Histoire d’un crime de Victor Hugo

XVI. L’incident du boulevard Saint-Martin
Quand nous arrivâmes, Charamaule et moi, au n° 70 de la rue Blanche, qui est montueuse et déserte, un homme, vêtu d’une espèce d’uniforme de sous-officier de marine, se promenait de long en large devant la porte. La portière, qui nous reconnut, nous le fit remarquer. – Bah ! dit Charamaule, se promener de la sorte et s’habiller de cette façon ! ce n’est certes pas un mouchard.

  • Mon cher collègue, lui dis-je, Bedeau a constaté que la police est bête.

Nous montâmes. Le salon et une petite antichambre qui le précédait étaient pleins de représentants auxquels étaient mêlées beaucoup de personnes étran- gères à l’Assemblée. Quelques anciens membres de la Constituante étaient là, entre autres Bastide, et plusieurs journalistes démocrates. Le National était repré- senté par Alexandre Rey et Léopold Duras, la Révolution par Xavier Durieu, Vas- benter et Watripon, l’Avènement du Peuple par H. Coste, presque tous les autres rédacteurs de l’Avènement étant en prison. Soixante membres de la gauche envi- ron étaient là, et entre autres Edgar Quinet, Schœlcher, Madier de Montjau, Car- not, Noël Parfait, Pierre Lefranc, Bancel, de Flotte, Bruckner, Chaix, Cassal, Es- quiros, Durand-Savoyat, Yvan, Carlos Forel, Etchegoyen, Labrousse, Barthélemy (Eure-et-Loir), Huguenin, Aubry (du Nord), Malardier, Victor Chauffour, Belin, Re- naud, Bac, Versigny, Sain, Joigneaux, Brives, Guilgot, Pelletier, Doutre, Gindrier, Arnaud (de l’Ariège), Raymond (de l’Isère), Brillier, Maigne, Sartin, Raynaud, Léon Vidal, Lafon, Lamarque, Bourzat, le général Rey.

Tous étaient debout. On causait confusément. Léopold Duras venait de racon- ter l’investissement du café Bonvalet. Jules Favre et Baudin, assis à une petite table entre les deux croisées, écrivaient. Baudin avait un exemplaire de la Constitution ouvert devant lui, et copiait l’article 68. Quand nous entrâmes, il se fit un silence, et l’on nous demanda : – Eh bien, qu’y a-t-il de nouveau ?

Charamaule raconta ce qui venait de se passer au boulevard du Temple, et le conseil qu’il avait cru devoir me donner. On l’approuva.

On s’interrogeait de tous les côtés : – Qu’y a-t-il à faire ? Je pris la parole.

  • Allons au fait et au but, dis-je. Louis Bonaparte gagne du terrain et nous en perdons, ou pour mieux dire, il a encore tout, et nous n’avons encore rien. Nous avons dû nous séparer, Charamaule et moi, du colonel Forestier. Je doute qu’il réussisse. Louis Bonaparte fait tout ce qu’il peut pour nous annuler. Il faut sor- tir de l’ombre. Il faut qu’on nous sente là. Il faut souffler sur ce commencement d’incendie dont nous avons vu l’étincelle au boulevard du Temple. Il faut faire une proclamation, et que cela soit imprimé n’importe par qui, et que cela soit placardé n’importe comment, mais il le faut ! et tout de suite. Quelque chose de bref, de ra- pide et d’énergique. Pas de phrases. Dix lignes, un appel aux armes ! Nous sommes la loi, et il y a des jours où la loi doit jeter un cri de guerre. La loi mettant hors d’elle le traître, c’est une chose grande et terrible. Faisons-la.

On m’interrompit : – Oui, c’est cela, une proclamation !

  • Dictez ! dictez !
  • Dictez, me dit Baudin, j’écris.

Je dictai : « Au Peuple. »Louis-Napoléon Bonaparte est un traître.
»Il a violé la Constitution.
»Il s’est parjuré.
»I1 est hors la loi. »On me cria de toutes parts :

  • C’est cela ! La mise hors la loi ! Continuez.

