Histoire d’un crime de Victor Hugo

Une ambulance avait été établie dans une salle voisine. C’est là que gisait, sur un matelas jeté à terre, le cordonnier blessé.

On avait installé en cas une autre ambulance rue du Cadran. Une coupure avait été ménagée de ce côté à l’angle de la barricade afin qu’on pût emporter facile- ment les blessés.

Vers neuf heures et demie du soir un homme arriva à la barricade. Jeanty Sarre le reconnut.

  • Bonjour, Denis, lui dit-il.
  • Appelle-moi Gaston, dit l’homme qui arrivait.
  • Pourquoi ça ?
  • Parce que.
  • Est-ce que tu es ton frère ?
  • Oui, je suis mon frère. Aujourd’hui.
  • Soit. Bonjour, Gaston. Ils se serrèrent la main. C’était Denis Dussoubs.
    Il était pâle, tranquille et sanglant. Il s’était déjà battu le matin. Une balle, à une barricade du faubourg Saint-Martin, lui avait labouré la poitrine, avait glissé sur quelque argent qu’il avait dans son gilet et n’avait arraché que la peau. Il avait eu ce bonheur rare d’être égratigné par une balle. C’était comme un premier coup de griffe de la mort. Il portait une casquette, son chapeau étant resté dans la barri- cade où il avait combattu ; et il avait remplacé par un caban acheté chez un fripier son paletot troué par la balle, qui était fait de drap de Belle-Isle.

Comment était-il parvenu à la barricade du Petit-Carreau ? Il n’eût pu le dire. Il avait marché devant lui. Il s’était glissé de rue en rue. Le sort prend les prédestinés par la main et les conduit droit au but dans les ténèbres.

Au moment où il entrait dans la barricade on lui cria : – Qui vive ? Il répondit : – La République !

On vit Jeanty Sarre lui serrer la main. On demanda à Jeanty Sarre :

  • Qui est-ce ?

Jeanty Sarre répondit :

  • C’est quelqu’un. Et il ajouta :
  • Nous n’étions que soixante tout à l’heure, nous sommes cent maintenant.

Tous se pressèrent autour du nouveau venu. Jeanty Sarre lui offrit le comman- dement.

  • Non, dit-il, il y a une tactique de barricade que je ne sais pas. Je serais mauvais chef, mais je suis bon soldat. Donnez-moi un fusil.

On s’assit sur les pavés. On échangea le récit de ce qu’on avait fait. Denis leur ra- conta les combats du faubourg Saint-Martin, Jeanty Sarre dit à Denis les combats de la rue Saint-Denis.

Pendant ce temps-là, les généraux préparaient la dernière attaque, ce que le marquis de Clermont-Tonnerre, en 1822, appelait le coup de collier , et ce que, en 1789, le prince de Lambesc appelait « le coup de bas ».

Il n’y avait plus dans tout Paris que ce point résistant. Ce nœud de barricades, ce réseau de rues crénelé comme une redoute, c’était là la dernière citadelle du peuple et du droit. Les généraux l’investissaient lentement, pas à pas, et de toutes parts. On concentrait les forces. Eux, ces combattants de l’heure fatale, ne savaient rien de ce qui se faisait. Seulement ils interrompaient de temps en temps leurs ré- cits, et ils écoutaient. De la droite, de la gauche, de l’avant, de l’arrière, de tous les côtés à la fois, un bruit clair, à chaque instant plus sonore et plus distinct, rauque, éclatant, formidable, leur arrivait à travers la nuit. C’étaient les bataillons qui mar- chaient et chargeaient au clairon dans toutes les rues voisines. Ils reprenaient leur vaillante causerie, puis au bout d’un instant ils s’arrêtaient encore et prêtaient l’oreille à cette espèce de chant sinistre chanté par la mort qui s’approchait.

Quelques-uns pourtant pensaient encore n’être attaqués que le lendemain ma- tin. Les combats de nuit sont rares dans la guerre des rues. Plus que tous les autres combats, ils ont des « hasards ». Peu de généraux s’y aventurent. Mais, parmi les anciens de la barricade, à de certains signes qui ne trompent jamais, on croyait à un assaut immédiat.

