Les Blancs et les Bleus – Tome I

Chapitre 19Le citoyen Garat

Sur quelques points et particulièrement auPont-Neuf, les sentinelles des sections et celles de la Conventionétaient si rapprochées, qu’elles pouvaient causer les unes avec lesautres.

Quelques escarmouches sans importance eurentlieu dans la matinée.

La section Poissonnière arrêta l’artillerie etles hommes dirigés vers la section des Quinze-Vingts.

Celle du Mont-Blanc enleva un convoi desubsistances envoyé pour les Tuileries.

Un détachement de la section Le Peletiers’empara de la banque.

Enfin, Morgan, avec un corps de cinq centshommes, presque tous émigrés ou chouans, tous portant le collet del’habit et le pompon verts, s’avança vers le Pont-Neuf, tandis quela section de la Comédie-Française descendait par la rueDauphine.

Vers quatre heures de l’après-midi, cinquantemille hommes à peu près entouraient la Convention.

On sentait dans l’air comme des bouffées dechaudes haleines et des menaces furieuses.

Pendant la journée, les conventionnels avaienteu plusieurs pourparlers avec les sectionnaires. Des deux parts, ons’était tâté.

Ainsi, vers midi, le représentant du peupleGarat avait été chargé de porter un arrêté du gouvernement à lasection de l’Indivisibilité.

Il prit une escorte de trente cavaliers,moitié dragons, moitié chasseurs. Les bataillons du Muséum et desgardes-françaises qui s’étaient réunis à la Convention, et quistationnaient sur les terrains du Louvre, lui portèrent lesarmes.

Quant au Pont-Neuf, il était gardé par lesrépublicains, commandés par ce même général Carteaux qui avait euBonaparte sous ses ordres à Toulon, et qui était bien étonné de setrouver à son tour sous les siens.

Au Pont-au-Change, Garat trouva un bataillonde sectionnaires qui l’arrêta. Mais Garat était un hommed’exécution ; il prit un pistolet dans ses fontes et commandaà ses trente cavaliers de tirer le sabre hors du fourreau.

À la vue du pistolet et au cliquetis du fer,les sectionnaires le laissèrent passer.

Garat était chargé d’entraîner la section del’Indivisibilité au parti de la Convention. Mais malgré sesinstances, elle déclara être décidée à garder la neutralité.

Il devait, de là, s’informer auprès desbataillons de Montreuil et de Popincourt si leur intention était desoutenir les sectionnaires ou la Convention.

En conséquence, il s’achemina vers lefaubourg. À l’entrée de la grande rue, il trouva le bataillon deMontreuil sous les armes.

D’une seule voix, à la vue du représentant dupeuple, le bataillon cria :

– Vive la Convention !

Garat voulut l’emmener avec lui.

Mais il attendait le bataillon de Popincourt,qui, lui aussi, s’était déclaré pour la Convention. Seulement, onlui annonça que deux cents hommes du bataillon des Quinze-Vingtsrestés en arrière demandaient à marcher au secours du château.

Garat s’informe de leur position, va à eux, etles interroge.

– Marche à notre tête, lui disent-ils, etnous te suivons.

Garat met à leur tête ses quinze dragons, àleur queue ses quinze chasseurs, marche en avant de la petitetroupe, le pistolet au poing, et les deux cents hommes, dontcinquante seulement sont armés, prennent le chemin de laConvention.

On passa devant le bataillon deMontreuil ; Popincourt n’était pas encore arrivé. Montreuilvoulait marcher seul, mais son commandement exigeait un ordre deBarras.

De retour aux Tuileries, Garat le lui envoyapar un aide de camp.

Le bataillon se mit aussitôt en marche etarriva d’assez bonne heure pour prendre part à l’action.

Pendant ce temps, Carteaux venait prendre lecommandement du détachement avec lequel il devait garder lePont-Neuf. Il n’avait que trois cent cinquante hommes et deuxpièces de canon.

Il fit dire à Bonaparte qu’il ne pouvait teniravec ce peu de forces.