Je me remis à dicter ; Baudin écrivait : « Les représentants républicains rap- pellent au peuple et à l’armée l’article 68… »On m’interrompit : – Citez-le en entier.

  • Non, dis-je, ce serait trop long. Il faut quelque chose qu’on puisse placarder sur une carte, coller avec un pain à cacheter et lire en une minute. Je citerai l’article 110 ; il est court et contient l’appel aux armes.

Je repris : « Les représentants républicains rappellent au peuple et à l’armée l’ar- ticle 68, et l’article 110 ainsi conçu : – « L’Assemblée constituante confie la présente Constitution et les droits qu’elle consacre à la garde et au patriotisme de tous les Français. »

« Le peuple, désormais et a jamais en possession du suffrage universel, et qui n’a besoin d’aucun prince pour le lui rendre, saura châtier le rebelle.
»Que le peuple fasse son devoir. Les représentants républicains marchent à sa tête.
»Vive la République ! Aux armes ! »On applaudit.

  • Signons tous, dit Pelletier.
  • Occupons-nous de trouver sur-le-champ une imprimerie, dit Schœlcher, et que la proclamation soit affichée tout de suite.
  • Avant la nuit, les jours sont courts, ajouta Joigneaux.
  • Tout de suite, tout de suite, plusieurs copies ! cria-t-on.

Baudin, silencieux et rapide, avait déjà fait une deuxième copie de la proclama- tion.

Un jeune homme, rédacteur d’un journal républicain des départements, sortit de la foule, et déclara que si on lui remettait immédiatement une copie, la procla- mation serait avant deux heures placardée à tous les coins de mur de Paris.

Je lui demandai :

  • Comment vous nommez-vous ? Il me répondit :
  • Millière.

Millière ; c’est de cette façon que ce nom fit son apparition dans les jours sombres de notre histoire. Je vois encore ce jeune homme pâle, cet œil à la fois perçant et voilé, ce profil doux et sinistre. L’assassinat et le Panthéon l’attendaient ; trop obs- cur pour entrer dans le temple, assez méritant pour mourir sur le seuil.

Baudin lui montra la copie qu’il venait de faire. Millière s’approcha :

  • Vous ne me connaissez pas, dit-il, je m’appelle Millière, mais moi je vous connais, vous êtes Baudin.

Baudin lui tendit la main.

J’ai assisté au serrement de mains de ces deux spectres.

Xavier Durieu, qui était rédacteur de la Révolution , fit la même offre que Mil- lière.

Une douzaine de représentants prirent des plumes et s’assirent, les uns autour de la table, les autres avec une feuille de papier sur leurs genoux, et l’on me dit : – Dictez-nous la proclamation.

J’avais dicté à Baudin : « Louis-Napoléon Bonaparte est un traître. »Jules Favre demanda qu’on effaçât le mot Napoléon , nom de gloire fatalement puissant sur le peuple et sur l’armée, et qu’on mît : « Louis Bonaparte est un traître. »- Vous avez raison, lui dis-je.

Une discussion suivit. Quelques-uns voulaient qu’on rayât le mot prince . Mais l’Assemblée était impatiente. – Vite ! vite ! cria-t-on. Nous sommes en décembre, les jours sont courts, répétait Joigneaux.

Douze copies se firent à la fois en quelques minutes. Schœlcher, Rey, Xavier Du- rieu, Millière en prirent chacun une et partirent à la recherche d’une imprimerie.

Comme ils venaient de sortir, un homme que je ne connaissais pas, mais auquel plusieurs représentants firent accueil, entra et dit : – Citoyens, cette maison est signalée. Des troupes sont en marche pour vous cerner. Vous n’avez pas un instant à perdre.

Plusieurs voix s’élevèrent.

