Les Blancs et les Bleus – Tome I

Chapitre 1 Àvol d’oiseau

Près de deux ans se sont écoulés depuis lesévénements que nous avons racontés.

Pour que nos lecteurs comprennent clairementceux qui vont suivre, il faut que, rapidement, nous passions à vold’oiseau sur ces deux terribles et cependant inévitables années1794 et 1795.

Comme Vergniaud l’avait prophétisé, et commePichegru l’avait répété d’après lui, la Révolution avait dévoré sesenfants.

Voyons à l’œuvre cette terrible marâtre.

Le 5 avril 1795, les cordeliers ont étéexécutés.

Danton, Camille Desmoulins, Bazire, Chabot,Lacroix, Héraut de Séchelles, et le pauvre poète martyr Fabred’Églantine, l’auteur de la plus populaire de nos chansonspopulaires : Il pleut, il pleut bergère, sont mortsensemble, sur le même échafaud où les ont poussés Robespierre,Saint-Just, Merlin (de Douai), Couthon, Collot d’Herbois, Fouché(de Nantes) et Vadier.

Puis est arrivé le jour des jacobins.

Vadier, Tallien, Billaud, Fréron accusentRobespierre d’avoir usurpé la dictature, et Robespierre, lamâchoire brisée d’un coup de pistolet, Saint-Just, la tête haute,Couthon, les deux jambes broyées, Lebas, leurs amis, tous ensemble,au nombre de vingt-deux, sont exécutés le lendemain de cettetumultueuse journée qui dans l’histoire porte la date fatale du 9thermidor.

Le 10 thermidor, la Révolution vivaittoujours, parce que la Révolution était immortelle, et qu’iln’appartient pas à un parti qui s’élève ou qui tombe de latuer ; la Révolution vivait toujours, mais la République étaitmorte !

Avec Robespierre et Saint-Just, la Républiquea été décapitée.

Le soir de l’exécution, les enfants criaient àla porte des spectacles :

– Une voiture ! Qui veut unevoiture ? faut-il une voiture, notrebourgeois ?

Le lendemain et le surlendemain,quatre-vingt-deux jacobins suivirent Robespierre, Saint-Just etleurs amis sur la place de la Révolution.

Pichegru apprit cette sanglanteréaction ; il commandait en chef l’armée du Nord. Il jugea quel’heure du sang était passée, qu’avec les Vadier, les Tallien, lesBillaud et les Fréron, l’heure de la boue allait venir.

Il fit un signe à Mulheim, et Fauche-Borel,messager du prince, accourut.

Pichegru avait prévu juste, la périodeascendante de la Révolution était passée. On en était à la périoderéactionnaire ou descendante : on continuait à verser le sang,mais c’était le sang des représailles.

Le 17 mai 1795, un décret fermaitdéfinitivement la salle des Jacobins, berceau de la Révolution,soutien de la République.

Fouquier-Tinville, l’accusateur public, lecollègue de la hache du bourreau, qui n’était pas plus coupablequ’elle, puisqu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres du Tribunalrévolutionnaire, comme la hache lui avait obéi à lui-même,Fouquier-Tinville est guillotiné avec quinze juges ou jurés duTribunal révolutionnaire.

Pour que la réaction soit complète,l’exécution a lieu en place de Grève.

L’ingénieuse invention de M. Guillotin arepris sa première place ; seulement, les gibets ontdisparu : l’égalité de la mort est consacrée.

Le 1er prairial, Paris s’aperçoitque décidément il meurt de faim. La famine pousse les faubourgs surla Convention. Hâves, déguenillés, affamés, ils envahissent lasalle des séances ; le député Féraud est tué en voulantdéfendre le président Boissy d’Anglas.

Vu le trouble que cet événement a porté dansl’assemblée, Boissy d’Anglas s’est couvert.

On lui présente la tête de Féraud au boutd’une pique. Il se    découvre pieusement, salue etremet son chapeau sur sa tête.