Il reçut pour toute réponse cette ligne écriteen caractères presque illisibles :

Vous tiendrez cependant jusqu’à ladernière extrémité.

Bonaparte.

Ce fut le premier ordre écrit donné par lejeune général : on peut y reconnaître son style et sanetteté.

Mais, vers deux heures de l’après-midi, unecolonne de mille à douze cents hommes bien armés, composée dessections de l’Unité et de la Fontaine-de-Grenelle, s’avança sur lapartie du Pont-Neuf qui touche à la rue Dauphine. Là, elle futarrêtée par les avant-postes de cavalerie.

Alors, un citoyen sectionnaire, porteur d’unmagnifique bouquet noué avec un ruban tricolore, sortit desrangs.

Carteaux envoya son aide de camp pour défendreà la colonne d’avancer, à moins que son commandant ne fût porteurd’un ordre du Comité de salut public ou du général en chefBarras.

L’aide de camp revint accompagné du chef debrigade de l’Unité, lequel déclara, au nom des deux sections, qu’ilapportait la branche d’olivier et voulait fraterniser avec legénéral et les troupes qu’il avait sous ses ordres.

– Allez dire à votre président, réponditCarteaux, que ce n’est point à moi, que c’est à la Conventionnationale qu’il faut offrir la branche d’olivier ; qu’unedéputation de quatre citoyens sans armes se détache, et je la feraiconduire à la Convention, qui seule peut recevoir ce symbole depaix et de fraternité.

Ce n’était point là la réponse qu’attendait lechef de brigade ; aussi fit-il répondre de son côté qu’onallait délibérer, et qu’après la délibération on se reverrait deplus près et plus fraternellement.

Le chef de brigade se retira et les deuxsections se rangèrent en bataille le long du quai Conti et du quaiMalaquais.

Cette disposition annonçait des projetshostiles, qui furent bientôt confirmés.

Vers trois heures, Carteaux vit s’avancer parla rue de la Monnaie une colonne si forte, que le front enremplissait toute la rue, et que, quoique placé sur le pointculminant du Pont-Neuf, le général ne put en voir la fin.

Une troisième colonne arrivait en même tempspar le quai de la Ferraille, tandis qu’une quatrième filait par lesderrières pour couper le poste du Pont-Neuf par le quai del’École.

Malgré l’ordre reçu de tenir jusqu’à ladernière extrémité, le général Carteaux comprit qu’il n’y avait pasune minute à perdre pour battre en retraite, et cela sans laisservoir sa faiblesse à l’ennemi.

L’ordre fut donné immédiatement aux canonniersde mettre les avant-trains à leurs pièces.

Deux pelotons ouvrirent immédiatement lechemin jusqu’au jardin de l’Infante ; les deux piècesmarchaient ensuite.

Le reste de la troupe était divisé en quatrepelotons : un qui faisait face aux sectionnaires venant par larue de la Monnaie ; un autre qui menaçait la colonne du quaide la Ferraille ; les derniers autres enfin qui protégeaientla retraite de l’artillerie.

La cavalerie resta formée au milieu duPont-Neuf pour arrêter la colonne de l’Unité et masquer lamanœuvre.

À peine le général eut-il pris position aujardin de l’Infante, qu’il rappela à lui les deux pelotons faisantface à la rue de la Monnaie et au quai de la Ferraille, ainsi quela cavalerie.

Le mouvement se fit dans le plus grand ordre,mais le poste abandonné fut aussitôt occupé par les troupessectionnaires.

Pendant ce temps, Garat revenait avec sesquinze dragons, ses quinze chasseurs et ses deux cents hommes de lasection des Quinze-Vingts, dont cinquante seulement étaientarmés.

Le Pont-Neuf était hérissé de baïonnettes. Ilcrut que c’étaient celles des républicains qu’il y avait laissés.Mais, lorsque sa colonne fut engagée, il reconnut, aux collets etaux pompons verts, qu’il se trouvait, non seulement au milieu d’uncorps de sectionnaires, mais d’un corps de chouans.