  • Eh bien ! qu’on nous arrête !
  • Qu’est-ce que cela nous fait ?
  • Qu’ils consomment leur crime !
  • Mes collègues, m’écriai-je, ne nous laissons pas arrêter. Après la lutte, comme il plaira à Dieu ; mais avant le combat, non ! C’est de nous que le peuple attend l’impulsion. Nous pris, tout est fini. Notre devoir est d’engager la bataille, notre droit est de croiser le fer avec le coup d’Etat. Il faut qu’il ne puisse pas nous saisir, qu’il nous cherche et qu’il ne nous trouve pas. Il faut tromper le bras qu’il étend vers nous, nous dérober à Bonaparte, le harceler, le lasser, l’étonner, l’épuiser, dis- paraître et reparaître sans cesse, changer d’asile et toujours combattre, être tou- jours devant lui et jamais sous sa main. Ne quittons pas le terrain. Nous n’avons pas le nombre, ayons l’audace.

On approuva. – C’est juste, dirent-ils, mais où irons-nous ? Labrousse dit :

  • Notre ancien collègue à la Constituante, Beslay, offre sa maison.
  • Où demeure-t-il ?
  • Rue de la Cerisaie, 33, au Marais.
  • Eh bien, repris-je, séparons-nous, nous nous retrouverons dans deux heures chez Beslay, rue de la Cerisaie, n° 33.

Tous partirent ; mais les uns après les autres et dans des directions différentes. Je priai Charamaule d’aller m’attendre chez moi, et je sortis à pied avec Noël Parfait et Lafon.

Nous gagnâmes le quartier encore inhabité que côtoie le mur de ronde. Comme nous arrivions à l’angle de la rue Pigalle, nous vîmes à cent pas de nous, dans les ruelles désertes qui la coupent, les soldats qui se glissaient le long des maisons et se dirigeaient vers la rue Blanche.

A trois heures, les membres de la gauche se retrouvèrent rue de la Cerisaie. Mais l’éveil avait été donné, les habitants de ces rues solitaires se mettaient aux fenêtres pour voir passer les représentants ; le lieu de la réunion, situé et resserré au fond d’une arrière-cour, était mal choisi en cas d’investissement ; tous ces inconvé- nients furent immédiatement reconnus, et la réunion ne dura que peu d’instants.

Elle fut présidée par Joly. Xavier Durieu et Jules Gouache, rédacteurs de la Révo- lution , y assistaient, ainsi que plusieurs proscrits italiens, entre autres le colonel Carini et Montanelli, ancien ministre du grand-duc de Toscane ; j’aimais Monta- nelli, âme douce et intrépide.

Madier de Montjau apporta des nouvelles de la banlieue. Le colonel Forestier, sans perdre et sans ôter l’espoir, raconta les obstacles qu’il avait rencontrés dans ses efforts pour réunir la 6e légion. Il me pressa de lui signer, ainsi que Michel (de Bourges), sa nomination de colonel ; mais Michel (de Bourges) était absent, et d’ailleurs ni Michel (de Bourges) ni moi n’avions encore en ce moment-là de mandat de la gauche. Pourtant, mais sous ces réserves, je lui signai sa nomina- tion. Les embarras se multipliaient. La proclamation n’était pas encore imprimée et la nuit arrivait. Schœlcher exposa les difficultés ; toutes les imprimeries fermées et gardées, l’avis affiché que quiconque imprimerait un appel aux armes serait im- médiatement fusillé, les ouvriers terrifiés, pas d’argent. On présenta un chapeau, et chacun y jeta ce qu’il avait d’argent sur lui. On réunit ainsi quelques centaines de francs.

Xavier Durieu, dont l’ardent courage ne s’est pas démenti un seul instant, af- firma de nouveau qu’il se chargeait de l’impression et promit qu’à huit heures du soir on aurait quarante mille exemplaires de la proclamation. Les instants pres- saient. On se sépara en s’assignant pour lieu de rendez-vous le local de l’associa- tion des ébénistes, rue de Charonne, et pour heure huit heures du soir, afin de laisser à la situation le temps de se dessiner. Comme nous sortions et que nous traversions la rue Beautreillis, je vis Pierre Leroux venir à moi. Il n’avait pas pris part à nos réunions. Il me dit : – Je crois cette lutte inutile. Quoique mon point de vue soit différent du vôtre, je suis votre ami. Prenez garde. Il est temps encore de s’arrêter. Vous entrez dans les catacombes. Les catacombes, c’est la mort.

  • C’est la vie aussi, lui dis-je.