En effet, à dix heures et demie du soir – et non à huit heures, comme le dit le gé- néral Magnan dans le méprisable document qu’il appelle son rapport – un mouve- ment particulier s’entendit du côté des Halles. C’était la troupe qui s’ébranlait. Le colonel de Lourmel s’était déterminé à attaquer. Le 51e de ligne, posté à la pointe Saint-Eustache, entrait dans la rue Montorgueil. Le 2e bataillon formait l’avant- garde. Les grenadiers et les voltigeurs lancés au pas de course emportèrent rapi- dement les trois petites barricades qui étaient au delà de l’espèce de redoute de la rue Mauconseil, et les barricades peu défendues des rues voisines. C’est dans ce moment-là que fut forcée celle près de laquelle je me trouvais.

De la barricade du Petit-Carreau on entendait le combat de nuit s’approcher dans l’obscurité avec un bruit intermittent, étrange et terrible. C’étaient de grandes clameurs, puis des feux de peloton, puis le silence, et cela recommençait. L’éclair des fusillades faisait apparaître brusquement dans l’ombre les façades des mai- sons qui avaient quelque chose d’effaré.

Le moment suprême arrivait.

Les vedettes s’étaient repliées dans la barricade. Les postes avancés de la rue de Cléry et de la rue du Cadran étaient rentrés. On se compta. De ceux du matin pas un ne manquait. On était, nous l’avons dit, environ soixante combattants, et non cent , comme l’affirme le rapport Magnan.

De cette extrémité supérieure de la rue où ils étaient postés, il était difficile de se rendre bien compte de ce qui se passait. Ils ne savaient pas au juste com- bien il y avait de barricades dans la rue Montorgueil entre la leur et la pointe Saint-Eustache d’où la troupe s’élançait. Ils savaient seulement que le point de résistance le plus rapproché d’eux c’était la double barricade Mauconseil, et que, quand tout serait fini là, ce serait leur tour.

Denis s’était posté sur le revers intérieur de la barricade, de façon à en dépasser la crête de la moitié du corps, et de là il observait. La lueur qui sortait de la porte du marchand de vin permettait de distinguer ses gestes.

Tout à coup il fit un signe. L’attaque commençait à la redoute Mauconseil.

Les soldats, en effet, après avoir hésité quelque temps devant cette double mu- raille de pavés, assez haute, bien bâtie, et qu’ils supposaient bien défendue, avaient fini par s’y lancer et l’abordaient à coups de fusil.

Ils ne se trompaient pas, elle fut bien défendue. Nous l’avons dit, il n’y avait dans cette barricade que six hommes, six ouvriers qui l’avaient construite. Des six, un seul avait trois cartouches, les autres n’avaient que deux coups à tirer. Ces six hommes entendirent venir le bataillon et rouler la batterie qui le suivait, et ne bougèrent pas. Chacun resta silencieux à son poste de combat, le canon du fusil entre deux pavés. Quand la troupe fut à distance, ils firent feu, le bataillon riposta.

  • C’est bon, ragez, pioupious ! dit en riant celui qui avait trois coups à tirer.

En arrière d’eux, ceux du Petit-Carreau s’étaient groupés autour de Denis et de Jeanty Sarre, et, accoudés sur la crête de leur barricade, le cou tendu vers la re- doute Mauconseil, ils regardaient, comme les gladiateurs de l’heure prochaine.

Les six hommes de cette redoute Mauconseil résistèrent au choc du bataillon près d’un quart d’heure. Ils ne tiraient pas ensemble, afin, comme disait l’un d’eux, de faire durer le plaisir longtemps . Plaisir de se faire tuer pour le devoir ; grande pa- role dans cette bouche d’ouvrier. Ils ne se replièrent dans les rues voisines qu’après avoir épuisé leurs munitions. Le dernier, celui qui avait trois coups de fusil, ne lâ- cha prise qu’au moment où les soldats escaladaient le sommet de la barricade.

Dans la barricade du Petit-Carreau il ne se prononçait pas une parole, on suivait toutes les phases de cette lutte, et l’on se serrait la main.

Tout à coup le bruit cessa, le dernier coup de fusil était tiré. Un moment après, on vit des chandelles allumées se poser sur toutes les fenêtres qui donnaient sur la redoute Mauconseil. Les bayonnettes et les plaques des shakos y étincelaient. La barricade était prise.

Le commandant du bataillon avait, ce qui est toujours usité en pareil cas, en- voyé l’ordre aux maisons voisines d’éclairer toutes les croisées.

C’en était fait de la redoute Mauconseil.

En voyant que leur heure était venue, les soixante combattants de la barricade du Petit-Carreau montèrent sur leur monceau de pavés et jetèrent d’une seule voix au milieu de la nuit ce cri éclatant : Vive la République !

Rien ne leur répondit.

Ils entendirent seulement le bataillon charger les armes.

Il se fit parmi eux une sorte de branle-bas de combat. Ils étaient tous écrasés de fatigue, sur pied depuis la veille, portant des pavés ou combattant, la plupart n’ayant ni mangé ni dormi.

Charpentier dit à Jeanty Sarre :

  • Nous allons être tous tués.
  • Parbleu ! dit Jeanty Sarre.

Jeanty Sarre fit. fermer la porte du marchand de vin, afin que leur barricade, en- tièrement plongée dans l’obscurité, leur laissât quelque avantage sur la barricade occupée par les soldats et éclairée.

Cependant le 51e fouillait les rues, portait les blessés aux ambulances, et prenait position dans la double barricade Mauconseil. Une demi-heure s’écoula ainsi.

Maintenant, pour bien se faire une idée de ce qui va suivre, il faut se représenter, dans cette rue silencieuse, dans cette noirceur de la nuit, à soixante ou quatre- vingts mètres d’intervalle, à portée de la voix, ces deux redoutes se faisant face et pouvant, comme dans une Iliade, s’adresser la parole.

D’un côté l’armée, de l’autre le peuple ; les ténèbres sur tout.

L’espèce de trêve qui précède toujours les chocs décisifs tirait à sa fin. Les pré- paratifs étaient terminés de part et d’autre. On entendait les soldats se créneler et les capitaines donner des ordres. Il était évident que la lutte allait s’engager.

  • Commençons, dit Charpentier ; et il arma sa carabine. Denis lui retint le bras. – Attendez, dit-il.
    On vit alors une chose épique.

Denis gravit lentement les pavés de la barricade, monta jusqu’au sommet, et s’y dressa debout, sans armes, tête nue.

De là il éleva la voix, et faisant face aux soldats, il leur cria : – Citoyens !

Il y eut à ce mot une sorte de tressaillement électrique qu’on sentit d’une barri- cade à l’autre. Tous les bruits cessèrent, toutes les voix se turent, il se fit des deux côtés un silence profond, religieux, solennel. A la lueur lointaine des quelques fenêtres illuminées, les soldats entrevoyaient vaguement un homme debout au- dessus d’un amas d’ombre, comme un fantôme qui leur parlait dans la nuit.

Denis continua :

  • Citoyens de l’armée ! écoutez-moi. Le silence redoubla.
    Il reprit :
  • Qu’est-ce que vous venez faire ici ? Vous et nous, nous tous qui sommes dans cette rue, à cette heure, le fusil ou le sabre en main, qu’est-ce que nous allons faire ? Nous entre-tuer ! Nous entre-tuer, citoyens ! Pourquoi ? Parce qu’on jette entre nous un malentendu ! Parce que nous obéissons, vous, à votre discipline, et nous, à notre droit ! Vous croyez exécuter votre consigne ; nous savons, nous, que nous faisons notre devoir. Oui, c’est le suffrage universel, c’est le droit de la Répu- blique, c’est notre droit que nous défendons, et notre droit, soldats, c’est le vôtre ! L’armée est peuple, comme le peuple est armée. Nous sommes la même nation, le même pays, les mêmes hommes, mon Dieu ! Voyons, est-ce qu’il y a du sang russe
  • dans mes veines, à moi qui vous parle ? Est-ce qu’il y a du sang prussien dans vos veines, à vous qui m’écoutez ? Non ! Pourquoi nous battons-nous alors ? Il est tou- jours malheureux qu’un homme tire sur un homme. Pourtant, un coup de fusil, d’un français à un anglais, cela se comprend, mais d’un français à un français, ah ! cela blesse la raison, cela blesse la France, cela blesse notre mère !

