre en disant : C’est bon. Il se bornait volontiers à ces deux formules : pour nous : Cela va bien ; pour lui- même : C’est bon . C’est bon, noble façon de parler du devoir.

Landrin et Durand-Savoyat sortis, Michel (de Bourges) prit la parole.

L’art de Louis Bonaparte, copiste de son oncle en cela comme en tout, ç’avait été, dit Michel (de Bourges), de jeter en avant un appel au peuple, un vote à faire, un plébiscite, en un mot de faire surgir en apparence un gouvernement au mo- ment où il en renversait un. Dans les grandes crises où tout penche et paraît prêt à tomber, un peuple a besoin de se rattacher à quelque chose. A défaut d’un autre point d’appui, il prendra la souveraineté de Louis Bonaparte. Eh bien, il faut pour point d’appui offrir, nous, au peuple sa propre souveraineté. L’Assemblée, conti- nua Michel (de Bourges), était morte de fait. La gauche, tronçon populaire de cette Assemblée haïe, pouvait suffire à la situation quelques jours. Rien de plus. Il fal- lait qu’elle se retrempât elle-même dans la souveraineté nationale. Il était donc important de faire appel, nous aussi, au suffrage universel, d’opposer vote à vote, de mettre debout devant le prince usurpateur le peuple souverain, et de convo- quer immédiatement une nouvelle Assemblée. Michel (de Bourges) proposa un décret. Michel (de Bourges) avait raison. Derrière la victoire de Louis Bonaparte, on voyait quelque chose de détestable, mais de connu : l’empire ; derrière la vic- toire de la gauche, il y avait de l’ombre. Il importait de faire le jour derrière nous. Ce qui inquiète le plus les imaginations, c’est la dictature de l’inconnu. Convoquer le plus tôt possible une nouvelle Assemblée, remettre tout de suite la France dans les mains de la France, c’était rassurer les esprits pendant le combat et les rallier après ; c’était la vraie politique.

Depuis quelque temps, tout en écoutant Michel (de Bourges) et Jules Favre qui l’appuyait, nous croyions entendre dans la salle voisine un bourdonnement qui ressemblait à un bruit de voix. Jules Favre s’était écrié à plusieurs reprises : – Mais est-ce qu’il y aurait là quelqu’un ? – Pas possible, lui répondait-on, nous avons re- commandé à Durand-Savoyat de ne laisser demeurer personne. – Et la délibéra- tion continuait. Cependant le bruit de voix grossissait insensiblement et finit par devenir si distinct qu’il fallut voir ce que c’était. Carnot entrouvrit la porte. Le sa- lon et l’antichambre contigus au cabinet où nous nous tenions étaient remplis de représentants qui causaient paisiblement.

Surpris, nous appelâmes Durand-Savoyat.

  • Vous n’avez donc pas compris ? lui dit Michel (de Bourges).
  • Mais si, répondit Durand-Savoyat.
  • Cette maison est peut-être signalée, reprit Carnot. Nous sommes en danger d’être pris.
  • Et tués sur place, ajouta Jules Favre en souriant de son sourire calme.
  • Eh bien, répondit Durand-Savoyat, avec son regard plus tranquille encore que le sourire de Jules Favre, précisément. La porte de ce cabinet est dans l’obscurité et peu apparente. J’ai gardé tous les représentants qui sont venus et je les ai mis dans le salon et dans l’antichambre, où il ont voulu. Cela fait une espèce de foule. Si la police et la troupe arrivent, je dirai : Nous voilà. On nous prendra. On ne verra pas la porte du cabinet, et l’on ne viendra pas jusqu’à vous. Nous paierons pour vous. Si l’on a quelqu’un à tuer, on se contentera de nous.

Et, sans se douter qu’il venait de dire des paroles de héros, Durand-Savoyat ren- tra dans l’antichambre.

Nous reprîmes la question du décret. Nous étions unanimes sur l’utilité de la convocation immédiate d’une nouvelle Assemblée. Mais à quelle date ? Louis Bo- naparte avait désigné le 20 décembre pour son plébiscite ; nous choisîmes le 21. Maintenant quel nom donner à cette Assemblée ? Michel (de Bourges) insistait pour le nom de Convention nationale , Jules Favre pour le nom d’Assemblée consti- tuante , Carnot proposa le nom d’Assemblée souveraine qui, ne réveillant aucun souvenir, laissait le champ libre à toutes les espérances. Le nom d’Assemblée sou- veraine fut adopté.

Le décret, dont Carnot voulut bien écrire les considérants sous ma dictée, fut rédigé en ces termes. Il est de ceux qui ont été imprimés et affichés.

DÉCRET

« Le crime de Louis Bonaparte impose aux représentants du peuple demeurés libres de grands devoirs.
»La force brutale cherche à rendre impossible l’accomplissement de ces de- voirs.
»Traqués, errants d’asile en asile, assassinés dans les rues, les représentants ré- publicains délibèrent et agissent, malgré l’infâme police du coup d’Etat.
»L’attentat de Louis-Napoléon, en brisant tous les pouvoirs, n’a laissé debout qu’une autorité, l’autorité suprême, l’autorité du peuple, le suffrage universel.
»C’est au peuple souverain qu’il appartient de ressaisir et de reconstituer toutes les forces sociales aujourd’hui dispersées.
»En conséquence, les représentants du peuple décrètent :
»ARTICLE PREMIER. – Le peuple est convoqué le 21 décembre 1851 pour élire une Assemblée souveraine.
»ART. 2. – L’élection se fera par le suffrage universel, selon les formes réglées par le décret du gouvernement provisoire du 5 mars 1848.
»Fait à Paris, en assemblée de permanence, le 4 décembre 1851. »

Comme je venais de signer ce décret, Durand-Savoyat entra et me dit à voix basse qu’une femme me demandait, et attendait dans l’antichambre. J’y allai. C’était Madame Charrassin. Son mari avait disparu. Le représentant Charrassin, écono- miste, agronome, savant, était en même temps un homme intrépide. Nous l’avions vu la veille aux endroits les plus périlleux. Etait-il arrêté ? Madame Charrassin ve- nait me demander si nous savions où il était. Je l’ignorais. Elle était allée à Mazas s’informer. Un colonel, qui était à la fois de l’armée et de la police, l’avait reçue et lui avait dit : – Je ne puis vous permettre de voir votre mari qu’à une condition. – Laquelle ? Vous ne lui parlerez de rien. – Comment ! de rien ? – Pas de nouvelles.
Pas de politique. – Soit. – Donnez-m’en votre parole d’honneur. Et elle avait ré- pondu : Comment voulez – vous que je vous donne ma parole d’honneur puisque je ne recevrais pas la vôtre ! – J’ai revu depuis Charrassin dans l’exil.

Madame Charrassin venait de me quitter quand Théodore Bac arriva. Il nous apportait la protestation du conseil d’Etat.

La voici :

PROTESTATION DU CONSEIL D’ÉTAT

« Les soussignés, membres du conseil d’Etat, élus par les Assemblées consti- tuante et législative, réunis, nonobstant le décret du 2 décembre, au lieu de leurs séances, et l’ayant trouvé entouré de la force armée qui leur en a interdit l’ac- cès, protestent contre l’acte qui a prononcé la dissolution du conseil d’Etat, et dé- clarent n’avoir cessé leurs fonctions qu’empêchés par la force.
»Paris, ce 3 décembre 1851.
»Signé : BETHMONT, VIVIEN, BUREAU DE PUZY, STOURM, ED. CHARTON, CUVIER, DE RENNEVILLE, HORACE SAY, BOULATIGNIER, GAUTHIER DE RU- MILLY, DE JOUVENCEL, DUNOYER, CARTERET, DE FRESNE, BOUCHENÉ-LEFER, RIVET, BOUDET, CORMENIN, PONS (DE L’HÉRAULT). »

Disons comment s’était passée l’aventure du conseil d’Etat.

Louis Bonaparte avait fait expulser l’Assemblée par l’armée, la Haute Cour par la police ; il fit expulser le conseil d’Etat par le portier.

Le 2 décembre au matin, à l’heure même où les représentants de la droite al- laient de chez M. Daru à la mairie du Xe arrondissement, les conseillers d’Etat se rendaient à l’hôtel du quai d’Orsay. Ils entrèrent un à un.

Le quai était couvert de soldats. Un régiment y bivouaquait, avec les fusils en faisceaux.

Les conseillers d’Etat furent bientôt une trentaine. Ils se mirent à délibérer. Un projet de protestation fut rédigé. Au moment où on allait le signer, le portier, pâle, entra. Il balbutiait. Il déclara qu’il exécutait des ordres, et il leur enjoignit de sortir.

Sur ce, quelques conseillers d’Etat déclarèrent que, si indignés qu’ils fussent, ils ne mettraient pas leur signature à côté des signatures républicaines.

Manière d’obéir au portier.

M. Bethmont, l’un des présidents du conseil d’Etat, offrit sa maison. Il demeu- rait rue Saint-Romain. Les membres républicains y allèrent, et signèrent, sans dis- cussion, la protestation qu’on vient de lire.

Quelques membres, qui demeuraient dans des quartiers éloignés, n’avaient pu venir au rendez-vous. Le plus jeune des conseillers d’Etat, homme d’un ferme cœur et d’un noble esprit, M. Edouard Charton, se chargea de porter la protes- tation aux collègues absents.

Il le fit, non sans danger, à pied, n’ayant pu trouver de voiture, arrêté par les soldats, menacé d’être fouillé, ce qui eût été périlleux. Il parvint cependant chez quelques-uns des conseillers d’Etat. Plusieurs signèrent, Pons (de l’Hérault) réso- lûment, Cormenin avec une sorte de fièvre, Boudet après hésitation. M. Boudet tremblait, sa famille avait peur, on entendait par la fenêtre ouverte des décharges d’artillerie. Charton, vaillant et calme, lui dit : Vos amis Vivien, Rivet et Stourm ont signé. Boudet signa.

Plusieurs refusèrent, alléguant, l’un son grand âge, l’autre le res angusta domi, un autre, la « peur de faire les affaires des rouges ». – Dites la peur tout court, répliqua Charton.

Le lendemain 3, MM. Vivien et Bethmont portèrent la protestation à Boulay (de la Meurthe), vice-président de la République et président du conseil d’Etat, qui les reçut en robe de chambre, et leur cria : Allez – vous – en . Perdez – vous , soit , mais sans moi .

Le matin du 4, M. de Cormenin biffa sa signature, donnant cette raison inouïe et authentique : – Le mot ancien conseiller d’Etat ne fait pas bon effet sur un livre. Je crains de nuire à mon éditeur .

Encore un détail caractéristique. M. Béhic, le matin du 2, était arrivé pendant qu’on rédigeait la protestation. Il avait entr’ouvert la porte. Près de la porte se tenait M. Gauthier de Rumilly, un des membres les plus justement respectés du conseil d’Etat. M. Béhic avait demandé à M. Gauthier de Rumilly : – Que fait-on ? C’est un crime. Que faisons-nous ? M. Gauthier de Rumilly avait répondu : Une protestation. Sur ce mot, M. Béhic avait refermé la porte et avait disparu.

Il reparut plus tard, sous l’empire, ministre.

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