C’est égal, je pensais avec joie que mes deux fils étaient en prison, et que ce sombre devoir du combat dans la rue ne s’imposait qu’à moi seul.

Cinq heures nous restaient jusqu’à l’instant du rendez-vous. Je voulus revenir chez moi et embrasser encore une fois ma femme et ma fille, avant de me précipi- ter dans cet inconnu qui était là, béant et ténébreux, et où plusieurs d’entre nous allaient entrer pour n’en pas sortir.

Arnaud (de l’Ariège) me donnait le bras ; les deux proscrits italiens, Carini et Montanelli, m’accompagnaient.

Montanelli me prenait les mains et me disait : – Le droit vaincra. Vous vaincrez. Oh ! que cette fois la France ne soit pas égoïste, comme en 1848, et qu’elle délivre l’Italie. Je lui répondais : – Elle délivrera l’Europe !

C’étaient nos illusions dans ce moment-là, ce qui n’empêche pas que ce ne soient encore aujourd’hui nos espérances. La foi est ainsi faite ; les ténèbres lui prouvent la lumière. Il y a une place de fiacres devant le portail de Saint-Paul. Nous y allâmes. La rue Saint-Antoine fourmillait dans cette rumeur inexprimable qui précède ces étranges batailles de l’idée contre le fait qu’on appelle révolutions. Je croyais entrevoir dans ce grand quartier populaire une lueur, qui s’éteignit, hé- las, bientôt ! La place de fiacres devant Saint-Paul était déserte. Les cochers avaient pressenti les barricades possibles et s’étaient enfuis.

Une lieue nous séparait, Arnaud et moi, de nos maisons. Impossible de la faire à pied au milieu de Paris, et reconnus à chaque pas. Deux passants qui survinrent nous tirèrent d’embarras. L’un d’eux disait à l’autre :

  • Les omnibus des boulevards roulent encore.

Nous profitâmes de l’avis et nous allâmes chercher l’omnibus de la Bastille.
Nous y montâmes tous les quatre.

J’avais dans le cœur, à tort ou à raison, je le répète, le regret amer de l’occasion échappée le matin. Je me disais que dans les journées décisives ces minutes-là viennent et ne reviennent pas. Il y a deux théories en révolution, enlever le peuple ou le laisser arriver. La première était la mienne ; j’avais obéi, par discipline, à la seconde. Je me le reprochais. Je me disais : Le peuple s’est offert et nous ne l’avons pas pris. C’est à nous maintenant, non de nous offrir, mais de faire plus, de nous donner.

Cependant l’omnibus s’était mis en marche. Il était plein. J’avais pris place au fond à gauche ; Arnaud (de l’Ariège) s’était assis à côté de moi, Carini en face, Mon- tanelli près d’Arnaud. On verra tout à l’heure que ces détails ne sont pas inutiles. Nous ne nous parlions pas, Arnaud et moi. Nous échangions en silence des serre- ments de main, ce qui est une manière d’échanger des pensées.

A mesure que l’omnibus avançait vers le centre de Paris, la foule était plus pres- sée sur le boulevard. Quand l’omnibus s’engagea dans le ravin de la Porte-Saint- Martin, un régiment de grosse cavalerie arrivait en sens inverse. Au bout de quelques secondes, ce régiment passa à côté de nous. C’étaient des cuirassiers. Ils défilaient au grand trot et le sabre nu. Le peuple, du haut des trottoirs, se penchait pour les voir passer. Pas un cri. Le peuple morne d’un côté, de l’autre les soldats triom- phants, tout cela me remuait.

Subitement le régiment fit halte. Je ne sais quel embarras, dans cet étroit ravin du boulevard où nous étions resserrés, obstruait momentanément sa marche. En s’arrêtant il arrêta l’omnibus. Les soldats étaient là. Nous avions sous les yeux, de- vant nous, à deux pas, leurs chevaux pressant les chevaux de notre voiture, ces Français devenus des mameloucks, ces citoyens combattants de la grande Répu- blique transformés en souteneurs du bas-empire. De la place où j’étais je les tou- chais presque. Je n’y pus tenir.