On l’écoutait avec anxiété. En ce moment, de la barricade opposée, une voix lui cria : – Rentrez chez vous, alors !

A cette interruption brutale, il y eut parmi les compagnons de Denis un frémis- sement irrité et l’on entendit quelques fusils qui s’armaient. Denis les contint d’un geste.

Ce geste avait une autorité étrange. – Qu’est-ce que c’est que cet homme ? se demandaient les combattants de la barricade. Tout à coup ils s’écrièrent :

  • C’est un représentant du peuple.

Denis, en effet, avait subitement revêtu l’écharpe de son frère Gaston.

Ce qu’il avait prémédité allait s’accomplir, l’heure du mensonge héroïque était venue, il s’écria :

  • Soldats, savez-vous quel est l’homme qui vous parle en ce moment ? Ce n’est pas seulement un citoyen, c’est un législateur ! C’est un élu du suffrage univer- sel ! Je me nomme Dussoubs, et je suis représentant du peuple. C’est au nom de l’Assemblée nationale, c’est au nom de l’Assemblée souveraine, c’est au nom du peuple, c’est au nom de la loi que je vous somme de m’entendre. Soldats, vous êtes la force. Eh bien ! quand la loi parle, la force écoute.

Cette fois le silence ne fut plus troublé.

Nous reproduisons ces paroles à peu près textuellement, telles qu’elles sont et qu’elles restent gravées dans la mémoire de ceux qui les ont entendues, mais ce que nous ne pouvons rendre, ce qu’il faut ajouter à ces paroles pour en bien com- prendre l’effet, c’est l’attitude, c’est l’accent, c’est le tressaillement ému, c’est la vibration des mots sortant de cette noble poitrine, c’est l’autorité de l’heure et du lieu terrible.

Dents Dussoubs continua. « Il parla environ vingt minutes », nous a dit un té- moin. Un autre nous disait : « Il parlait d’une voix forte, toute la rue entendait. »Il fut ardent, éloquent, profond, un juge pour Bonaparte, un ami pour les soldats. Il chercha à les remuer par tout ce qui pouvait encore vibrer en eux ; il leur rappela les vraies guerres, les vraies victoires, la gloire nationale, le vieil honneur militaire, le drapeau. Il leur dit que c’était tout cela que les balles de leurs fusils allaient tuer. Il les adjura, il leur ordonna de se joindre aux défenseurs du peuple et de la loi ; puis, tout à coup, revenant aux premières paroles qu’il avait prononcées, emporté par cette fraternité qui débordait de toute son âme, il s’interrompit au milieu d’une phrase commencée et s’écria :

  • Mais à quoi bon toutes ces paroles ? Ce n’est pas tout cela qu’il faut, c’est une poignée de main entre frères ! Soldats, vous êtes là en face, à cent pas de nous, dans cette barricade, le sabre nu, les fusils braqués, vous me tenez couché en joue ; eh bien, nous tous qui sommes ici, nous vous aimons ! Il n’y a pas un de nous qui ne donnât sa vie pour un de vous. Vous êtes les paysans des campagnes de France, nous sommes les ouvriers de Paris. De quoi s’agit-il donc ? Tout bonnement de se voir, de se parler, de ne pas s’égorger ! Si nous essayions, dites ? Ah ! quant à moi, dans cet affreux champ de bataille de la guerre civile, j’aime mieux mourir que tuer. Tenez, je vais descendre de cette barricade et aller à vous, je n’ai pas d’armes, je sais seulement que vous êtes mes frères, je suis fort, je suis tranquille, et si l’un de vous me présente la bayonnette, je lui tendrai la main.

Il se tut.

Une voix cria de la barricade opposée : – Avance à l’ordre !

Alors on le vit descendre lentement, pavé à pavé, de la crête vaguement éclairée de la barricade et s’enfoncer la tête haute dans la rue ténébreuse.

De la barricade on le suivit des yeux avec une anxiété inexprimable. Les cœurs ne battaient plus, les bouches ne respiraient plus.

Personne n’essaya de retenir Denis Dussoubs. Chacun sentit qu’il allait où il fallait qu’il allât. Charpentier voulut l’accompagner. – Veux-tu que j’aille avec toi ? lui cria-t-il. Dussoubs refusa d’un signe de tête.

Dussoubs, seul et grave, s’avança vers la barricade Mauconseil. Le nuit était si obscure qu’on le perdit de vue presque tout de suite. On put distinguer, pendant

quelques secondes seulement, son attitude intrépide et paisible. Puis il disparut. On ne vit plus rien. Ce fut un moment sinistre. La rue était noire et muette. On entendait seulement dans cette ombre un pas mesuré et ferme qui s’éloignait.

Au bout d’un certain temps, que personne n’a pu apprécier, tant l’émotion ôtait la pensée aux témoins de cette scène extraordinaire, une lueur apparut dans la barricade des soldats ; c’était probablement une lanterne qu’on apportait ou qu’on déplaçait. On revit Dussoubs à cette clarté, il était tout près de la barricade, il allait y atteindre, il y marchait les bras ouverts comme le Christ.

Tout à coup le commandement : – Feu ! se fit entendre. Une fusillade éclata. Ils avaient tiré sur Dussoubs à bout portant.
Dussoubs tomba.

Puis il se releva et cria : – Vive la République ! Une nouvelle balle le frappa, il retomba. Puis on le vit se relever encore une fois, et on l’entendit crier d’une voix forte : – Je meurs avec la République.

Ce fut sa dernière parole. Ainsi mourut Denis Dussoubs.
Ce n’était pas en vain qu’il avait dit à son frère : Ton écharpe y sera.

Il voulut que cette écharpe fît son devoir. Il décréta au fond de sa grande âme que cette écharpe triompherait, soit par la loi, soit par la mort.

C’est-à-dire que, dans le premier cas, elle sauverait le droit, et, dans le second cas, l’honneur.

Il put en expirant se dire : J’ai réussi.

Des deux triomphes possibles qu’il avait rêvés, le triomphe sombre n’est pas le moins beau.

L’insurgé de l’Elysée crut avoir tué un représentant du peuple, et s’en vanta. L’unique journal publié par le coup d’Etat sous ces titres divers, Patrie , Univers , Moniteur parisien , etc., annonça le lendemain, vendredi 5, que « l’ex-représentant Dussoubs (Gaston) »avait été tué à la barricade de la rue Neuve-Saint-Eustache, et qu’il portait « un drapeau rouge à la main ».

IV. Les Faits de la nuit. Le passage du Saumon
Quand de la barricade du Petit-Carreau on vit Dussoubs tomber, si glorieuse- ment pour les siens, si honteusement pour ses meurtriers, il y eut un instant de stupeur.

Etait-ce possible ? Etait-ce bien là ce qu’on avait devant les yeux ? Un tel crime commis par nos soldats ? – L’horreur était dans les âmes.

Cet instant de surprise dura peu. – Vive la République ! cria la barricade tout d’une voix, et elle riposta au guet-apens par un feu formidable.

Le combat commença. Combat forcené du côté du coup d’Etat, lutte déses- pérée du côté de la République. Du côté, des soldats, une résolution affreuse et froide, l’obéissance passive et féroce, le nombre, les bonnes armes, les chefs ab- solus, des cartouches plein les gibernes. Du côté du peuple, pas de munitions, le désordre, la fatigue, l’épuisement, pas de discipline, l’indignation pour chef.

Il parait que, pendant que Dussoubs parlait, quinze grenadiers, commandés par un sergent nommé Pitrois, avaient réussi à se glisser dans l’obscurité, le long des maisons, et avaient, sans être aperçus ni entendus, pris position assez près de la barricade. Ces quinze hommes se groupèrent tout à coup, la bayonnette en avant, à vingt pas, prêts à escalader. Une décharge les accueillit. Ils reculèrent, laissant quelques cadavres dans le ruisseau. Le chef de bataillon Jeannin cria : – Finissons- en. – Le bataillon qui occupait la barricade Mauconseil parut alors tout entier, les bayonnettes hautes, sur la crête inégale de cette barricade, et de là, sans rompre ses lignes, d’un mouvement brusque, mais réglé et inexorable, s’élança dans la rue. Les quatre compagnies, serrées et comme mêlées et à peine entrevues, sem- blaient ne plus faire qu’un flot qui se précipitait à grand bruit du haut du barrage.

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