Au même instant, le commandant de la troupe,qui n’était autre que Morgan, s’avança vers lui, en lereconnaissant pour l’avoir vu à la Convention.

– Pardon, monsieur Garat, lui dit-il enmettant le chapeau à la main et en lui faisant un salut, il mesemble que vous êtes dans l’embarras, je voudrais vous être bon àquelque chose ; que désirez-vous ?

Garat le reconnut de son côté, et comprit laplaisanterie.

Mais, désirant le prendre sur un autreton ;

– Je désire, monsieur le président,dit-il, en armant un pistolet, que vous me livriez passage, à moiet à mes hommes.

Mais Morgan continua de prendre la chose enplaisantant.

– Rien de plus juste, dit-il, et nousvous le devons bien, quand ce ne serait que pour répondre àl’honnêteté du général Carteaux, qui vient de nous livrer, sanscoup férir, le poste que nous occupons. Seulement, désarmez votrepistolet. Un malheur est si vite arrivé. Supposez que le coup partepar accident, on croirait que vous avez tiré sur moi, et mes hommesvous mettraient en morceaux, vous et votre petite troupe, qui est àmoitié désarmée, comme vous voyez ; ce qui me serait trèsdésagréable, attendu que l’on dirait que nous avons abusé de lasupériorité du nombre.

Garat désarma son pistolet.

– Mais enfin, demanda-t-il, dans quel butêtes-vous ici ?

– Vous le voyez bien, dit en riantMorgan, nous venons au secours de la Convention.

– Commandant, dit Garat, plaisantant àson tour, il faut convenir que vous avez une singulière façon desecourir les gens.

– Allons, je vois bien que vous ne mecroyez pas, dit Morgan, et je m’aperçois qu’il faut vous dire toutela vérité. Eh bien ! nous sommes cent mille à Paris, et unmillion en France, n’est-ce pas, Coster ?

Le jeune muscadin auquel il s’adressait, etqui était armé jusqu’aux dents, se contenta de faire un signegoguenard de la tête, et de laisser échapper d’une voix flûtée lemot :

– Plus !

– Vous voyez, continua Morgan, voilà monami Saint-Victor, qui est un homme d’honneur, et qui affirme ce queje viens de dire. Eh bien ! nous sommes plus de cent mille àParis, et plus d’un million en France, qui avons jurél’extermination des conventionnels, et l’anéantissement du monumentoù le jugement contre le roi a été rendu, et d’où sont parties,comme des vols d’oiseaux funèbres, tant de condamnations à mort. Ilfaut non seulement que les hommes soient punis, mais encore quel’expiation s’étende jusqu’aux pierres. Demain, pas unconventionnel ne sera vivant ; demain, le palais où siège laConvention sera rasé. Nous sèmerons du sel à la place où ils’élevait, et le terrain sur lequel il était bâti sera voué àl’exécration de la postérité.

– Si vous êtes si sûr du résultat de lajournée, commandant, dit Garat reprenant le ton de la plaisanterieque Morgan avait quitté, il doit vous être indifférent d’avoir àcombattre deux cents hommes de plus ou de moins.

– Complètement indifférent, réponditMorgan.

– En ce cas, pour la seconde fois,laissez-moi passer ; je désire mourir avec mes collègues etavoir pour tombeau cette Convention que vous devez renverser sureux.

– Alors descendez de cheval, donnez-moile bras et marchons en tête. – Messieurs, dit Morgan avec cetteinflexion de voix qui, sans désigner l’incroyable, dénonçaitl’aristocrate, soyons beaux joueurs. Le citoyen Garat demande àaller défendre avec ses deux cents hommes, dont cinquante seulementsont armés, la Convention nationale. Sa demande me paraît si juste,et la pauvre Convention me semble si malade, que je ne crois pasque nous devions nous opposer à ce bon sentiment.

Des éclats de rire ironiques accueillirentcette motion, qui n’eut pas même besoin, pour être adoptée, d’êtremise aux voix. Chacun s’écarta, et, Morgan et Garat en tête, lacolonne passa.

– Bon voyage ! leur criaSaint-Victor.

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