Je baissai la vitre de l’omnibus, je passai la tête dehors, et, regardant fixement cette ligne épaisse de soldats qui me faisait front, je criai : – A bas Louis Bonaparte ! Ceux qui servent les traîtres sont des traîtres !

Les plus proches tournèrent la face de mon côté et me regardèrent d’un air ivre ; les autres ne bougèrent pas et restèrent au port d’armes, la visière du casque sur les yeux, les yeux fixés sur les oreilles de leurs chevaux.

Il y a dans les grandes choses l’immobilité des statues et dans les choses basses l’immobilité des mannequins.

L’obéissance passive dans le crime fait du soldat un mannequin.

Au cri que j’avais poussé, Arnaud s’était retourné brusquement ; il avait, lui aussi, abaissé sa vitre, et il était sorti à mi-corps de l’omnibus, le bras tendu vers les soldats, et il criait : – A bas les traîtres !

A le voir ainsi, avec son geste intrépide, sa belle tête pâle et calme, son regard ardent, sa barbe et ses longs cheveux châtains, on croyait voir la rayonnante et foudroyante figure d’un Christ irrité.

L’exemple fut contagieux et électrique.

  • A bas les traîtres ! crièrent Carini et Montanelli.
  • A bas le dictateur. A bas les traîtres ! répéta un généreux jeune homme que nous ne connaissions pas et qui était assis à côté de Carini.

A l’exception de ce jeune homme, l’omnibus tout entier semblait pris de terreur.

  • Taisez-vous ! criaient ces pauvres gens épouvantés ; vous allez nous faire tous massacrer ! – Un plus effrayé encore baissa la vitre et se mit à vociférer aux soldats :
  • Vive le prince Napoléon ! Vive l’empereur !

Nous étions cinq et nous couvrions ce cri de notre protestation obstinée : – A bas Louis Bonaparte ! A bas les traîtres !

Les soldats écoutaient dans un silence sombre. Un brigadier, l’air menaçant, se tourna vers nous et agita son sabre. La foule regardait avec stupeur.

Que se passait-il en moi dans ce moment-là ? Je ne saurais le dire. J’étais dans un tourbillon. J’avais cédé à la fois à un calcul, trouvant l’occasion bonne, et à une fureur, trouvant la rencontre insolente. Une femme nous criait du trottoir : – Vous allez vous faire écharper. Je me figurais vaguement qu’un choc quelconque allait se faire, et que, soit de la foule, soit de l’armée, l’étincelle jaillirait. J’espérais un coup de sabre des soldats, ou un cri de colère du peuple. En somme j’avais plutôt obéi à un instinct qu’à une idée.

Mais rien ne vint, ni le coup de sabre, ni le cri de colère. La troupe ne remua pas, et le peuple garda le silence. Etait-ce trop tard ? Etait-ce trop tôt ?

L’homme ténébreux de l’Elysée n’avait pas prévu le cas de l’insulte à son nom, jetée aux soldats en face, à bout portant. Les soldats n’avaient pas d’ordres. Ils en eurent le soir même. On s’en aperçut le lendemain.

Un moment après, le régiment s’ébranla au galop, et l’omnibus repartit. Tant que les cuirassiers défilèrent près de nous, Arnaud (de l’Ariège), toujours hors de la voiture, continuait à leur crier dans l’oreille, car, comme je viens de le dire, leurs chevaux nous touchaient : – A bas le dictateur ! à bas les traîtres !

Rue Laffitte nous descendîmes. Carini, Montanelli et Arnaud me quittèrent, et je montai seul vers la rue de la Tour-d’Auvergne. La nuit venait. Comme je tour- nais l’angle de la rue, un homme passa près de moi. A la lueur d’un réverbère, je reconnus un ouvrier d’une tannerie voisine, et il me dit bas et vite : – Ne rentrez pas chez vous. La police cerne votre maison.

Je redescendis vers le boulevard par les rues projetées et non encore bâties qui dessinent un Y sous mes fenêtres, derrière ma maison. Ne pouvant embrasser ma femme et ma fille, je songeai à ce que je pourrais faire des instants qui me res- taient. Un souvenir me vint à l’esprit.

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