Seulement, pendant ce salut, dedemi-révolutionnaire qu’il était, Boissy d’Anglas est devenu àmoitié royaliste.

Le 16 du même mois, Louis-Charles de France,duc de Normandie, prétendant au trône sous le nom de Louis XVII,celui-là dont le duc d’Orléans a dit dans un souper : Lefils de Coigny ne sera pas mon roi ! meurt scrofuleux auTemple, à l’âge de dix ans, deux mois et douze jours.

Mais, même pour qu’en temps de république levieil axiome de la monarchie française ne périclite pas – « Leroi est mort, vive le roi ! » – immédiatement, Louis, ducde Provence, se proclame, de son autorité privée, roi de France etde Navarre, sous le nom de Louis XVIII.

Puis vient la terrible journée de Quiberon,pendant laquelle, au dire de Pitt, le sang anglais ne coulapoint ; mais pendant laquelle, au dire de Sheridan,l’honneur anglais coula par tous les pores.

Pendant ce temps, les victoires de Hoche et dePichegru ont porté leurs fruits ; à la suite de cette reprisedes lignes de Wissembourg, à laquelle nos lecteurs ont assisté, àla vue du drapeau tricolore franchissant la frontière aux mains deSaint-Just et flottant victorieusement sur la terre de Bavière,Frédéric-Guillaume, qui, le premier envahit nos frontières,Frédéric-Guillaume reconnaît la République française et fait lapaix avec elle.

Ne s’étant rien pris comme territoire, lesdeux puissances n’ont rien à se rendre.

Seulement, quatre-vingt mille Prussiensdorment dans les plaines de la Champagne et de l’Alsace, et cettegrande querelle est commencée que ne termineront ni Iéna niLeipzig.

Pendant ce temps encore, l’armée desPyrénées-Orientales avait envahi la Biscaye, puis Vittoria etBilbao. Déjà maîtres de la partie des frontières dont l’accès estle plus difficile, les Français, que leurs derniers succès avaientrapprochés de Pampelune, pouvaient s’emparer de cette capitale dela Navarre et ouvrir une route facile à l’invasion des deuxCastilles et de l’Aragon.

Le roi d’Espagne proposa la paix.

C’était la seconde tête couronnée quireconnaissait l’existence de la République française, et qui, en lareconnaissant, s’inclinait devant la condamnation de ses deuxparents, Louis XVI et Marie-Antoinette.

La paix fut signée. Devant les nécessités dela guerre, la famille disparaît.

La France abandonna ses conquêtes d’au-delàdes Pyrénées, et l’Espagne céda à la France la partie de l’île deSaint-Domingue qui était espagnole.

Mais, nous venons de le dire, la question dela paix vis-à-vis de l’Espagne ne devait point être appréciée aupoint de vue des avantages matériels.

Non, de ce côté, la question était toutemorale.

Le lecteur l’a déjà compris. C’était un pasimmense que cette défection de Charles IV à la cause des rois,défection bien autrement importante que celle deFrédéric-Guillaume.

Frédéric-Guillaume ne tenait par aucun lienaux Bourbons de France, tandis que Charles IV, signant le 4 août lapaix avec la Convention, ratifie tout ce que la Convention adécrété.

Quant à l’armée du Nord, qui opère contre lesAutrichiens, elle a pris Ypres et Charleroi, gagné la bataille deFleurus, reconquis Landrecies, occupé Namur, Trêves, reprisValenciennes, enlevé le fort de Crève-Cœur, Ulrick, Gorcomm,Amsterdam, Dordrecht, Rotterdam, La Haye.

Enfin, chose inouïe, qui ne s’était point vuejusque-là, qui manquait aux annales pittoresques des guerresfrançaises, les vaisseaux de guerre hollandais, pris au milieu desglaces, avaient été enlevés par une charge de hussards àcheval.

Cet étrange fait d’armes, qui semblait uncaprice de la Providence en notre faveur, avait amené lacapitulation de la Zélande.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer